Déconfinement très progressif, chute du tourisme international, faveur plus grande accordée aux produits nationaux et locaux… Les conséquences indirectes de la pandémie continuent cet été de peser lourdement sur les échanges agroalimentaires de viande, de produits de la mer et de produits laitiers et, dans une moindre mesure, de fruits et légumes.
La contraction du commerce extérieur agroalimentaire de la France a commencé en mars. Ce mois au cours duquel le confinement a commencé, les importations agricoles et alimentaires ont seulement baissé de 2 %, (soit - 120 M€) et les exportations de 1 % (- 65 M€), selon Agreste. Mais dès avril, changement de décor. Les exportations dégringolent de 14 % en valeur (- 785 M€) et les importations de 10 % (- 473 M€). Le solde de la balance commerciale du secteur fond de près d’un tiers, de 875 M€ à 563 M€ en avril 2020 par rapport au même mois de 2019. Pratiquement tous les produits frais sont concernés, dans les deux sens. Les exportations comme les importations de viande, de poissons et de fromages baissent très sensiblement. Les fruits et légumes font exception, sans doute du fait d’une consommation intérieure plutôt favorable. Les importations de fruits et légumes ont ainsi augmenté en avril, tandis que les exportations étaient à peu près stables.

La filière banane des Antilles a maintenu le cap
La viande en première ligne
Si l’on ignore encore le bilan détaillé sur l’ensemble de la période du confinement, les mêmes causes ont, semble-t-il, produit les mêmes effets en mai et juin. La fermeture de la restauration dans l’ensemble des pays européens a particulièrement pénalisé le commerce de la viande au sein de l’Union européenne. « 39 % de la viande bovine abattue en Europe est échangée entre les pays membres », rappelait ainsi Caroline Monniot, économiste à l’Idele (Institut de l’élevage), lors d’un webinaire en mai. « Or la viande importée dans chaque État est principalement consommée en restauration. Avec le report de la consommation sur les achats des ménages, on a assisté à une renationalisation des marchés, ce qui pose bien sûr problème aux gros exportateurs comme la Pologne et l’Irlande. » Les exportateurs français, qui ont expédié 208 millions de tonnes de viande bovine au sein de l’Union européenne l’année dernière n’ont pas été épargnés non plus par la baisse brutale de la demande de nombreux marchés. Si l’on ignore encore l’évolution du commerce extérieur « post-déconfinement », le secteur export restait profondément perturbé ces dernières semaines, cette fois non plus en raison de la fermeture des restaurants… mais de la dégringolade du tourisme international.
De nombreuses destinations très dépendantes des visiteurs étrangers, comme l’Espagne, les Canaries, l’Italie ou la Grèce connaissent une baisse drastique de fréquentation cet été. Une situation qui n’est pas sans conséquences pour les sociétés exportatrices de produits alimentaires. « Les experts grecs ont coutume de dire que la moitié de la viande bovine qui est consommée en Grèce l’est par des touristes ! », souligne Caroline Monniot.
La filière fruits et légumes s’est adaptée
La situation se présente tout à fait différemment dans la filière fruits et légumes. Les importateurs et exportateurs de Rungis que nous avons interrogés s’accordent sur plusieurs constats. Le secteur s’est rapidement adapté à la modification brutale du comportement des consommateurs et des circuits d’achat dans un contexte où les entreprises devaient apprendre à fonctionner en mode dégradé.
La logistique a évidemment été touchée. Ce fut le cas du fret aérien avec la fermeture quasi totale du trafic passager. Comme pour l’ensemble des activités de la chaîne alimentaire, il a été plus difficile de trouver des camions disponibles. Il a fallu également faire face à des augmentations de tarifs « justifiées » par l’absence de fret retour. Le fret maritime a été perturbé dans les premiers temps de la crise et certaines lignes ont dû se réorganiser.
Les choses sont cependant assez rapidement rentrées dans l’ordre. Le secteur des fruits et légumes d’importation a, comme toutes les filières du frais, été grandement impacté par la fermeture des marchés et de la restauration. Les opérateurs ont constaté une baisse de la demande, notamment sur les produits exotiques. Les opérateurs ont dû également « alléger » les chaînes de conditionnement, afin que les salariés puissent respecter les distances barrières. Parmi les mesures retenues, les fruits et légumes bio n’ont pas été suremballés. Un accord a pu être rapidement trouvé en ce sens avec les pouvoirs publics. La filière banane est un bon exemple d’une filière qui a dû s’adapter en urgence. Dès le 18 mars, les membres de l’Association interprofessionnelle de la banane (AIB) se sont concertés pour garantir le bon fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement. La banane a fait face à une forte demande, même avant le confinement, quand les enfants se sont retrouvés à la maison en raison de la fermeture des écoles. Ensemble, les différents acteurs de la filière ont identifié des actions permettant de simplifier et de fiabiliser la chaîne d’approvisionnement, tout en garantissant la sécurité du personnel.
OM et BC

L’agilité comme mot d’ordre
Entretien
« La chute du tourisme international nous impacte directement. »
Rungis Actualités : – Quelles ont été les conséquences de la crise de ces derniers mois sur une société comme la vôtre, spécialisée dans l’import-export de viande congelée ?
Lionel Couppey : Nous avons subi deux chocs cette année. D’abord, celui de la grève des dockers, de décembre à avril, qui a perturbé considérablement le commerce à l’export. Puis, celui du Covid, qui a occasionné un ralentissement général de l’activité sur l’ensemble des destinations. Ces derniers mois, notre business a été divisé par deux en volume.
– Quel phénomène affecte plus particulièrement votre activité ?
C’est certainement la baisse du tourisme international qui m’inquiète le plus. Prenez les Philippines, qui est l’un de nos premiers marchés. Le pays ayant été mis en quarantaine, la fréquentation étrangère, vitale pour le pays, s’est effondrée. Le pouvoir d’achat a fait les frais du chômage qui a frappé les très nombreux travailleurs exilés au Moyen-Orient qui font traditionnellement vivre leur famille. Notre métier consiste notamment à suivre les flux migratoires de la consommation. Or le phénomène affecte toutes les destinations : l’Espagne, la Grèce, les capitales d’Europe de l’Est. Plus de touristes dans les hôtels signifie plus de saucisses, ni de bacons. C’est aussi simple que ça !
– Comment vous êtes-vous adaptés au ralentissement de l’activité de ces derniers mois ?
Comme j’exerce ce métier depuis trente ans, j’ai appris qu’il fallait y faire preuve de souplesse. Il n’existe plus de grandes entreprises d’import-export de viande comme il a pu en exister autrefois. La professionnalisation, le développement d’Internet, les salons professionnels font que tout le monde connaît les principales sources d’approvisionnement. Nous devons faire avec des moyens plus modestes et nous adapter en permanence à des marchés rarement durables. Il faut être un peu plus malin que les autres pour pouvoir proposer la meilleure offre au meilleur moment.
– La renationalisation des marchés de la viande est-elle une réalité ?
C’est vrai, notamment en viande porcine. Là où autrefois les charcutiers s’approvisionnaient un peu partout dans le monde pour fabriquer leurs jambons ou leurs pâtés, ils privilégient désormais souvent la viande française. Les besoins étaient énormes et la production française insuffisante. Aujourd’hui, la consommation de ces produits a beaucoup baissé et la matière première existe souvent localement. Cela ne nous empêche pas cependant de travailler pour des PME françaises qui ont des besoins spécifiques de matière première.