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Une cuisine orientale héritière des diasporas juives

La jeune nation israélienne hésite encore à affirmer sa propre identité culinaire...

La jeune nation israélienne hésite encore à affirmer sa propre identité culinaire. Israël est pourtant un creuset alimentaire et gastronomique, incarné par les différentes immigrations juives. Mais depuis une petite décennie, la cuisine israélienne fait l’objet d’une reconnaissance internationale, notamment à Paris.

Qu’est-ce que la cuisine israélienne ? Répondre à cette question est une gageure – y compris pour les chefs israéliens – tant cette gastronomie est faite d’influences diverses. Cette cuisine est le produit de sa géographie (Proche-Orient et Méditerranée) mais également des différentes communautés de la diaspora juive (ashkénaze, séfarade, mizrahim) qui constituent la majorité des habitants de l’État hébreu, tout comme les autres populations (arabes notamment) du territoire israélien. Le développement du secteur agricole permet à Israël de subvenir à 95 % de ses propres besoins alimentaires, notamment à travers ses grandes cultures céréalières (blé, sorgho, maïs), son importante production d’agrumes (oranges, pamplemousses, mandarines), de fruits et légumes (avocats, concombres, tomates, kiwis, mangues) ou encore de bananes et des dattes dans les régions ensoleillées. Israël est un pionnier de la micro-irrigation : une technique agricole adaptée aux sols arides qui s’exporte désormais dans le monde entier. Depuis quelques années, le végétarisme et la consommation de produits biologiques (voir encadré p. 32) sont en progression dans un pays où les codes alimentaires sont encore définis, pour beaucoup, par la cacherout, symbole incontournable dans la pratique du judaïsme.

Fusion et de tradition

Israël 8« De toute façon, la cuisine israélienne n’existe pas. Ce sont des recettes de grands-mères qui viennent du monde entier […] Le seul aspect typiquement israélien, c’est la fusion, houtzpa en hébreu », estime Or Bitan, la cheffe franco-israélienne du Dalia (Paris, 2e), dans l’article « La Cuisine israélienne, tendance alimentaire promise » de Libération du 22 septembre 2021. Le restaurant dont elle dirige la cuisine ne se définit d’ailleurs pas comme israélien, préférant proposer « un voyage à travers les saveurs du Levant, d’Israël au Liban, en passant par la Syrie, la Turquie et la Jordanie ». Assaf Granit, éminent chef israélien à la tête des restaurants parisiens Balagan (Paris, 1er) et Shabour (Paris, 2e), fait également ce constat sur la diversité et l’importance de l’héritage dans la cuisine israélienne : « Ma grand-mère Léa est née en Pologne où elle a appris à cuisiner avec sa grand-mère. Lorsqu’elle est venue à Jérusalem, elle s’est créée elle-même un nouveau monde […] Sa voisine d’à côté, née au Maroc, lui a appris comment utiliser le safran. Une femme du bas de la rue venait, elle, du Yémen et lui a appris à faire le malawah [pain traditionnel yéménite]. Israël 9J’ai toujours voulu ouvrir un restaurant, un endroit qui refléterait les secrets de ma grand-mère et les secrets culinaires de Jérusalem. » La cuisine israélienne est une cuisine plurielle qui ne peut être donc résumée au houmous, au tahiné (crème de sésame), au caviar d’aubergines ou encore au falafel (encadré p. 30). Ces produits peuvent être revendiqués par plusieurs pays du Moyen-Orient. En Israël, les borekas (friands fourrés de fromage, d’épinards ou de viande) ou encore la brioche babka – originaires des Balkans et de Pologne – font aussi partie du panel culinaire local. « Il est compliqué de parler d’une cuisine israélienne, c’est un pays qui existe depuis 73 ans, abonde Yariv Berreby, chef israélien et propriétaire de deux restaurants à Paris. Chez Salatim, j’ai commencé par des plats qui viennent de ma famille comme le schnitzel. C’est une escalope de poulet panée, que l’on retrouve en Italie avec la milanaise, mais qui est à la base un plat viennois. En Israël, c’est un plat très apprécié des enfants. Il y a aussi les boulettes de shabbat de ma grand-mère, ce sont des boulettes de viande de bœuf qui mijotent pendant longtemps. La cuisine israélienne passe par des moments de tradition de la culture juive. Mais cette cuisine est encore en progression, ce n’est pas une cuisine figée. »Israël 6

Une notoriété tardive

Israël 3Cette dernière décennie a vu émerger une reconnaissance de la cuisine israélienne dans le monde. De nombreux chefs ont été formés en Europe avant d’importer de nouveaux savoir-faire en Israël et d’ouvrir des restaurants à l’étranger. « L’apprentissage de la cuisine française m’a fait réaliser ce qu’est la cuisine israélienne aujourd’hui. Il y a dix ans, je ne pensais pas qu’il y avait une cuisine israélienne. Cette cuisine a évolué car le métier de chef est devenu assez tendance. Les jeunes qui ont cette passion pour la cuisine peuvent dire à leurs parents qu’ils veulent être chef, sans le côté péjoratif de devenir cuisinier, confie Yariv Berreby, installé en France depuis 2005. Les grands chefs comme Eyal Shani, Assaf Granit ou d’autres, ont grandi à l’étranger grâce à leur formation en France, aux États-Unis ou en Angleterre… Ils sont ensuite revenus en Israël pour faire des sauces, des jus et des condiments avec des produits 100 % israéliens. » Eyal Shani est, en effet, l’un des emblèmes de l’exportation de la cuisine israélienne. Passionné précocement par la gastronomie, le natif de Jérusalem y ouvre en 1989 son premier restaurant (Oceanus), où il développe « un langage culinaire » fondé sur des produits méditerranéens : huile d’olive, poisson, tahini, légumes frais. Figure médiatique en Israël (plusieurs années membre du jury de Master chef), Eyal Shani est reconnu aujourd’hui à l’international avec les restaurants Miznon, dont la première enseigne fut ouverte à Tel-Aviv, avant de s’étendre à Paris, en 2013, puis à Vienne, Melbourne et New York. « L’idée principale de Miznon est d’avoir mis à l’intérieur d’une pita – ce contenant parfait en street food – des plats cuisinés comme une ratatouille, un bœuf bourguignon ou un chou farci à l’agneau, présente David Moyal, fondateurs des trois restaurants Miznon de Paris. Nous sommes sur de la cuisine simple. La cuisine israélienne est très simple et a puisé dans le mélange qu’il y a entre les Polonais, les Russes, les Marocains ou encore les juifs d’Irak. » Malgré cette simplicité, la cuisine israélienne est désormais considérée et primée. Assaf Granit, autre habitué du petit écran en Israël, a été auréolé de sa première étoile dans le Guide Michelin en 2021. Le Guide rouge a souhaité récompenser son restaurant Shabour pour une « cuisine créative aux influences méditerranéennes, généreuse et surprenante », caractérisée par sa fraîcheur « à l’image de ces carottes, œuf mollet, écume de tahini, œuf de saumon et tzimes [ragoût de légumes ashkénaze, NDLR] ».Israël 4

Kibboutz et Agritech

Israël est un pays développé, dont le PIB par habitant se situe dans la moyenne des pays de l’Union européenne. « C’est le pays qui investit le plus en recherche et développement au monde, devant la Corée du Sud et le Japon », soutient la fédération de transformateurs et distributeurs NatexBio. Cette avancée technologique se retrouve dans l’agriculture et particulièrement la micro-irrigation. En 1965, une technique avancée de goutte-à-goutte a été développée par la société israélienne Netafim, pour faire « fleurir le désert » du Neguev et y faciliter la production de fruits et légumes. « Dans l’agriculture traditionnelle, la moitié de l’eau utilisée pour irriguer est perdue. Le système du goutte-à-goutte permet de réduire la consommation de 50 % », expliquait à La Tribune en août 2016 Natam Barak, directeur commercial de l’entreprise. Le goutteur conçu par Netafim résulte d’un accord entre l’ingénieur Simcha Blass et le kibboutz Hatzerim, où il fut expérimenté. Cette technologie agricole est désormais utilisée dans plusieurs régions infertiles : 110 pays ont fait appel aux services de Netafim dans le monde. En 2016, la société israélienne contrôlait 30 % du marché mondial du goutte-à-goutte. L’organisation agricole en Israël s’appuie majoritairement sur les kibboutz – communautés dans lesquelles les moyens de production et les bénéfices sont collectivisés – et les moshav, villages coopératifs plus classiques avec une exploitation individuelle des terres, qui réunissent environ 90 % des terres arables israéliennes et totalisent 76 % de l’élaboration de produits frais. Malgré des modèles agricoles traditionnels, de nombreux instituts israéliens comme Volcani Center ou l’Institut Weizmann forment des chercheurs et des agronomes du monde entier. De plus, Tel-Aviv, capitale économique du pays, accueille tous les trois ans le Salon international des technologies agricoles (Agritech), où des innovations d’agro-écologie, d’intrants agricoles, de produits chimiques ou de biotechnologie – à l’instar de la viande in vitro (encadré p. 32) – y sont exposées.

Jérémy Denoyer

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Le falafel: un plat national?

Cette boulette frite, composée de pois chiches ou de fèves écrasés, est l’objet d’un débat concernant son origine. Très répandu au Proche-Orient – notamment au Liban ou en Syrie – le falafel se retrouve presque inévitablement sur toutes les tables égyptiennes. En Israël, les falafels sont souvent consommés dans des sandwichs de pain pita et incarnent la street food locale. Mais peut-on considérer le falafel comme un aliment israélien ? Selon Pierre-Brice Lebrun, auteur de nombreux ouvrages sur la gastronomie, dont Petit Traité du pois chiche, publié aux éditions Le Sureau, 2011, le falafel serait « probablement né en Égypte, 1 000 ans avant Jésus Christ ». Mais l’écrivain ajoute que son origine est difficile à déterminer : « On sait que les Égyptiens avaient des fèves, qu’ils connaissaient la friture et qu’ils utilisaient de la graisse animale. Une autre théorie le dit inventé plus particulièrement par les chrétiens coptes d’Égypte. Ces derniers l’auraient utilisé pour remplacer la viande pendant le carême. » Mais le falafel ayant l’aspect d’une boulette de viande, il pourrait avoir une autre racine. « Il faut dire aussi que beaucoup de boulettes, à travers le monde, sont d’origine juive », ajoute l’écrivain. La bataille sur l’origine du falafel n’est donc pas terminée.Israël 5

Viande in vitro: le pari d’Aleph Farms

Le travail de recherche a commencé en 2017 et l’objectif devrait prochainement voir le jour. Aleph Farms, société israélienne installée au sud de Tel-Aviv, aboutira d’ici à 2022 à la commercialisation de viande obtenue par culture cellulaire. Avec ce projet de clean meat, l’ambition est de « proposer un produit qui reproduit la structure de la viande de la manière la plus fidèle possible », expliquait dans les colonnes des Échos Didier Toubia, le P-DG français de cette start-up israélienne de food tech. « Nous sommes les seuls à tenter de cultiver quatre types de cellules sur notre plate-forme pour répliquer la texture de la viande », précise le patron d’Aleph Farms. Ce projet de viande in vitro ne laisse pas indifférent Leonardo DiCaprio. L’acteur américain a annoncé, en septembre dernier, avoir investi dans deux start-up engagées dans cette démarche : la hollandaise Mosa Meat et… Aleph Farms. Ces entreprises offriraient, selon lui, « de nouvelles façons de satisfaire la demande mondiale de viande de bœuf, tout en résolvant certains des problèmes les plus pressants de la production industrielle actuelle de viande bovine ».Israël 1

Végétarisme et produits biologiques

Les Israéliens sont réceptifs à une alimentation qui exclut la chair animale, voire l’ensemble des produits d’origine animale. En 2015, une étude prétendait déjà que 13 % de la population israélienne était végétarienne ou végétalienne. Les interdits alimentaires observés dans la religion juive pourraient expliquer cette capacité à se diriger vers une alimentation non carnée. Le rabbin Yehoshua Halevi Horowitz avait d’ailleurs publié, dès 1937, Le Livre du véganisme, ouvrage de référence sur la question. Ces dernières années, « la cuisine végan s’est beaucoup développée en Israël, remarque Laurent Gahnassia, directeur de communication de l’Office israélien du tourisme. Tel-Aviv est l’une des premières villes végan au monde. » Ce respect d’une alimentation saine et éthique se retrouve aussi dans l’importance accordée aux produits biologiques. « L’agriculture bio est née, certes modestement au départ, dès les années 1960 dans les kibboutz », affirme la fédération syndicale NatexBio. Israël serait le principal marché bio du Moyen-Orient : la consommation des produits biologiques transformés y était estimée en croissance de 4,4 % par an pour les années 2015-2020, selon l’Organic Trade Association.Israël 7