Les applications promettant aux consommateurs de décrypter la composition des produits et d’orienter leurs choix en matière d’alimentation ou de cosmétique ont fait florès ces derniers mois. Le succès du service Yuka, créé par une start-up française en 2016, est spectaculaire. Reposant à l’origine sur la base de données ouvertes Open Food Facts, elle donne accès au descriptif de plus de 700 000 références après scannage du code-barres, revendique pas moins de 12 millions de téléchargements et assure « avoir changé la façon de faire les courses » des Français.
Yuka n’est pas la seule application de ce type disponible aujourd’hui aux utilisateurs de smartphone. Dans le même ordre d’idées, Kwalito propose d’orienter les utilisateurs désireux d’adopter des régimes particuliers : intolérance ou allergie au gluten ou au lactose, végétarisme ou végétalisme, rejet de tel ou tel additif. Spoonymix, quant à lui, révèle la composition et la qualité nutritionnelle et propose les paniers les moins chers sur certaines marques dans les points de vente environnants.
« Les consommateurs sont devenus incontestablement de plus en plus exigeants en matière d’information, non seulement sur l’origine, mais aussi sur la qualité nutritionnelle et les modes de production des aliments », résume Nathalie Blaise, responsable qualité, nutrition et information du consommateur à la Coopération agricole, l’organisation représentant l’ensemble des coopératives agricoles françaises. « Sur cette question, les États généraux de l’alimentation ont eu un effet de catalyseur. Ils ont mis en lumière ces attentes de la société et ont contribué à accélérer les projets en cours, initiés par les agriculteurs et les industriels de l’alimentaire. »
La question de la fiabilité de l’information et de son exhaustivité constitue à cet égard un enjeu capital. « Les sources obtenues de façon participative et de manière plus ou moins artisanale présentent des risques d’erreur et de retard dans les mises à jour, fait observer Nathalie Blaise. Les industriels changent en effet régulièrement les recettes de leurs produits, notamment dans le cadre de leurs démarches de “clean label”. »
CodeOnline Food, carte d’identité digitale des aliments
Afin d’améliorer la fiabilité des informations disponibles, mais aussi d’en étendre le champ à d’autres domaines, l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) a lancé en 2018, avec le Fonds français pour l’alimentation et la santé et GS1 France (organisme mondial qui normalise les codages utilisés dans la chaîne logistique), un vaste projet de plate-forme numérique : Num-Alim. La première « brique » de ce vaste chantier a été la création d’une base de données, « CodeOnline Food », présentant une version numérique de l’emballage (liste d’ingrédients, valeurs nutritionnelles, photo du produit, allergènes, labels, etc.), renseignée par les fabricants eux-mêmes. Soutenue par l’ANIA, la FCD, la FEEF, la FNSEA, la Coopération agricole et l’ILEC, CodeOnline Food est présenté par ses promoteurs comme « totalement fiable et mise à jour, tout comme l’étiquetage obligatoire sur les produits ». La base, opérationnelle depuis octobre 2019 et accessible à tous les adhérents de GS1 France, monte régulièrement en puissance. « Nous encourageons les coopératives à y participer, car nous pensons que c’est dans leur intérêt de maîtriser la diffusion de l’information et de la mettre à disposition de leur écosystème, notamment de leurs acheteurs, argumente Nathalie Blaise. Ils pourront ainsi informer leurs interlocuteurs de leur présence sur cette base. Pour des PME qui n’ont pas de force de vente ou de service communication, c’est aussi un moyen de donner de la visibilité à leur offre. » La plate-forme a vocation à accueillir un spectre beaucoup plus large de données relatives aux produits alimentaires sur la production et la cartographie de celle-ci, les consommations individuelles, les comportements alimentaires et leurs déterminants, etc. « Les données de Num-Alim seront ouvertes à tous ceux qui voudront les analyser, les interpréter et les publier (scientifiques, start-up, citoyens, etc.). Elles pourront servir de base de référence fiable pour de nouvelles applications mobiles », expliquait l’ANIA au moment de son lancement. « Elle pourra notamment servir à des organismes de recherche, des instituts de sondage, des associations de consommateurs, mais aussi à des opérateurs économiques qui pourront ainsi mieux positionner leurs produits en termes de profils nutritionnels, de saisonnalité, d’usage, etc. », complète Nathalie Blaise.
L’agriculture crée son langage
Les possibilités offertes par le numérique ont également inspiré un vaste projet au monde agricole, lui aussi soucieux de jouer la carte de la transparence. Le programme Numagri, conçu par un consortium mené par la Fondation Avril et composé des chambres d’agriculture, de la FNSEA, des JA, de la Coopération agricole, de Terres Univia et d’API-AGRO est piloté par deux collèges, l’un dit « agricole » et l’autre constitué d’interprofessions. Le projet, reconnu comme projet structurant par FranceAgriMer, a pour ambition de faciliter la remontée des données de l’exploitation agricole, dont certaines inexploitées à ce jour en l’absence de standardisation, jusqu’au consommateur.
« À la différence de Num’Alim, qui vise à constituer une base de données, le projet Numagri a pour objet de mettre en place un langage commun au sein de la chaîne logistique qui permette de mobiliser ces informations en les remontant d’un maillon à l’autre », explique Nathalie Blaise. Le champ des données est potentiellement très large : origine de la production jusqu’à l’exploitation ou au groupe d’exploitations, provenance de l’aliment du bétail, types de traitements opérés en culture ou pratiques dans les élevages, utilisation ou non de certains produits. « L’objectif est de valoriser les bonnes pratiques de l’agriculture française jusqu’au consommateur et de lui permettre de faire des choix éclairés, explique Nathalie Blaise. La technologie va permettre de prouver ce que l’on avance. »
À ce stade, un cabinet d’audit a consulté l’ensemble des parties prenantes (organisations agricoles, associations de consommateurs, ONG, etc.) sur les enjeux prioritaires à considérer. « Dans une deuxième phase, des ateliers seront organisés par secteurs de production », indique Nathalie Blaise. Les promoteurs de Numagri souhaitent faire aboutir le projet d’ici à 2023, « avec des jalons progressifs ».
B. C.
