Fromages d’Outre-MancheFromages d’Outre-Manche

Fromages d’Outre-Manche

Dites « cheese »

Les fromages anglais, écossais et irlandais se sont faits une place sur le plateau de fromages pourtant débordant des Français. Mais la variété et la qualité de la production d’outre-Manche est encore largement méconnue.

Légitimement fiers de leurs 1 200 variétés de fromages, les Français ne sont pas sectaires pour autant en matière d’origine. Après les Pays-Bas et l’Italie, il semble que ce soit au tour des îles d’outre-Manche de bénéficier de leur goût immodéré pour les délices du plateau.
S’il est importateur net de produits laitiers, le Royaume-Uni est aussi, on le sait moins, un exportateur important de fromages, avec environ 190 000 tonnes en 2018, un chiffre en croissance régulière, selon AHDB, l’interprofession britannique. Le fer de lance de l’industrie laitière britannique à l’export est sans surprise le cheddar, qui monopolise à lui seul la moitié des ventes.
Omniprésent dans l’alimentation des Britanniques (il pèse pour 57 % des ventes de fromage au Royaume-Uni), le cheddar se présente sous les formes les plus diverses, du plus standard, destiné aux sandwiches ou hamburgers, aux plus gastronomiques. Originaire du village anglais de Cheddar, dans le Somerset, où il est produit depuis le Moyen Âge, ce fromage s’est développé un peu partout dans les îles britanniques et dans le Commonwealth, au point d’être certainement le plus produit et consommé au monde.
On compte six grandes variétés de ce fromage de vache à pâte dure au goût plus ou moins prononcé et à la couleur jaune pâle, parfois orangé après addition d’extrait de rocou ou annatto. Les différentes dénominations précisent le caractère du fromage, son mode de fabrication ou son origine. Il existe ainsi du doux (mild), du moyen (medium),du fort (mature) de l’extra-fort (vintage) selon la durée d’affinage (de trois à quinze mois) mais aussi du fermier (« farmhouse ») et de l’AOP « West Country ».

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Dénomination générique (comme le camembert ou le brie), le cheddar a la particularité d’être fabriqué à partir des grains du caillé. Une fois soudés entre eux (c’est la « cheddarisation »), ils sont ensuite moulés par gravité dans des tubes. La forme traditionnelle est en briques ou en blocs de différentes tailles, mais les présentations varient à l’infini. En l’absence de contraintes, le cheddar est aussi proposé en rond, en cœur, en tranches, en râpé, en cube, enrobés dans de la cire, fumés, aromatisés (au chili, aux oignons caramélisés, au poivre noir, au whisky), mais aussi mélangés à des herbes, à des fruits, etc.
Situé au cœur du bassin d’origine de la production, WykeFarms, fondé au début du XXe siècle, constitue toujours une référence en la matière. Premier producteur de fromage de la région avec 18 000 tonnes par an, l’entreprise familiale a conservé des méthodes de production traditionnelles avec une maturation dans des boîtes de bois sous la surveillance permanente d’un maître fromager. La crème de ses cheddars est sonIvy’s Vintage Reserve, du nom de la grand-mère du clan Clothier, affiné pendant dix-huit mois à deux ans. Il lui vaut des récompenses régulières comme le « Consumer ChoiceAward » des International CheeseAwards en 2018. « Cette référence fait partie de celle que l’on retrouve à Rungis, avec les blocs de mild et mature », précise Alain Pancelot, directeur export de WykeFarms. « Nous y commercialisons aussi, entre autres, du cheddar fermier, du Stilton, du cheddar en cire 100 g, du Shropshire et de l’agedRed Leicester ».

Des produits protégés… par l’UE !

Mais si le cheddar reste le roi chez la reine, producteurs et laiteries britanniques ont su étoffer leurs gammes et valoriser leurs productions plus typiques, au goût souvent plus prononcé. Outre les fromages frais du type cottage cheese et creamcheese, on trouve outre-Manche d’excellents fromages (de vache) à pâte dure « ferme » (proches du cheddar), comme le Red Leicester, le Double Gloucester, le Derby, le Malvern, le Worcester ou le Hereford, et des pâtes dures « friables » (crumbly), plus jeunes, comme le Cheshire, le Caerphilly, le Lancashire ou le Wensleydale. La réputation des bleus britanniques n’est plus à faire. Le Stilton est le plus connu, mais le pays en compte près de 70 variétés, parmi lesquels le Shropshire, le Cheshire, le Wensleydale, le Dovedale, le Buxton Blue ou encore le Blue Leicester.
Afin de protéger leur patrimoine, les Britanniques ont entrepris de déposer les noms de quelques-unes de leurs spécialités… auprès de l’UE ! Une quinzaine de fromages du pays bénéficient d’une protection européenne. Il s’agit, pour les AOP, du BeaconFelltraditionnal Lancashire, du Bonchester, du Single Gloucester, du Staffordshire, du Swaledale, du West Country Farmhouse Cheddar, du Blue et du White Stilton, du Dovedale et du Buxton Blue et, pour les IGP, du Cheddar des Orcades (Orkney), du Dorset Blue Vinnycheese, de l’Exmoor Jersey Blue Cheese, du Teviotdale et du Yorkshire Wensleydalecheese.

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Peu représentés dans cette liste, les fromages écossais méritent d’être mieux connus. On pense par exemple à l’Isle of Kintyre Applesmoke, un cheddar fumé, au Barwheys, un fromage fermier artisanal de la région d’Ayrshire, au Connage Dunlop, un fromage traditionnel fumé ou au St-Andrews, un fromage fermier traditionnel produit dans la région côtière de Fife.
Enfin, l’Irlande, dont la production laitière s’est considérablement développée depuis la fin de quotas laitiers, contribue elle aussi à satisfaire l’insatiable curiosité fromagère des Français. « Les exportations de fromages vers la France ont atteint 38 MÄ en 2018, un chiffre en baisse par rapport à 2017, mais qui elle-même avait été une année record », précise Stéphanie Lahad, de Bord Bia, le bureau de promotion des produits irlandais. « La grande majorité des fromages exportés sont du cheddar ou de la mozzarella destinée à la grande distribution, la restauration ou l’industrie. Mais on trouve également une petite proportion de fromages artisanaux, dont les ventes sont assez dynamiques », relève-t-elle. À côté des gros transformateurs comme Glanbia, Ornua (ex-Irish Dairy Gold) ou Kerry, des entreprises plus artisanales comme Cashel Blue, qui produit le fromage bleu du même nom, Cahills, fabricant de cheddar au whiskey ou à la bière, ou encore Little Milk Company, petite coopérative de producteurs bio.
Les uns et les autres seront représentés sous le stand de Bord Bia lors du prochain Salon du fromage et des produits laitiers, en février 2020. Quant aux producteurs britanniques, le sort de leurs exportations vers l’UE reste suspendu à un Brexit « hard » ou « soft ». L’imposition de taxes à l’importation porterait un mauvais coup à l’idylle naissante entre les Français et les fromages d’outre-Manche.
B. C.

AVIS DE GROSSISTE

Fromages d’Outre-Manche 3Bruno Chaumet

Responsable commercial produits étrangers chez Desailly
« Les fromages britanniques et irlandais font partie des valeurs montantes parmi les 150 à 200 références permanentes de fromages étrangers que nous proposons. Il y en a vraiment pour tous les goûts, des cheddars destinés aux burgers à des fromages vraiment gastronomiques, prisés par les artisans. L’origine principale, c’est l’Angleterre, où nos commandes sont regroupées par un agent avec un seul transitaire. J’apprécie particulièrement le Leicester, une pâte dure et orangée comme de la mimolette, au goût très doux presque sucré ; le cheddar bio vintage en forme de cœur, une référence qui se vend très bien, ou encore les bleus. Dans ce domaine, nous avons le Stilton, bien sûr, que nous proposons en deux affinages différents, mais aussi le Shropshire, plus fruité et plus accessible à certains palais. Pour l’Irlande, nous travaillons trois références de cheddar à la bière stout, au whiskey et à la ciboulette et, pour l’Écosse, un cheddar fumé au bois de pommier, à la fois puissant et gras. Si ces deux destinations sont difficiles à développer compte tenu des volumes, je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour développer l’offre de produits fermiers britanniques. Il y a plein de pépites outre-Manche ! »