Le marché des quatre saisons

La vente de fruits et légumes frais est aussi ancienne que l’existence des halles de Paris. Aujourd’hui encore, c’est le principal secteur du marché de Rungis avec des métiers différents, et complémentaires.

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Le secteur des fruits et légumes est le plus important du marché. Il rassemble plus du quart des entreprises (370 environ) et les grossistes en fruits et légumes réalisent la moitié du chiffre d’affaires total de l’ensemble des grossistes. Les volumes commercialisés représentent 70 % des arrivages de produits alimentaires sur le marché physique. Plusieurs métiers composent la famille des fruits et légumes sur le marché international de Rungis : les grossistes, les courtiers, les entreprises d’import-export et les producteurs.

Le marché des quatre saisonsLes grossistes sont fédérés au sein du SFL, le syndicat du commerce de gros en fruits et légumes de Rungis. Ce syndicat est l’héritier d’organisations professionnelles qui plongent leurs racines dans les halles de Paris. En effet, c’est en 1899 que la corporation se regroupe et fonde la chambre syndicale des expéditeurs et exportateurs de Paris et de la région parisienne. En 1946, au lendemain de la guerre, cette organisation évolue, regroupe toutes les activités des professionnels en fruits et légumes pour devenir l’Union parisienne des syndicats de grossistes en fruits et légumes. En avril 1969, après le transfert des halles de Paris à Rungis, l’Union parisienne devient la chambre syndicale des grossistes, importateurs et courtiers en fruits et légumes puis, dans les années 1980, la chambre syndicale du commerce de gros en fruits et légumes de Rungis. C’est en 2011 que l’organisation prendra son nom actuel.

Grossiste, Jérôme Desmettre est l’actuel président du SFL. Sa famille est originaire du nord de la France. Présente aux halles de Lille et de Valenciennes, elle s’est installée sur le MIN de Lille avant d’ouvrir une succursale à Rungis en 1971. L’entreprise lilloise a été vendue récemment (en 2017) et Desmettre est désormais basé à Rungis au sein du pavillon fruits et légumes ; et également au sein du pavillon bio. Il a commencé à travailler au sein de l’entreprise il y a près de trente ans. « J’ai débarqué à Rungis en 1990, se souvient-il. Il y a une constance, quelque chose qui n’a pas bougé, c’est que ce marché a gardé son ADN. C’est toujours un marché physique qui attire beaucoup de monde. Je n’ai globalement pas vu le volume des fruits et légumes diminuer, même s’il y a eu des évolutions au sein des pavillons. Mais l’activité est toujours là. » Il y a eu toutefois beaucoup de mouvements au niveau des entreprises. « Quand j’ai commencé à Rungis, rappelle Jérôme Desmettre, les entreprises étaient plus petites. Desmettre avait huit portes. Aujourd’hui, c’est 34 portes – plus six portes au pavillon bio. » Et c’est le cas pour beaucoup de sociétés. « Les grossistes se sont agrandis » en reprenant les activités de confrères qui arrêtaient. Desmettre est ainsi constitué de la réunion de sept entreprises. C’est l’illustration même qu’il n’y a pas de disparition d’entreprises à proprement dit, mais plutôt des regroupements, des fusions. Deuxième évolution constatée : « On a tous monté d’un cran la qualité de notre activité. » Les locaux sont climatisés, frigorifiés, et beaucoup d’entreprises du secteur bénéficient de certification comme Fel’Partenariat ou Fel’Excellence. Autre élément majeur, l’évolution sociologique du marché, à la fois chez les opérateurs et chez les clients. L’évolution se rencontre aussi dans l’origine des produits. « Quand j’ai démarré, on pouvait par exemple acheter des bateaux entiers de pêches du Chili. Grâce à l’évolution des techniques de production et de conservation, nous avons désormais une production française plus présente. Ce qui nous permet de répondre à une demande de produits français plus forte. Il y a moins de demande de produits de contre-saison. » En revanche, la demande de produits d’import (bananes, ananas, avocats, agrumes, mangues…) est toujours aussi importante. Enfin, autre évolution notable pour Jérôme Desmettre, l’arrivée d’un privé dans l’actionnariat du marché. « Cela a considérablement orienté le marché ces dix dernières années », constate-t-il en évoquant l’ensemble des investissements réalisés depuis (nouveaux entrepôts, pavillons rénovés, etc.).

Fort dynamisme

Le marché des quatre saisons 2Thierry Mouneyrac, de la société Mouneyrac, est un des derniers grossistes spécialisés du secteur des fruits et légumes. Il ne vend quasiment que des pommes et des poires (à plus de 80 % – la société vend aussi quelques produits de saison : pêches, abricots, melons… en été). « Nous tenons à cette différenciation qui nous permet d’offrir une bonne segmentation produit », explique-t-il. C’est le grand-père corrézien de Thierry Mouneyrac qui est arrivé aux halles en 1928. L’entreprise a donc connu bien des évolutions et est installée à Rungis depuis le déménagement de 1969. « Le marché s’est modernisé, mais la clientèle a changé. Le fruitier comme on l’a connu se fait rare, surtout en province. Aujourd’hui, si nous voulons progresser, il faut aller chercher de nouveaux clients, et aller les chercher ailleurs. Mais j’ai la conviction qu’un fruitier en centre-ville aura toujours sa place, à condition qu’il soit un bon professionnel. Ensuite, il faut bien constater l’arrivée de la grande distribution avec ses enseignes de proximité. Il faudra aussi surveiller internet. Mais je pense qu’il y aura toujours de la place pour le commerce de proximité s’il est qualitatif. Dans ce cadre, le marché physique existera toujours, car c’est l’essence même de l’existence du marché. Et il faut que cela le reste. »

Franck Lliso (Select Agrumes) est également le descendant d’une vieille famille des halles. Ses ancêtres sont arrivés d’Espagne après la Première Guerre mondiale. Il est président de Fructifrui, le réseau des mûrisseurs indépendants. Sa société résume bien les évolutions et les adaptations du métier sur le marché. « Nous avons une vision assez complète des différentes activités sur Rungis. Nous faisons de la vente de gré à gré, de l’import-export. Nous faisons aussi de la prestation de services : mûrissage de bananes, affinage de fruits comme les avocats ou la mangue, stockage et livraisons sur le MIN, préparation de commandes… Ainsi, nous sommes bien présents sur le hub de Rungis, et nous pensons que les activités de services sont amenées à se développer. » « L’import s’est également bien développé avec la multiplication des possibilités de transport, poursuit Franck Lliso. Aujourd’hui, les frontières entre grossistes et importateurs sont de plus en plus floues. Nous sommes sur un métier global. »

Enfin, maillon indispensable du secteur des fruits et légumes, le carreau des producteurs. Benjamin De Vos, maraîcher en Seine-et-Marne, est président du carreau des producteurs de Rungis. « S’il y a eu une baisse du nombre de producteurs, nous sommes une cinquantaine aujourd’hui, le carreau est complet. Il n’y a pas d’espace vide. Le carreau n’a pas perdu pour autant de son dynamisme et de son activité. Son attractivité est toujours là, elle est permanente, tout au long de l’année. Nous avons des producteurs présents en été comme en hiver. » Pour compléter l’offre, le carreau s’est ouvert à ce que Benjamin De Vos appelle des « producteurs volants ». Ce sont des agriculteurs qui proposent des produits avec une saisonnalité très courte : noix, cerises, truffes… « Cela nous a permis de diversifier l’offre. Nous avons ainsi une dizaine de producteurs volants qui viennent très régulièrement. Chaque année, ils reviennent pour une ou deux semaines. » « Si ces gens viennent parfois de loin pour vendre leurs produits, c’est qu’ils trouvent une attractivité. C’est que Rungis, ça vaut le coup ! » Et Benjamin De Vos n’oublie pas l’ouverture, il y a trois ans, avec le soutien de la Semmaris, du Comptoir du carreau, la boutique de produits d’Île-de-France. « Le carreau, c’est 270 produits différents et 14 500 tonnes commercialisées pour un chiffre d’affaires d’environ 17 millions d’euros. »

« Le MIN de Rungis répond à un besoin qui est mis en œuvre tous les jours par le marché physique, conclut Jérôme Desmettre. La promesse de permettre aux Français de manger chaque jour un bon repas est tenue par le marché grâce à la concentration de professionnels installés côte à côte. Cela crée une dynamique qui engendre de ce fait une diversité de produits dans des conditions qui permettent d’avoir cette offre qui est extraordinaire. À Rungis, on ne vend pas de la “bouffe”, on vend un art de vivre, du bonheur dans l’assiette. »

Olivier Masbou