Le vaisseau de la viande a résisté aux tempêtes

Les grossistes en viande, qui ont emménagé à Rungis en janvier 1973, trois ans après les autres activités des anciennes halles de Paris, n’auront pas traversé que des eaux tranquilles en un demi-siècle.

Le vaisseau de la viande a résisté aux tempêtes 1

Face aux vents parfois contraires, le secteur de la viande de Rungis a su se renouveler et propose aujourd’hui une offre de produits et de services sans équivalent. « Lors du récent Sirha (Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation) de Lyon, où les entreprises du pavillon des viandes ont exposé sous un stand commun, j’ai pu constater à quel point les professionnels de province sont émerveillés par la diversité de la gamme de Rungis, souligne Francis Fauchère, président d’Eurodis et du syndicat des grossistes en viande du marché. La clientèle francilienne ne se rend pas toujours compte de tous les ressorts du marché. »
Dans un contexte de baisse régulière de la consommation, le pavillon tire plutôt bien son épingle du jeu, avec une progression des volumes en 2018 de 1,8 %. « Les entreprises du pavillon ont eu le mérite de savoir se démarquer du marché de masse, analyse Francis Fauchère. Nous évoluons sur des marchés de niche, qui ont des niveaux d’exigence élevés et nécessitent de varier le sourcing, de susciter la mode. Pour vendre de la viande, il faut aujourd’hui faire preuve d’une certaine imagination ! » poursuit Francis Fauchère.
Pour continuer à se démarquer, le président croit beaucoup à la culture professionnelle qui se transmet encore sur le marché. « Notre atout, c’est notre capacité à apprécier un produit à sa juste valeur, à en connaître la meilleure destination en fonction des attentes du client, et le tout avec énormément de réactivité. » La présence d’un outil collectif performant n’est pas le moindre des atouts. Il sera encore renforcé cette année avec l’ouverture du VM1, un pavillon du porc flambant neuf, à proximité du V1P.

Bruno Carlhian

« Nous sommes tous concurrents, mais tous collègues »

Le vaisseau de la viande a résisté aux tempêtesCyril Guiraudou, le responsable commercial de LAG Rungis, estime que la force collective demeure un des principaux atouts du pavillon des viandes :
« Isolés, on ne ferait pas le même métier. »
Le pavillon des viandes, Cyril Guiraudou, 36 ans, est tombé dedans quand il était petit. « Je suis incapable de vous dire quand je suis venu pour la première fois à Rungis tellement ça remonte loin », s’amuse le responsable commercial de la société LAG Rungis, qui a accompagné dès son plus jeune âge son père Christian, alors à la tête de l’entreprise familiale Lemaire Audoire Guiraudou. Après des études de droit, Cyril Guiraudou a fait ses premiers pas sous le pavillon en alternance avec des études de commerce à Paris, avant de prendre la direction opérationnelle de l’entreprise. « J’ai la responsabilité du bon fonctionnement de l’activité commerciale de l’entreprise, depuis les achats aux fournisseurs jusqu’à la relation avec la clientèle, précise le jeune dirigeant. J’ai dans ce domaine une grande latitude, tant en matière d’approvisionnement que de choix stratégiques de clientèle. » L’entreprise de commerce en gros de seize employés est un « touche-à-tout » du pavillon. « Nous proposons aussi bien de la viande française haut de gamme – limousine, parthenaise, blonde d’Aquitaine – que des viandes d’importation comme de la blanc bleu belge. La vente se fait aussi bien en carcasse entière qu’en coupe de gros réalisée dans notre atelier agréé ou en catégoriel », détaille Cyril. L’ambition de LAG Rungis est de répondre à l’ensemble des besoins de la clientèle très variée du pavillon : des bouchers traditionnels, des demi-grossistes, des restaurateurs, etc.
L’entreprise, et plus largement le pavillon des viandes de Rungis en général, dispose encore d’un important potentiel de développement, selon Cyril Guiraudou. « Les possibilités offertes par le marché sont encore insuffisamment connues au-delà de l’Île-de-France. Le pavillon offre une gamme de découpes extrêmement large et sait faire preuve d’une réactivité commerciale unique grâce à ses nombreux atouts logistiques, assure le dirigeant. Il y a une vraie force collective sous ce pavillon. Nous sommes certes tous concurrents, mais tous collègues. »

« Un esprit de filière se développe dans l’entreprise »

Le vaisseau de la viande a résisté aux tempêtes 3Annie Pedrosa est directrice du pôle administratif, RH et QSE d’Ovimpex. Elle revient sur l’évolution de ce groupe racheté en 2016 par Arterris et sur son parcours personnel.
Depuis qu’Annie Pedrosa a pris la tête des ressources humaines d’Ovimpex en 2008, le groupe s’est singulièrement étoffé. « À l’époque, l’entreprise comptait trois sociétés et 70 salariés. Aujourd’hui, il y en a sept et nous sommes 220 salariés, sans compter les prestataires de services », précise la directrice du pôle administratif, RH et QSE, par ailleurs membre du comité de direction. Le groupe dispose à la périphérie du secteur de la viande d’un site industriel de 3200 m2 construit en 2000 où sont rassemblées les activités d’Ovimpex, Prestimpex et Dhumeaux. Il a essaimé sous les pavillons V1P avec la création de Vianov et sous celui de la triperie avec Canu, acquis début 2018. L’entreprise pilote également les activités du transformateur MVS à Douai (Hauts-de-France) et d’Alpes Provence Agneaux, implanté à Sisteron, Grillon et Corbas. La croissance du groupe s’est accélérée avec la prise de contrôle d’Ovimpex par Arterris à la fin de l’année 2016. Depuis son rapprochement avec cette importante coopérative occitane, notamment impliquée dans l’engraissement d’agneaux et de bovins, le grossiste et transformateur rungissois a développé ses ventes de viande française. « Nous nous sommes naturellement développés dans les agneaux du sud-est, qui complètent notre offre annuelle, indique Annie Pedrosa. Nous avons également des projets de filières en matière de viande bovine. »
Son expertise et son sens de la communication ont valu à Annie Pedrosa d’être pleinement adoptée par le personnel très masculin du secteur viande de Rungis. « En dix ans, le regard porté sur les femmes dans le métier, et notamment à Rungis, a beaucoup changé, note la présidente de la commission jeunes de la fédération patronale du secteur, Fedev. Ces dernières années, le secteur s’est ouvert sur l’extérieur et cela se retrouve dans les rapports homme/femme. » Selon cette militante de la communication interne et externe, les femmes apportent notamment « une autre façon de voir » l’entreprise et le marché, « avec une vision souvent plus panoramique des enjeux ».

« Porcgros va continuer de grandir avec Rungis »

Le vaisseau de la viande a résisté aux tempêtes 2Né aux halles de Paris en 1947, Porcgros va poursuivre son aventure rungissoise dans le nouveau bâtiment VM1 à partir de la fin mars. « Notre développement est intimement lié à celui du marché », confie son directeur général, Olivier Pellosio.
La construction d’un nouveau bâtiment du porc à Rungis a été l’occasion pour Porcgros, entreprise de découpe et de commercialisation de viande de porc ancrée dans l’histoire des halles de Paris puis de Rungis, d’engager une profonde réflexion stratégique. « Lorsque le principe de la construction du VM1 a été adopté et que la Semmaris nous a interrogés sur nos intentions, nous avons tenté d’envisager les évolutions de notre métier dans les cinq, dix ou quinze prochaines années ; et d’anticiper nos capacités de développement », explique Olivier Pellosio.
La PME d’une cinquantaine de salariés (pour 95 000 porcs découpés chaque année) prend la décision de poursuivre l’aventure rungissoise au sein du VM1 dans des locaux sensiblement plus spacieux (1 350 m2 d’ateliers au sol contre 900 m2 aujourd’hui), dont l’aménagement intérieur a été pensé dans les moindres détails. L’accent a été mis sur la sécurité des collaborateurs, la fluidité des flux, la réduction de la pénibilité et l’amélioration des conditions de travail. « Nous avons trouvé des solutions pour limiter les manutentions humaines et les gestes dangereux, mais aussi réduire l’exposition au bruit et améliorer la qualité de la lumière », indique Olivier Pellosio. Pour limiter le bruit, l’entreprise a fait le choix d’un réseau monorail en téflon, beaucoup moins bruyant que le précédent en acier et réduisant le coefficient de friction de plus de 70 %, et s’est dotée d’évaporateurs deux fois plus silencieux que ceux d’aujourd’hui. Les ateliers seront visibles mais séparés d’une zone de vente conviviale où les clients retrouveront leurs interlocuteurs commerciaux et préparateurs de commandes.
Porcgros, qui s’approvisionne exclusivement en porcs nés, élevés et abattus dans le grand ouest – et très majoritairement en Bretagne –, a profité de ce virage historique pour repenser la segmentation de son offre et sa communication. « En septembre dernier, nous avons lancé une nouvelle marque, Le cochon des halles, particulièrement destinée à la boucherie artisanale avec des engagements forts sur des porcs de filière, où le bien-être animal, l’alimentation, les conditions d’abattage sont définis dans un cahier des charges certifié par Certipaq et issus d’exploitations situées à moins de 100 km autour de l’abattoir. Nous mettons également en place d’autres gammes plus larges, très qualitatives, que vous découvrirez dans nos nouveaux locaux. » L’histoire d’amour entre les familles dirigeantes de Porcgros et les halles, qui dure depuis trois générations, n’est donc pas près de s’éteindre.