Le chocolat, c’est une affaire de goût. Et celui des Français a beaucoup évolué dans ce domaine. « Jusqu’à une date assez récente, les consommateurs français achetaient le chocolat essentiellement en supermarché, sous la forme de tablettes d’une qualité d’ailleurs très acceptable, mais au goût uniforme », relate Valentine Tibère, « chocolatologue », sorte d’œnologue du chocolat, aussi journaliste et membre du club des Croqueurs de chocolat. « Ce goût, européen et nord-américain, est apporté par des fèves en très grande majorité ouest-africaines, et plus précisément de la Côte d’Ivoire, laquelle représente plus de 40 % de la production de cacao mondiale. Ces fèves-là possèdent une saveur particulière qu’on appelait autrefois African Flavour, et c’était notre référence unique, à nous Français, en matière de goût du chocolat. Ces fèves sont issues d’arbres plus productifs, qui s’adaptent mieux aux sols qui ne sont pas les leurs, puisque le cacaoyer est originaire des zones tropicales humides d’Amérique du Sud. On n’a pas choisi les plants les plus aromatiques, on a pris les plants les plus vigoureux. Les fèves de cacao africaines, quand elles sont fraîches, ont un goût de petit pois, de fève, plutôt plat. Notre goût du chocolat en France, c’est celui des cacaoyers de la Côte d’Ivoire », explique la chocolatologue.
Les débuts difficiles
La « révolution » du goût du chocolat a pris une forme visible en 1995 avec le premier Salon du chocolat à Paris. À cette occasion, des rencontres se sont faites entre des producteurs de cacao, qui sont venus pour la première fois en France et des chocolatiers qui sont ensuite partis voir la matière première sur place. « Ça a été le déclencheur. Pendant le salon, le Club des croqueurs a remis ses premiers Awards, à l’époque c’était surtout des bonbons de chocolat. Ça a été comme un véritable coup de projecteur sur le très bon chocolat. Depuis, cette filière s’est mise à évoluer doucement, et du coup, les chocolatiers, les scientifiques, les agronomes se sont penchés sur les variétés de cacao, ce que l’on n’avait pas trop fait jusqu’à présent. Ils se sont aperçus qu’il y avait vraiment des crus, qu’on pouvait travailler les fèves différemment, par exemple une seule origine à la fois, pour obtenir des chocolats avec un développement d’arômes similaires à celui d’un grand vin. »
L’un des précurseurs est Raymond Bonnat, le premier à avoir osé travailler des fèves d’une seule origine pour le centenaire de sa chocolaterie en 1984. « Avant lui, les chocolatiers faisaient toujours un assemblage pour obtenir le même goût de chocolat, le seul que nous connaissions. Il a commencé à travailler un cru, le Chuao et ses confrères lui ont dit que ça n’allait intéresser personne, que c’était trop pointu… » L’idée a tout de même fait son chemin puisque le géant français Valrhona a sorti deux ans plus tard son Guanaja, un assemblage de plusieurs crus, le chocolat le plus amer du monde. Plus tard, autour de 1998, Valrhona et Cluizel ont lancé les premiers chocolats de plantations. « Mais tout cela restait encore très marginal. »
L’arrivée du « bean to bar »
En parallèle, un mouvement s’était mis en marche aux États-Unis avec le « bean to bar », soit « de la fève à la tablette ». L’idée était de travailler directement des fèves et de jouer sur l’origine. On était dans une démarche d’identification, de traçabilité, de produits plus sains… « Les deux démarches se sont rejointes, et en France, le mouvement s’est vraiment embrasé il y a quelques années seulement. En cinq ans, selon le panel tablettes dont je m’occupe pour le club des Croqueurs, le nombre de chocolatiers y compris les couverturiers* qui travaillaient à partir de la fève de cacao en France est passé de 12 à 60 », détaille Valentine Tibère. Concernant le bio, les choses ont aussi mis du temps à démarrer. Là aussi, le Salon du chocolat de 1995 a joué un rôle de révélateur. « Mais il faut dire que les premiers chocolats bio n’étaient vraiment pas très bons », juge-t-elle. Aujourd’hui, on trouve notamment en grandes surfaces, d’excellents chocolats bio, comme la marque Ethiquable qui vient d’inaugurer une chocolaterie à Fleurance dans le Gers. « Ils travaillent à partir de la masse et non de la fève, mais ces masses sont faites dans les pays producteurs à partir de plantations sélectionnées. On est en bio et en équitable et ça, ça marche très fort auprès des consommateurs. »
Un peu de marketing
Le chocolat recèle de possibilités si nombreuses que le marketing s’en est plus ou moins habilement emparé. Le nouveau chocolat rouge de Barry Callebaut, Ruby, a défrayé la chronique il y a quelques mois. « C’est en fait un genre de chocolat blanc mâtiné d’un peu de cacao. Il contient surtout du beurre de cacao, du lait, et une pointe d’acide citrique. Ce n’est pas un nouveau chocolat. Dans le même ordre d’idée, on trouve beaucoup chez les artisans bean to bar, des Dark Milk, des chocolats à 70 % de cacao, 20 % de lait et quasiment pas de sucre, seulement 10 %. Là aussi, il s’agit d’une nouvelle recette », précise la chocolatologue.
Les lancements se sont ainsi multipliés ces dernières années. Ainsi, la société Barry Callebaut a sorti un chocolat à base de pulpe, cette peau qui entoure les fèves fraîches dans les cabosses. Un chocolat « wholeFruit » qui se veut écologique dans le sens où il utilise une grande partie du fruit alors que normalement, 70 % des cabosses sont jetées. Cette innovation annonce 90 % de fibres et 25 % de protéines en plus que pour les produits standard, et 40 % de sucre en moins. La pulpe de cacao commence aussi à arriver sous forme de jus. Elle est séparée des fèves, puis surgelée. Le chocolatier Chapon est le premier à en avoir proposé. « C’est une boisson délicieuse qui se consomme très fraîche. Il ne faut pas oublier que le cacao est avant tout un fruit tropical. D’ailleurs en Amérique du Sud, les gens sucent les fèves pour la pulpe puis ils les crachent. »
Enfin, « les terroirs, la variété, la fermentation des fèves, plus la torréfaction, le broyage et le conchage sont les opérations qui créent le chocolat. Si vous donnez les mêmes fèves à des chocolatiers différents, vous n’aurez pas forcément le même produit. Il y a aussi de multiples approches, comme les chocolats crus dont les fèves ne sont pas torréfiées, des chocolats aux fruits constitués uniquement de beurre de cacao, du sucre et de poudre de fruits. Le chocolat est le royaume de l’innovation », conclut Valentine Tibère.
Caroline Maréchal
Les Chocolatiers engagés continuent leur mission
La labellisation Chocolatiers engagés, association de bénévoles créée par des artisans passionnés, aide tous les agriculteurs qui ont délaissé la culture de la coca au profit de celle du cacao pour cheminer vers la paix. Après le Cameroun en 2017, c’est la Colombie qui a décidé de signer la charte d’engagement de Chocolatiers engagés en juillet dernier. Trois coopératives dans les municipalités de Tumaco et Guaviaré ont été labellisées. L’objectif, produire un cacao de qualité, responsable, respectueux de l’environnement, des hommes et des femmes et faire reculer l’emprise des trafiquants de drogue. Un projet est également lancé au Togo cette année avec l’ambition de lancer 10 nouvelles origines dans les 10 ans à venir.
Salon du Chocolat
Le prochain Salon du chocolat tiendra sa 26e édition à Paris – Porte de Versailles du 28 octobre au 1er novembre. Au menu : rencontre avec les producteurs et les artisans, dégustations, ateliers, espace dédié aux enfants… Cette année comme depuis sa création, le salon sera notamment le théâtre de la finale du Mondial des arts sucrés et de la remise des Awards du club des Croqueurs de chocolat, lesquels distinguent tablettes et bonbons à chaque édition et ouvrent la route aux nouvelles tendances