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Christopher Hache

Le luxe, c’est l’authentique

Le jeune chef des Ambassadeurs a patienté quatre ans jusqu’à la réouverture de l’hôtel de Crillon et de son nouveau restaurant gastronomique, L’Écrin. Une période qu’il a mise à profit pour voyager et pour… mieux connaître le marché de Rungis.

Christopher Hache a mené une drôle de vie ces cinq dernières années. Arrivé en 2010 à la tête du restaurant Les Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon, ce chef en pleine ascension doit composer, en mars 2013, avec la fermeture du célébrissime palace de la place de la Concorde pour des travaux qui dureront quatre ans. Une longue parenthèse que le cuisinier va mettre à profit pour parfaire sa connaissance de la haute gastronomie dans des établissements prestigieux en Asie, aux États-Unis et en Amérique latine, et avec un détachement au Crillon de Londres du groupe Rosewood Hotels & Resorts, l’entreprise désormais propriétaire de l’hôtel parisien.
La longue préparation de Christopher Hache à son rôle de futur « chef exécutif » de l’hôtel de Crillon s’achèvera sur le marché de Rungis. « À l’approche de la réouverture, le patron de Mandar, David Abramczyk, qui est un ami, m’a proposé de nous installer, avec Justin Schmitt, le chef de la brasserie, dans son Académie de cuisine », raconte Christopher Hache. Le duo saute sur la proposition, fait transférer quelques équipements stockés à la Concorde, et s’installe chez le spécialiste des fruits et légumes et des herbes aromatiques. « Pendant plusieurs mois, de mai 2016 à mars 2017, nous avons pu préparer les nouvelles cartes et mener nos essais dans des conditions idéales », se souvient le chef.
Brouillon auto 52 Chaque jour, ces deux acheteurs pas comme les autres font leurs courses sur le marché de Rungis et vont à la rencontre de leurs fournisseurs réguliers que sont Huguenin, Les Vergers Saint-Eustache ou Le Delas. « Pendant neuf mois, nous avons vécu au rythme de Rungis, de l’arrivée rituelle des sapins de Noël à l’inauguration de la nouvelle halle bio. » La fréquentation du marché jouera un rôle non négligeable dans l’inspiration des cartes des deux tables du « nouveau Crillon » : L’Écrin, le restaurant gastronomique supervisé par Christopher, et la brasserie Aumont, dirigée par Justin. « C’est dans les cuisines de l’Académie Mandar que j’ai conçu l’un des plats signature de la nouvelle carte de l’Écrin, les champignons de Paris en crumble », souligne-t-il. Le plat est emblématique de la quête permanente d’authenticité du cuisinier. « Le champignon de Paris, c’est un produit que l’on retrouve partout. C’est donc plus risqué de le proposer à la carte que de la langoustine, du caviar ou de la truffe. Mais c’est également cette audace qui marque les palais et les esprits », souligne-t-il. Pour arriver à sublimer le champignon de Paris, Christopher Hache n’a pas ménagé ses efforts, ni sa créativité. « Pour obtenir quelque chose hors du commun, j’ai dû rechercher le produit et le producteur qui sortaient du lot, travailler la cuisson (plus de huit heures, NDLR), la recette ou encore l’accord mets-boisson (c’est du thé Pu-Erh qui a été retenu) ». Le service lui-même a été soigneusement réfléchi, avec une assiette en porcelaine créée par la céramiste Virginie Boudsocq, qui imite l’intérieur d’un champignon.

Des petits pois et c’est tout

« Quand je cherche l’inspiration, je reviens toujours au produit, dans toute sa simplicité et sa fraîcheur », insiste le chef. Celui-ci voudrait remettre à l’honneur à sa table de l’Écrin le petit pois, « sans rien d’autre, seulement des petits pois et du sel. Bien sûr, cela va réclamer de la technique, et j’ai déjà des idées, mais cela nécessite également un produit d’exception que je suis en train de chercher ».
Un tel niveau d’exigence impose des relations très suivies avec ses fournisseurs, un domaine dans lequel Christopher Hache s’investit beaucoup. « Pour le restaurant gastronomique, qui ne compte que 24 couverts pour un seul service et nécessite donc de petites quantités, j’ai recours à des produits sur mesure, souvent traités en direct ou parfois regroupés par des fournisseurs de Rungis. » Le fameux champignon vient d’une des dernières champignonnières de la région parisienne, située à Carrières-sur-Seine (Yvelines). Le chef s’approvisionne également en produits maraîchers auprès de la ferme des Alluets (Yvelines) et en asperges auprès de Sylvain Erhardt, dans les Bouches-du-Rhône.
Brouillon auto 51 « Mais je ne vais pas vous révéler toutes mes adresses, cela fait aussi partie des secrets de fabrication ! » Estimant qu’il est important pour un chef de connaître les conditions de production de ses approvisionnements, Christopher Hache envisage même de constituer son propre potager avec le groupe Mandar, qui dispose d’une ferme de 14 hectares dans le Loiret.
L’offre de restauration de l’hôtel de Crillon ne se limite cependant pas à la cuisine d’orfèvre de l’Écrin. Outre le restaurant gastronomique, Christopher Hache a en effet la responsabilité de superviser l’activité de la brasserie d’Aumont, du bar des Ambassadeurs, du salon de thé Jardin d’hiver, et des nombreux banquets et réceptions. « Pour approvisionner tous ces points de restauration, nous nous appuyons beaucoup sur le marché de Rungis », précise le chef. Outre les grossistes déjà cités, le chef évoque Dominique Faye pour la truffe ou les établissements Reynaud pour les produits de la mer. « C’est une très grande maison qui a la capacité de trier pour les établissements de notre catégorie qui ont des débits importants sur certains produits recherchés. » La brasserie d’Aumont dispose en effet d’un crudo bar, qui propose une sélection de délices marins prêts à déguster, servis dans des plats en céramique conçus par le chef lui-même. « Nous avons l’avantage de disposer de notre propre parc à huîtres, situé sur l’île de Callot, dans le Finistère nord, qui nous garantit une traçabilité et une fraîcheur parfaites. On y produit notamment des n° 4 d’une grande finesse, très iodées, pas trop charnues », explique cet adepte du poisson ikéjimé.

Se plier à la nature

Tous les deux convaincus des mérites du contact avec les producteurs, Christopher et Justin se partagent la viande bovine d’un éleveur de vaches allaitantes situé à Soissons. « Nous nous sommes tous les deux formés à la découpe auprès du boucher Yves-Marie Le Bourdonnec, qui nous a présenté cet éleveur de Salangus, un croisement de Salers et d’Angus. Nous achetons des quartiers entiers de façon à travailler de manière plus responsable en matière de rendement. »
Le goût de l’authentique qui anime Christopher Hache l’oblige à se plier aux caprices de la nature. « Je m’impose toujours un temps d’arrêt au moment des changements de carte, de manière à savoir si la nouvelle saison est réellement engagée. » Selon le chef, les évolutions climatiques jouent de plus en plus sur la saisonnalité des produits. « Je constate que des productions dont la saison semble démarrer, comme les asperges ou les morilles dernièrement, peuvent tout à coup être compromises en qualité par des changements brutaux de température. Les chefs étant les garants du goût, ils se doivent d’y être attentifs. »

Bruno Carlhian

 

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Une ascension express

Né dans le milieu de la restauration, Christopher Hache en a vite gravi tous les échelons. Formé par les plus grands, d’Éric Briffard à Éric Frechon en passant par Alain Senderens, il contribue à la troisième étoile du Bristol en 2009 avant d’être propulsé l’année suivante, à seulement 28 ans, comme chef des cuisines de l’hôtel de Crillon, où il a la lourde tâche de succéder à Jean-François Piège. En à peine un an, il obtient une première étoile pour les Ambassadeurs et officie jusqu’à la fermeture provisoire du palace pour travaux début 2013. Désormais « executive chief » de l’hôtel de Crillon, Christopher Hache est, à 36 ans, à la tête d’une équipe de près de 70 personnes et d’une restauration à multiples visages. Il est en effet chef de l’Écrin, pour lequel il a déjà obtenu une première étoile en février dernier, mais gère également l’ensemble des points de restauration du palace avec des offres adaptées aux différentes attentes. « L’une des nouveautés au Crillon, c’est le Jardin d’hiver, un salon très féminin avec une cuisine légère, à base de légumes frais et d’ingrédients healthy, comme la spiruline et l’aloe vera. » Une grande polyvalence et un investissement personnel de tous les instants qui n’empêche pas ce chef discret de se montrer d’une grande disponibilité.