Nouvelle réglementation européenne, mise en place de la loi EGalim dans la restauration collective, ralentissement des achats à domicile, la filière bio est à un tournant.
Dossier réalisé par Bruno Carlhian et Olivier Masbou
Après avoir été reportée d’une année (en raison de la crise sanitaire), la nouvelle législation européenne sur l’agriculture biologique entrera en vigueur le 1er janvier 2022. Pour la Commission européenne, à l’origine de cette évolution, il fallait adapter les textes à un secteur agricole en croissance rapide ; l’actuelle réglementation datant de 2009. « La nouvelle réglementation vise à garantir une concurrence équitable pour les agriculteurs, tout en prévenant la fraude et en préservant la confiance des consommateurs », précise la Commission. Une partie de la réforme concerne les règles de production. Ces dernières seront simplifiées grâce à la suppression progressive d’un certain nombre d’exceptions et de dérogations. Pour les productions végétales, le texte apporte des précisions sur l’origine des semences et des plants. Par ailleurs, entre deux cultures, les agriculteurs devront obligatoirement cultiver des légumineuses, pour leur rôle sur la fertilité des sols. Les productions hors sol (en hydroponie) sont toujours exclues du label bio.
Importation : durcissement hors ue
Pour les productions animales, c’est bien entendu le renforcement du bien-être animal qui est au centre de la réforme. Les changements les plus importants concernent les élevages de porcs et de volailles et ciblent l’aménagement des bâtiments et des parcours extérieurs. Pour les produits transformés, l’évolution la plus importante vise la fabrication et l’utilisation des arômes. Seuls les arômes naturels seront autorisés. Les règles d’étiquetage vont également évoluer en apportant plus de souplesse (ou moins de rigueur) : les produits avec la mention « Agriculture UE » pourront contenir 5 % d’ingrédients hors Union européenne, et non plus 2 % comme aujourd’hui. De nouveaux produits, actuellement exclus du champ, pourront désormais obtenir la certification « agriculture biologique ». On peut citer notamment le sel, les huiles essentielles non destinées à l’alimentation humaine, les gommes et les résines naturelles, la laine et les peaux brutes, la cire d’abeille, le liège, le maté, les feuilles de vigne et les cœurs de palmier, les cervidés… Enfin, les règles d’importation des produits d’origines non européennes sont renforcées. « Les producteurs de pays non membres de l’UE devront se conformer aux mêmes règles que les producteurs de l’UE », explique la Commission. Ainsi, en l’absence d’accord d’équivalence entre l’UE et le pays concerné, le produit candidat à l’importation au sein de l’UE devra se conformer à la réglementation européenne. Le nouveau règlement n’est qu’une base. Il sera complété par des actes secondaires, qui viendront détailler et compléter sa mise en œuvre. Pour les produits agricoles hors Union européenne, l’entrée en vigueur du texte sera étalée suivant les pays ou les zones de production avec une date limite fixée au 1er janvier 2025. Ce toilettage du règlement bio européen s’accompagne d’un nouveau plan d’action communautaire, lancé en mars 2021. Ce plan d’action vise à atteindre l’objectif du pacte vert pour l’Europe de consacrer 25 % des terres agricoles à l’agriculture biologique d’ici à 2030. Il s’articule autour de trois axes : stimuler la demande et garantir la confiance des consommateurs ; encourager la conversion et renforcer l’ensemble de la chaîne de valeur ; améliorer la contribution de l’agriculture biologique à la durabilité environnementale.
Consommation : accident de parcours ?
L’adoption du nouveau règlement intervient à un moment important de l’histoire de la bio. Après une décennie de progression à deux chiffres de la consommation, les achats se sont soudainement tassés en grande distribution ces derniers mois. Depuis le début de l’année 2021 (période arrêtée au 10 octobre), les ventes ont fléchi de - 1,3 % selon Nielsen dans l’ensemble des circuits de distribution de grandes et moyennes surfaces. En cumul annuel mobile (soit sur une année entière), la progression n’est que de 1 %, contre + 15 % en 2020 et même + 23 % en 2018 ! Selon le panéliste, dont les analyses sont rapportées par le magazine Linéaires, trois indicateurs de consommation expliquent cette contre-performance. D’abord, le marché du bio attire moins de consommateurs qu’auparavant. Ce qui n’est pas très étonnant, puisque 98 % des foyers français sont aujourd’hui acheteurs de bio à un moment ou à un autre. Ensuite, la fréquence d’achat est restée stable cette année (28 actes d’achat) alors même que le nombre de passages en caisse était un des moteurs de la croissance du secteur. Enfin, le nombre de catégories bio achetées en moyenne est identique en 2021 par rapport à 2020 (à 16), alors même que les consommateurs se laissaient convaincre jusqu’à présent par de nouvelles catégories chaque année.
Alors en panne la consommation bio ? Il convient de relativiser cette impression. D’abord parce que sur la longue durée, le chemin parcouru est considérable, le bio passant en une dizaine d’années d’un segment relativement marginal à l’un des moteurs de la consommation alimentaire. Selon l’Agence bio, le marché du bio a franchi en 2020 le cap des 13 Md€ de chiffre d’affaires, en considérant à la fois les achats des ménages pour leur consommation à domicile et les achats en restauration (hors taxe). Il a ainsi presque doublé au cours des cinq dernières années. Le bio s’est imposé en quelques années comme le principal moteur de la croissance d’un marché alimentaire à domicile à la peine par ailleurs. « Si, selon l’INSEE, la consommation alimentaire globale des ménages repart à la hausse après deux ans de régression, son taux de croissance n’en demeure pas moins relativement faible (+ 3,4 %) », note l’agence bio dans son bilan 2020 publié en juillet dernier. « Avec une progression de 12,2 % depuis 2019, le bio est nettement plus dynamique et contribue à lui seul à hauteur de 21 % de la croissance alimentaire globale. » La consommation à domicile de produits biologiques s’élève à 188 € par an et par habitant en moyenne, soit près 6,5 % de la dépense alimentaire des ménages.
Ce segment de la consommation a même donné un coup de jeune à une distribution de détail en panne de relais de croissance. Si la distribution généraliste domine toujours les ventes de produits bio aux ménages avec 54,7 % des parts de marché, elle enregistre un taux de croissance annuel plus faible que la distribution spécialisée bio (+ 11,9 % vs + 13,1 %), qui a gagné en quelques années près de 30 % de parts de marché. De même, les artisans (bouchers, fruits et légumes, crèmerie) connaissent dans cette catégorie de produits une croissance régulière (+ 12 % en 2020), bien qu’ils ne pèsent que 6 % des ventes totales. Si le ralentissement est bien réel, quelques indicateurs suggèrent que la croissance demeure sans doute toujours devant.
En distribution de détail, le paneliste Nielsen constate que la catégorie est loin d’avoir fait le plein, tant en nombre d’actes d’achat (faible par rapport au conventionnel) qu’en nombre de familles de produits achetées. Selon Nielsen, il existe en effet plus de 160 familles de produits comptant une offre certifiée. Or même chez les fervents consommateurs de bio, qui consacrent 10 % de leurs dépenses alimentaires au bio, les achats s’effectuent en moyenne dans 36 catégories seulement.
Restauration collective : l’offensive
L’avenir dira rapidement si le ralentissement des achats était lié aux circonstances actuelles d’incertitude sur le pouvoir d’achat ou si elles sont plus profondes. En attendant, il est un secteur où le bio pense avoir encore tout à faire, c’est celui de la restauration, commerciale, mais surtout collective. Comme l’alimentation conventionnelle, les produits bio ont fait les frais en 2020 de la fermeture temporaire ou durable des établissements accueillant du public. En 2020, les achats de produits bio par la restauration hors domicile (RHD) ont enregistré - 21 points par rapport à 2019, passant de 640 M€ en 2019 à 505 M€ en 2020. Dans le détail, ils s’élèvent à 215 M€ (-14 % depuis 2019) en restauration commerciale contre 251 M€ en 2019 et 290 M€ (- 25 % depuis 2019) en restauration collective contre 389 M€ en 2019. Mais il est une échéance qui ouvre des perspectives positives pour le secteur, celle de la loi EGalim. Elle oblige l’introduction d’au moins 50 % de produits de qualité et durables, dont 20 % bio en restauration collective publique à partir du
1er janvier 2022. Une opportunité qui offre potentiellement un marché approchant les 1,4 Md€ pour les fournisseurs.
L’Agence bio et ses partenaires (dont les organisations professionnelles, la commission bio d’Interbev, le CNIEL, Interfel) étaient présents en force lors du Salon des maires et des collectivités locales, qui s’est déroulé du 16 au 18 novembre dernier à Paris Expo, Porte de Versailles. À cette occasion, les responsables professionnels se sont démultipliés dans les débats et les conférences pour convaincre les élus des solutions disponibles pour relever ce défi. L’une mettait en avant les efforts du conseil départemental de la Drôme et du réseau Manger Bio, l’autre insistait sur les mesures en faveur des petites cantines dans le cadre du plan de relance, la troisième présentait « Mon restau responsable », une démarche gratuite lancée par Restau’Co pour accompagner la restauration collective vers les enjeux du durable et l’évolution de la réglementation. « 100 % bio en restauration collective, c’est possible », assurait-on même sur les stands. L’événement a été l’occasion pour la filière bio de promouvoir le label Territoire bio engagé, la première démarche de labellisation bio des collectivités territoriales proposée en France. Disponible dans six régions (Bretagne, Centre- Val de Loire, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et les Pays de la Loire), le label récompense les collectivités ayant atteint au moins un pourcentage de la surface agricole en bio (pourcentage variable selon les régions) et/ou 22 % de produits bio en restauration collective. À ce jour, ce sont plus de 300 collectivités (252) et établissements qui ont été labellisés (52) en France, dont 50 % sur le critère restauration collective. Afin de promouvoir l’utilisation des produits bio en restauration collective, l’Agence bio a mis à disposition une vidéo sur les enjeux de la loi EGalim à destination des professionnels de la restauration collective, des personnels administratifs et des collectivités ; une autre vidéo pour le grand public ainsi qu’une page dédiée à la restauration collective sur son site internet avec des chiffres, des outils, des informations sur les structures d’accompagnement et des exemples pour inspiration.
Lancement du premier baromètre de la restauration hors domicile (RHD)
FranceAgriMer et l’Agence bio viennent de lancer une étude inédite et ambitieuse sur les pratiques d’achats des acteurs de la Restauration hors domicile (RHD). L’objectif est de mesurer le plus fidèlement possible la quantité, mais aussi la qualité des denrées alimentaires achetées par les acteurs des restaurations commerciale et collective en France. La production de ce baromètre répond à une volonté croissante de maîtrise des origines, labels et circuits d’approvisionnements des produits achetés par la RHD. Il fait écho aux politiques publiques actuelles en matière d’achats de denrées alimentaires, par exemple la loi EGalim, et vise un double objectif :
- analyser selon une méthode qualitative et quantitative les achats des acteurs de la restauration hors domicile, pour l’ensemble des produits alimentaires, en distinguant notamment le bio ;
- créer un système d’informations barométrique de la RHD, comprenant les informations sur les quantités et sur les caractéristiques des produits achetés, accessible à tous et mis à jour régulièrement.
L’Agence bio, 20 ans de développement du bio
Fer de lance de la politique publique et professionnelle de l’agriculture biologique en France, l’Agence bio a célébré récemment ses 20 ans. C’est en effet en 2002 que, pressentant l’essor à venir du bio, les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie ont créé l’Agence bio. Son but est à la fois de chiffrer et d’analyser le marché, mais également d’expliquer et d’informer l’ensemble des citoyens sur les enjeux de l’agriculture biologique. Cet anniversaire a été l’occasion de constater l’évolution du bio en France. En 20 ans, les surfaces cultivées en bio ont été multipliées par 7, ce qui place la France au premier rang en Europe.
Le nombre d’exploitations bio a, quant à lui, été multiplié par 6 en 20 ans, plaçant ainsi la France en seconde position derrière l’Italie. Enfin, rappelle l’Agence, en 20 ans, « Les Français ont donné une place prépondérante au bio au sein de leur foyer. Aujourd’hui, plus de 9 Français sur 10 sont consommateurs de bio. Le marché bio en France a été multiplié par 13 en 20 ans pour atteindre 13 Md€ de chiffres d’affaires en 2020. » Intervenant par vidéo, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, a salué le « dynamisme de l’agriculture biologique […] qui n’est plus un marché de niches en France ». Il a rappelé les objectifs nationaux, notamment que la Surface agricole utile (SAU) française atteigne 18 % en bio en 2027. « Il nous faut faire des choix éclairés et faire prendre conscience que l’on peut manger bio sans se ruiner, à budget maîtrisé », a ajouté la directrice de l’Agence bio, Laure Verdeau. « L’Agence bio doit s’ouvrir à de nouveaux acteurs, tout en gardant ses fondamentaux. Elle se doit d’avoir une vision à la fois transversale et verticale : transversale car elle embrasse tout un système agricole, verticale car il y a un fort lien entre notre environnement, la production agricole et l’alimentation », a conclu Philippe Henry, président de l’Agence.