Il pleut des hallebardes sur Rueil-Malmaison en ce premier samedi de mai et cela n’a pas entamé la bonne humeur de Christian Constant. Depuis le petit matin, le plus occitan des chefs parisiens arpente de son accent chantant les allées du marché de la Place Jean Jaurès où le maire Patrick Ollier donne ce jour-là le coup d’envoi de la Fête internationale des marchés. Suivi d’une petite meute de journalistes, le parrain de l’édition 2019 discute gigot avec Laurent Callu, président de la Fédération de la boucherie et des métiers de la viande de Paris et de la région parisienne, croque un haricot vert chez un primeur, goûte une fraise chez un autre, avant d’accorder en souriant une interview aux caméras de France 3. C’est son vieux complice, le journaliste Jean-Luc Petitrenaud, rencontré il y a trente-cinq ans alors qu’il était second au Ritz, qui lui a suggéré de l’accompagner dans la promotion de l’opération. « Je n’ai pas hésité une seconde avant de m’engager, assure Christian Constant entre deux gouttes. J’adore faire le marché, en tant que cuisinier, mais aussi à titre personnel. C’est là que commence souvent la préparation d’un plat, que viennent les idées d’association, évidentes ou improbables, entre un produit et un autre. C’est là aussi que se réveille l’envie, grâce aux odeurs, aux couleurs. » Ces sensations, le chef, désormais partagé entre le Café Constant à Paris et le Bibentà Toulouse (lire encadré), les a longtemps éprouvées sur un marché de gros, celui de Rungis. « C’est Manuel Martinez, ancien chef de la Tour d’Argent, qui venait de racheter le Relais Louis-XIII, qui m’y a emmené pour la première fois dans les années 1996-1997, raconte Christian Constant. Je quittais le Crillon pour monter le Violon d’Ingres, je voulais absolument acheter moi-même, voir les produits, les sélectionner… et les acheter moins cher ! », confie-t-il. L’assistance de l’ancien chef de la Tour d’Argent va aider le nouveau chef d’entreprise « à trouver son chemin dans cette caverne d’Ali Baba ».
Le chef, qui décrochera bientôt une première étoile au Violon d’Ingres, fréquente alors le marché de Rungis deux fois par semaine, « le mardi et le jeudi ».« C’est un lieu qui m’a beaucoup inspiré. Si je partais avec une liste précise, je m’y laissais aussi volontiers séduire par des produits de saison : de l’oseille, des pousses d’épinard, des petits pois, mais aussi de beaux gibiers, pendant la période de chasse. Dans le camion du retour, je me laissais bercer par les effluves de fraise ou d’herbes aromatiques pour imaginer ce que j’allais en faire. »
De plus en plus connu du grand public, le chef prend déjà le temps de partager son amour de la cuisine avec ses contemporains. « À l’époque, j’avais à peine de temps de décharger mes achats de Rungis dans le 7e arrondissement que je repartais sur la route pour participer à l’émission “C’est au programme” de William Leymergie et Sophie Davant, au cours de laquelle je préparais un plat en direct. Cette course contre la montre m’a donné des sueurs froides plus d’une fois ! »
En pleine ascension, l’entreprenant cuisinier ouvre alors successivement le Café Constant, les Cocottes et les Fables de La Fontaine. Celui qui sera intronisé quelques années plus tard à la Commanderie des gastronomes de Rungis doit alors renoncer à venir faire ses achats lui-même sur le MIN. « Avec le temps, j’avais lié des relations de confiance avec des fournisseurs, comme les Pêcheries des Lilas, les Vergers Saint-Eustache, Avigros, les Boucheries nivernaises ou certains maraîchers. Tout naturellement, j’ai continué à travailler avec eux en centralisant les commandes pour les différentes adresses et en les faisant livrer. »
« Une seule vérité, celle du produit »
Pour autant, le chef a toujours souhaité garder un contact direct avec les produits. « Il m’arrive encore souvent de m’arrêter sur le chemin du restaurant chez mon voisin primeur Harry Cover, pour regarder ce qu’il a et éventuellement lui commander des fruits ou des légumes qui me plaisent. C’est une maison bien connue à Rungis, qui sait ce que je recherche et peut toujours me dépanner. Des intermédiaires compétents comme ceux-là sont toujours importants ».
Pour Christian Constant, la qualité de la matière première est au cœur de tout projet culinaire. « S’il y a plusieurs types de cuisine, il n’y a qu’une seule vérité, c’est celle des produits », explique d’expérience le chef dont le Michelin a récompensé le rôle de mentor de toute une génération de cuisiniers. « Je vous assure que je me régale autant aujourd’hui sans étoiles que quand j’étais chef au Crillon où j’avais accès aux denrées les plus nobles et les plus chères. Au Café Constant, j’aime que tout le monde puisse venir, ministre ou client lambda, le matin, pour manger une omelette, à l’apéritif pour un verre avec des tranches de saucisson ou à midi, pour déjeuner bon et pas trop cher. Ce côté populaire, mais exigeant, c’est mon style. »
Le mentor de toute une génération de chefs français n’a ainsi pas hésité il y a quelques mois à ouvrir un food truck à quelques encablures de son Bibent de la place du Capitole à Toulouse. « Je voulais faire goûter de bons plats aux gens de la ville qui n’auraient pas le réflexe ou les moyens de venir au restaurant à midi. Même avec des moyens modestes, on doit pouvoir accès à de bons produits. Il n’y a pas de raison que cela coûte cher ».
La convivialité que Christian Constant a toujours souhaité associer à sa cuisine, il la retrouve aujourd’hui volontiers sur les marchés. « J’ai redécouvert il y a quelques semaines, le marché d’Anglet, près de là où je viens de m’acheter une maison pour me rapprocher de mes filles. Les gens y passent parfois toute la matinée pour faire leurs courses avec leurs enfants, mais aussi pour se partager des huîtres, boire un verre où manger
une omelette aux cèpes. C’est une formule qui séduit beaucoup la nouvelle génération des 25/35 ans et je pense qu’elle a beaucoup d’avenir en France. » L’ancien juré de « Top chef » a joint le geste à la parole quelques jours plus tard en participant au concours culinaire du « Meilleur sandwich d’ici », organisé sur le marché d’Audruicq, dans le Pas-de-Calais. Le parrain 2019 de l’opération « J’aime mon marché » n’a décidément pas démérité.
Bruno Carlhian
