Difficile de se méprendre sur la vocation de l’endroit quand on passe devant le Petit Sommelier. En remontant l’avenue du Maine (Paris 14e), le restaurant présente à l’œil du promeneur une vitrine sans équivoque, murée de haut en bas de bouteilles de toutes les régions de France et d’ailleurs. Une affiche, écrite en français et en anglais, précise que le restaurant « est aussi caviste » et qu’il ne faut pas hésiter à demander la sélection des vins à emporter.
Le propriétaire, Pierre Vila Palleja, a repris l’affaire familiale en 2015. Le trentenaire est un authentique sommelier, et grand par la taille et le talent, contrairement à ce que suggère modestement le nom du restaurant. Formé en alternance auprès du chef sommelier du groupe Alain-Ducasse, le patron a œuvré dans quelques grandes maisons comme le Ritz, le Crillon et Lasserre avant de se mettre à son propre compte. Ce membre du comité de dégustation de la prestigieuse Revue des vins de France a concouru cette année à la finale du meilleur ouvrier de France de sa catégorie et se prépare à celle du meilleur sommelier de France, le 11 novembre.
Pierre Vila Palleja fait naturellement partager à ses clients son amour et sa connaissance du vignoble. Le Petit Sommelier dispose ainsi de l’une des plus belles cartes des vins de Paris, avec environ un millier de références, souvent proposées à des prix très raisonnables. L’adresse commence à être bien connue des œnophiles qui s’y retrouvent pour partager un joli flacon et se bousculent pour participer aux dîners vignerons (lire encadré).
Pour séduire les gourmets, encore fallait- il que le Petit Sommelier proposât des assiettes à la hauteur de ses vins. Pour cela, Pierre Vila Palleja est allé chercher Nicolas Bouillier, 43 ans. Ce chef discret a lui aussi été formé à l’école de grandes maisons, Le George, Les fables de la Fontaine ou Etc, le restaurant de Christian Le Squer avant qu’il ne prenne la tête du Cinq. Le cuisinier explique avoir été séduit par le challenge de proposer des plats autour desquels le sommelier suggère des accords classiques ou plus inattendus.
Une adresse multiforme
« La mission était de construire deux cartes, l’une de bistrot, et l’autre plus gastronomique, répondant aux deux facettes de l’établissement », explique Nicolas Bouillier. Situé à deux pas de la gare Montparnasse, le Petit Sommelier assure en effet un service de brasserie en continu pour les voyageurs de passage mais propose également des plats plus bistronomiques à une clientèle d’affaires et de gourmets qui s’y donnent rendez-vous. « C’est le côté atypique de l’établissement. Il faut s’attendre aussi bien à cuire les croissants le matin qu’à préparer un turbot en plein milieu de l’après-midi ! » Quelle que soit la carte, le responsable de la petite brigade de six personnes (sur une quinzaine d’employés au total) sait pouvoir s’appuyer sur ses fournisseurs de Rungis. « Le Marché constitue, de loin, ma première source d’approvisionnement, avec au moins trois quarts de mes achats », explique le chef du Petit Sommelier qui se fait livrer quotidiennement viandes, poissons et fruits et légumes. « J’ai malheureusement peu l’occasion de me rendre sur place, même si j’essaie de temps à autre d’aller rencontrer mes fournisseurs les plus importants, comme Masse, Blanc, Charraire et Metzger », dont les noms sont cités bien en vue en début de carte. « Les pièces de bœuf grands crus des frères Metzger » constituent l’un des piliers de la carte de la brasserie, aux côtés des charcuteries de la maison Bobosse. « C’était une volonté de Pierre que de s’appuyer sur une signature renommée de la viande car nous avons une clientèle amatrice de grillades », explique le chef. La lecture de la carte des viandes sélectionnées par les bouchers rungissois ressemble à s’y méprendre à celle de la carte des vins : « entrecôte d’Argentine, tartares XXL, L-Bone grand cru, côte de bœuf premier cru Aberdeen-Angus, côte de bœuf grand cru maturation spéciale », etc. De quoi donner la réplique dignement aux belles bouteilles de Bordeaux ou de Bourgogne.
Des plats devenus incontournables
Les produits de Rungis contribuent également à alimenter la carte du restaurant, plus saisonnière et plus créative. « L’idée, c’est de proposer une cuisine inventive en se basant sur des produits frais, de saison et de très bonne qualité », explique Nicolas Bouillier, qui fabrique lui-même ses terrines (avec les foies gras de chez Masse), son pâté en croûte (« avec les restes de gibier, de ris de veau et de foie gras, notamment ») et ses tartes aux fruits avec, par exemple, les figues de Charraire. Quelques recettes du chef, remarquées des critiques gastronomiques, sont même devenues des incontournables de la carte, comme le mille-feuille d’anguille fumée, foie gras et pomme Granny, raifort allégé que le chef a « conçu comme un opéra », ou le poulpe de Galice et coques, fenouil à l’orange, olives et poutargue. Le cuisinier sait également « se faire plaisir » avec des suggestions de haute volée comme son lièvre à la royale façon sénateur Couteau, qui ne déparerait pas sur une table étoilée.
Au Petit Sommelier, le vin n’est cependant jamais très loin, avec un menu permanent (37 euros) décliné avec trois vins (+ 20 euros). « Des accords ont été imaginés par Pierre avec tous les plats », indique Nicolas Bouillier, qui souligne « le dialogue » entre les deux professionnels autour des meilleures harmonies. La rascasse à la plancha, risotto de légumes, fragola sarda et condiment de tomate a été ainsi invitée récemment à un mariage de saveurs avec un bandol blanc du domaine Tempier, la poêlée de cèpes des Vosges s’est acoquinée avec un champagne Initial de Jacques Selosse et la tarte fondante au chocolat 66 % pur Caraïbes a convolé avec un porto Barao de Vilar de 2003. « Mais rien n’est imposé, tout est juste suggéré », souligne Nicolas Bouillier. Pour que ce Petit Sommelier laisse toujours un grand souvenir.
Bruno Carlhian
Encadré
