« Tu ne peux pas te rendre compte tant que tu n’y es pas allé ! » Le sourire malicieux et le verbe franc, Julia Sedefdjian évoque le Marché de Rungis avec l’engouement d’un chef face à un parterre de produits. « T’arrives là-bas et la première impression que tu as, c’est de voir une ville dans la ville. Il y a même des noms de rues », s’exclame-t-elle. Pour la cheffe, le meilleur moment se situe aux alentours de 1 h du matin, après le service du soir, car « c’est là que le Marché vit le plus, que les grossistes préparent les commandes et que l’on assiste au bal des produits ».
Originaire de la région niçoise, Julia Sedefdjian n’a que 17 ans quand elle décide de poser ses casseroles à Paris. Inspirée très tôt par la gastronomie, elle a décroché un CAP cuisine, puis un CAP pâtisserie et s’est imprégnée de la culture culinaire locale, tournée vers la Méditerranée. Elle se frotte alors à la découpe de différents poissons ou encore à la préparation des légumes du soleil chers à sa région (courgettes, aubergines, tomates, pois chiches) au sein du restaurant L’Aphrodite ; un établissement qui a depuis fermé ses portes. « La proximité de la mer permet notamment d’obtenir des poissons de la pêche du jour », résume la cheffe de 25 ans. À Nice, certaines traditions perdurent encore et laissent une empreinte indélébile. Ainsi, elle se souvient de ce « vieux monsieur qui venait toquer à la porte du restaurant » pour présenter les prises du matin. C’est à lui que revenait la lourde tâche de fournir l’établissement en sardines et anchois. « À la fin, je n’étais plus réjouie de le voir arriver, car c’était bien sûr à moi, en tant qu’apprentie, de désarêter les poissons », sourit-elle. Avec le recul, ce qu’elle pouvait parfois prendre pour une corvée s’est révélée être une vraie chance : « Ces produits étaient exceptionnels ! »
Le grand bain parisien, Julia Sedefdjian l’a choisi en 2012 dans le but de « se tester ailleurs durant un an ou deux », avec le projet indéboulonnable de rentrer par la suite au pays. Huit ans plus tard, force est de constater que la Niçoise est devenue l’une des cheffes les plus en vue… de Paris. À son arrivée et à 17 ans, elle intègre les cuisines du restaurant étoilé Les Fables de la Fontaine en qualité de commis. « Je voulais uniquement une table étoilée, car si je quittais ma famille, ce n’était pas pour rien », explique-t-elle. Anthony David est alors à l’œuvre aux fourneaux et prend sous son aile Julia Sedefdjian. Cette dernière gravira rapidement les échelons : commis, demi-chef de partie, sous-chef puis cheffe, à 20 ans. « J’ai d’abord appris à être une bonne exécutante avant d’obtenir des responsabilités », ajoute la jeune femme.
Étoilée à 21 ans
Elle prend finalement la direction des cuisines de l’établissement en 2015, y impulse d’importants travaux pour faire évoluer Les Fables de la Fontaine de 35 à une centaine de couverts. En 2016, lors de la cérémonie annuelle du Michelin qui voit la remise ou le retrait des fameuses étoiles, Julia Sedefdjian est adoubée à seulement 21 ans, malgré un concept qui a évolué et un nombre de couverts multiplié par trois. Avec sa petite équipe, notamment composée de Sébastien Jean-Joseph en second de cuisine et de Grégory Anelka en directeur de salle (tous deux ont suivi la cheffe pour l’ouverture de Baieta), elle est ainsi récompensée par le célèbre Guide rouge qui décide de laisser aux Fables de la Fontaine l’étoile acquise par Anthony David quelques années plus tôt. Dans le petit monde de la gastronomie, la nouvelle fait grand bruit : non seulement la cuisine de Julia Sedefdjian est appréciée à sa juste valeur, mais elle devient également la plus jeune cheffe étoilée de France.
C’est par le biais du même Anthony David que Julia Sedefdjian a mis les pieds au Marché pour la première fois. Elle a tout juste 18 ans. « Le chef assurait une partie de ses achats à Rungis et nous avions rendu visite à nos différents grossistes. » Nombreux sont les maîtres queux à se dire impressionnés par le pavillon des viandes ; un constat partagé par la cheffe de Baieta qui n’avait jamais vu une telle concentration d’abats, de volailles et autres carcasses de bœuf : « J’adore la marée, mais le pavillon de la viande c’est quelque chose ! » De cette époque, Julia a conservé des liens étroits avec certains grossistes. Fruits et légumes étaient estampillés Vergers Saint Eustache, tandis que les produits de la mer provenaient d’Armara. En 2018, elle décide de lancer son premier restaurant, le bien-nommé Baieta, pour « bisou » en patois niçois. Elle donne alors libre cours à sa cuisine méditerranéenne qu’elle veut accessible (le ticket moyen évolue entre 60 et 65 e) et reçoit, un an plus tard, une étoile au Guide Michelin. Une consécration. « Je m’exprime pleinement », résume-t-elle.
La restauratrice apprécie la proximité qui fait la force des grossistes rungissois. Au fil des ans, elle a également noué des liens avec les Halles de Murat. Il y a quelques mois, Julia Sedefdjian a lancé un second concept : le bar à manger caribéen Bô, pour « bisou » en créole cette fois-ci. Pour ce dernier établissement, qui mise sur les tapas antillaises, les cocktails ou encore une carte de 80 rhums, travailler avec le Marché de Rungis lui a semblé une évidence. « Nous nous sommes dits qu’il fallait absolument sourcer nos produits à Rungis et connaître les grossistes spécialisés dans les produits exotiques et notamment des Antilles. Nous nous sommes donc rapprochés de Maxi Sec », détaille la cheffe. En 2019, Maxi Sec, spécialiste des produits créoles, est devenu Maceo, mais la passion n’a pas changé. On y trouve toujours le meilleur des Antilles, avec notamment des piments, des citrons verts, des patates douces, des bananes plantins, etc.
Mickaël Rolland

La Méditerranée à Paris
Baieta
5, rue Pontoise
Paris 5e
• Tél. : 01 42 02 59 19
• baieta.reservations@gmail.com
• www.restaurant-baieta-paris.fr