Volaille, le grand bond en avant

Les grossistes en volaille ont fait leur révolution il y a huit ans en intégrant le VG1. Quelques acteurs historiques se souviennent et se projettent vers l’avenir.

C’était il y a déjà huit ans. Une éternité à l’échelle du commerce quotidien. Le 5 avril 2011 au matin, le nouveau pavillon de la volaille de Rungis, le VG1, ouvrait ses portes à ses acheteurs. À l’époque, les grossistes qui s’y installent font un véritable bond en avant technologique et logistique, notamment au niveau du froid (2 °C à 4 °C) et des quais de chargement. D’une trentaine de grossistes en volailles qui officiaient sur le marché avant l’inauguration des nouveaux locaux, seules huit entreprises, soit douze enseignes, sont restées après 2011, suite à des regroupements et des concentrations. Aujourd’hui, le pavillon génère quelque 200 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, et emploie en moyenne 200 personnes durant l’année, plus ou moins selon les périodes. Les clients du pavillon sont essentiellement constitués de détaillants, de restaurateurs et de la GMS, centrales d’achat ou magasins en direct. La volaille est un secteur qui se porte bien, avec une consommation en légère hausse, contrairement à l’ensemble des viandes. C’est un produit qui bénéficie d’un bon rapport qualité-prix, et peu de crises sanitaires sont venues entacher son image. Le marché est porteur et la production française importante : le pavillon commercialise 90 % à 95 % de volailles origine France.

Le patriarche

Volaille, le grand bond en avantBruno Courillon, dirigeant d’Eurovolailles
« Je suis certainement le plus ancien du pavillon ! Quarante-deux ans que je suis là. J’ai commencé en 1976, mon père était alors le dirigeant. Maintenant, c’est moi le patron et mon fils est prêt à prendre le relais. » La spécialité de Bruno Courillon, c’est la volaille en général. Il s’adapte aux changements et aux demandes du marché : « Je suis un caméléon. » D’après lui, la volaille est un secteur rentable pour peu qu’on la travaille correctement. « En référencement catalogue, j’ai 4 000 produits, et 400 sur le magasin. Ce qui fonctionne le mieux, c’est toujours le poulet classe A de base, qui fait de très gros volumes. En tant que grossistes, nous sommes obligés de travailler la marchandise basique même si la demande évolue de plus en plus vers la belle qualité. » Chez Eurovolailles, le bio et le label Rouge sont devenus des références. Mais 60 % du chiffre est réalisé avec des produits halal. « Mes clients sont principalement des boucheries, je n’ai que très peu de restaurateurs. Je fais 11 000 tonnes par an sur les deux sociétés. » Le marché s’oriente de plus en plus vers de la commande à livrer, les clients se déplaçant de moins en moins. La vente via internet est délicate pour les grossistes en volailles. « Nos colis ne sont pas en poids fixe. On ne peut pas faire payer d’avance un produit dont on ne connaît pas le poids. Les colis peuvent varier jusqu’à 500 g en fonction de l’offre et de la demande. Si un produit est très demandé, le fournisseur va diminuer le poids des colis, et inversement s’il y a peu de demande. » Le but du jeu aujourd’hui pour Bruno Courillon, c’est de faire revenir les clients à Rungis, parce que les frais de livraison sur la volaille sont élevés. « La volaille est un produit peu cher à la base. La livraison devient valable pour une commande de 800 kg ou une tonne. Sinon, on peut se retrouver avec des coûts de livraison supérieurs à ceux des commandes. » Eurovolailles exporte partout où on le lui demande, dans toute l’Europe mais également à Dubaï où « ils sont attachés à la qualité française des produits label Rouge ».

Le stratège

Volaille, le grand bond en avant 3Pierre Portier, P-DG de Reilhe-Martin
Reilhe-Martin fête ses 125 ans cette année. Cette entreprise était donc déjà aux anciennes Halles de Paris. « Je suis sur le MIN de Rungis depuis trente-huit ans, je suis un passionné et j’adore mon métier. J’ai bien évidemment connu les anciennes structures d’avant 2011, sans froid ni quais de chargement. La nouvelle structure a provoqué un changement radical à tous les niveaux, pour nous comme pour les clients. » Parce qu’autrefois les clients venaient à Rungis, aujourd’hui, pour des problèmes de transport, les restaurateurs ou les bouchers se font tous livrer. « Nous travaillons essentiellement avec des détaillants bouchers et charcutiers, un peu de restaurateurs et une part de plus en plus importante de GMS, presque toutes les enseignes. Nous livrons tous les jours des supermarchés en direct et parfois des plates-formes. Les bouchers de Paris et de banlieue étant moins nombreux depuis dix ans, c’est la grande distribution qui récupère petit à petit ce marché. Nous sommes présents dans les rayons traditionnels, avec des produits plus qualitatifs que sur le rayon libre-service. La GMS a besoin d’apporter au consommateur le même travail et le même service qui étaient proposés chez le détaillant. » Reilhe-Martin a choisi de travailler sur des produits de niche telles les volailles de Bresse, les volailles de Racan, les viandes d’exception comme le bœuf Wagyu ou de Kobé… « Le gros de nos volumes se fait sur la découpe de poulet standard et le poulet fermier. Nous faisons 8 500 tonnes par an, nous sommes l’une des plus petites entreprises du pavillon mais nous nous démarquons par notre stratégie, c’est-à-dire que nous ne proposons aucun produit halal, et nous sommes les seuls. D’un autre côté, nous garantissons 99 % de nos approvisionnements origine France. Nous essayons ainsi de nous distinguer de la concurrence. » Son principal problème aujourd’hui, c’est d’employer des jeunes. Commencer à minuit, ça n’intéresse pas grand monde… « C’est dommage parce que c’est une activité passionnante, polyvalente, qui offre des possibilités d’évolution. Je suis rentré comme petit commis il y a trente-huit ans, comme beaucoup de monde ici. Mais il ne faut pas avoir peur de travailler dans le froid, la nuit, et de porter des colis. »

Le visionnaire

Volaille, le grand bond en avant 2Éric Laplaine, LPN Volaille
« Je suis arrivé sur le marché en avril 1986 en tant que manutentionnaire livreur et maintenant je dirige LPN Volaille et Paris. Je suis attaché à travailler des produits de terroir haut de gamme, liés à des marques. » D’après Éric Laplaine, le marché de Rungis était autrefois un marché d’opportunité. Les clients venaient acheter de la marchandise en fonction de l’offre et de son prix, et les produits arrivaient sans avoir été forcément commandés. « C’était des surplus, on ne savait pas toujours ce qu’on allait recevoir. On ne faisait pas d’achats comme aujourd’hui. Pour vendre, on fixait nous-mêmes un prix et on travaillait à la commission. » Aujourd’hui, le système a évolué, il y a des marques, des clients qui commandent, des calibres. « J’ai basculé vers ce type de vente il y a longtemps, parce que j’ai senti avant les autres que le marché allait évoluer dans le sens du négoce. À cette époque, mon patron a aussi pressenti que la vente de produits de marque, les gammes et la qualité allaient prendre le relais auprès des clients. En 2003, quand je suis arrivé chez mon prédécesseur, M. -Froger, j’ai mis en place ce fonctionnement qui est plus ou moins celui de tous aujourd’hui. Je n’avais pas un sou en poche mais j’ai racheté l’entreprise au fil des ans. » Désormais, malheureusement, il y a de moins en moins de candidats motivés qui ont envie de se lancer dans l’aventure. Le métier se complexifie, notamment l’administratif, les ressources humaines, les contraintes sanitaires… « Les jeunes hésitent et je les comprends. Sur le pavillon, une entreprise doit faire au moins 15 millions d’euros de chiffre d’affaires pour être viable. Vingt millions, c’est bien… »

Caroline Maréchal