Le chef de La Régalade Saint-Honoré est un adepte de Rungis, et surtout du carreau des producteurs. Il s’y rend une fois par semaine, de début mars à fin novembre.
Le mardi c’est Rungis. Chaque semaine, du début du printemps à la fin de l’automne, Bruno Doucet, chef de La Régalade au 106 de la rue Saint-Honoré à Paris, se rend sur le Marché international. Direction le carreau des producteurs où il a ses habitudes. Suivre le chef sur le carreau est sportif. Il sait exactement ce qu’il désire, il connaît ses producteurs et il se déplace avec vélocité dans les allées, filant de l’un à l’autre. Ce matin-là, nous sommes en novembre, plus de 40 colis (c’est à peu près pareil chaque semaine) sont commandés chez cinq ou six producteurs (Pascal Bourgeois, Maison Seuru…). Le rituel est partout le même : Bruno réserve ses colis (ici de la citronnelle, là des choux et des carottes, plus loin les courges, les butternuts, le persil, les légumes racines), les fait mettre de côté, paie et cours vers un autre fournisseur. Les échanges sont amicaux, mais rapides et précis. Pas de mots inutiles. En moins d’une heure, les achats sont faits. Accompagné d’Haitham, un des derniers arrivés dans sa brigade, il récupère ses colis, charge la voiture jusqu’à ras bord (Haitham aura même un ou deux colis sur les genoux pour le retour à La Régalade) et on va prendre un café à l’Arrosoir. Ouf ! « En faisant ainsi, cela me permet de rentrer tôt à Paris, m’explique Bruno Doucet. Si je viens moi-même à Rungis, c’est d’abord pour le plaisir. C’est aussi pour que je puisse choisir moi-même les produits. Et cela permet également de faire des économies substantielles. » Embauché à La Régalade depuis le mois de juin, Haitham savoure ces moments de proximité avec son patron. Ce Syrien était conseiller en communication média à Damas avant de se décider à quitter son pays pour la France, où il est arrivé en 2015. Il décide alors de devenir cuisinier. Il suit la formation Cuisine mode d’emploi(s) de Thierry Marx qui le conduit à faire un stage de trois semaines chez Bruno Doucet. Ce dernier finira par le recruter. Aujourd’hui, il est en charge des entrées chaudes.
Tous les mardis, Bruno Doucet fait ses achats au carreau des producteurs de Rungis. Ce jour-là avec Haitham.
Haitham, un des derniers arrivés dans la brigade, est en charge des entrées chaudes.
Retour sur Paris où l’on rejoint Bruno Doucet et son équipe alors que le service du déjeuner commence. À la carte ce jour-là : une terrine de cochon faite maison, pour la mise en bouche. Ensuite, nous choisirons la poêlée d’escargots, cuisine de lentilles vertes, du Puy, ail et jus de persil (l’entrée chaude préparée par Haitham), et nous nous laisserons tenter par le perdreau rouge et sa compotée de choux. Quant au dessert, Alain Kritchmar (Compagnie fruitière à Rungis, et vice-président de la Chambre syndicale des importateurs de fruits et légumes frais, qui m’a fait rencontrer et connaître Bruno Doucet) m’incite fortement à prendre un soufflet. Il faut reconnaître qu’il a eu raison d’insister. Le tout était accompagné d’un Cornas 2007 cuvée La Louvée de chez Jean-Luc Colombo. Bref, ce moment à table était bien plus qu’agréable.
Enfin vient le moment où Bruno Doucet peut se poser et prendre quelques instants avec nous pour évoquer son parcours (voir encadré) et sa vision du métier. « Si on ne repense pas notre métier, notre façon de faire, c’est difficile d’envisager l’avenir. Cela fait trois ans que l’on est là », se souvient-il (nous sommes le 14 novembre 2018 quand nous nous rencontrons). La Régalade Saint-Honoré a ouvert le soir des attentats de Paris et de Saint-Denis. Cela ne s’oublie pas. « Nous sommes en permanence sur la tangente, poursuit-il. Je suis cuisinier, et j’ai choisi d’être chef d’entreprise (il dirige une équipe de 24 personnes). J’ai 45 ans, donc il faut que je pense à mon avenir. Il faut réfléchir à notre évolution. » Les projets ne manquent pas, dont celui de reprendre un hôtel. « Nous avons une cuisine qui est un vrai repère. Mais est-elle valable pour les nouvelles générations ? » s’interroge-t-il. « Nos modèles économiques sont hyperfragiles », poursuit Bruno Doucet qui a une obsession : ne pas faire le service de trop.
Olivier Masbou

Un adepte de la bistronomie

La chasse, l’autre passion de Bruno Doucet
Gibier, Éditions de la Martinière