Le marché de Rungis n’a plus beaucoup de secrets pour Olivier Gaslain. Cela fera bientôt vingt-huit ans que le patron du bistrot chic Le Villaret (Paris 11e) et du plus populaire L’Essentiel (Paris 14e) arpente une ou deux fois par semaine les allées du Marché. « J’ai connu le carreau à 20 ans alors que je commençais ma carrière à Paris, au restaurant Chez Fernand, à deux pas du Villaret, raconte le natif de Granville, en Normandie. Le restaurant s’apprêtait à passer par des acheteurs et des livreurs pour s’approvisionner. Comme j’étais déjà allé sur place à plusieurs reprises, je me suis proposé pour assurer les achats sur le MIN. Le patron a dit banco, m’a accompagné une fois et m’a ensuite laissé me débrouiller. J’ai donc dû très rapidement adopter les us et coutumes de Rungis. »
C’est Michel Picquart qui lance véritablement Olivier Gaslain dans la carrière. En 1992, ce chef autodidacte, qui a cédé le restaurant Astier après l’avoir fait rayonner quinze ans durant, l’embauche pour tenir les cuisines d’un petit restaurant qu’il vient d’ouvrir, Le Villaret. « Michel Picquart m’a beaucoup appris, raconte le chef à propos de son mentor décédé en 2006, auquel il rachètera le Villaret en 1996. C’était un fou de gastronomie, qui appréciait les plats généreux, sans chichis, sublimant les beaux produits, à contre-courant de la “nouvelle cuisine”. Avec quelques autres, il a été l’un des créateurs de la bistronomie. » Olivier Gaslain perpétue l’esprit du bistrot chic au Villaret avec un succès qui ne s’essouffle pas. « La cuisine de bistrot consiste à élaborer des recettes à partir des produits que l’on trouve, et pas l’inverse, explique le chef. Contrairement à un restaurateur qui court après les étoiles, je n’ai pas à me contraindre à proposer chaque jour les mêmes plats pendant des mois, alors que les produits ne sont pas forcément disponibles. La cuisine de bistrot me laisse une totale liberté quant aux plats que je travaille et j’offre aux clients l’assurance de la fraîcheur et de la diversité. Que demander de plus ? » Pour comprendre la méthode Olivier Gaslain, le mieux est de l’accompagner dans ses pérégrinations rungissoises.
Un maître mot : réactivité
En ce petit matin de la mi-mars, la grande aiguille a à peine passé le quart de trois heures que le chef, accompagné de Boubou, un employé de cuisine, nous attend déjà devant la maison Reilhe Martin au pavillon de la volaille. « Ce matin, il y a du beau foie gras à un prix raisonnable, indique d’emblée Olivier. Comme on annonce un temps moyen pour la fin de semaine, je vais faire des œufs cocotte à la crème de foie gras, une entrée signature de la maison. Quand il y a des offres intéressantes, le principe est d’être réactif et d’imaginer ce qu’on peut faire du produit. » Illustration supplémentaire avec un colis de sot-l’y-laisse qui nous fait de l’œil un peu plus loin. « Je vais en faire une fricassée ou un ragoût au Villaret, que je vais accommoder avec les champignons qu’on trouvera. » Les morilles achetées un peu plus tard à la moitié du prix qu’elles valaient deux semaines auparavant ne seront finalement pas retenues, « car cela ferait une entrée trop chère en matière première ». Les sot-l’y-laisse termineront donc leur carrière avec des pleurotes, ce qui est déjà une belle fin. Quant aux morilles, elles épouseront en fanfare et en plat de résistance de magnifiques poulets fermiers jaunes des Landes dans une sauce crémée. Avant de quitter le V1P, le chef déniche de belles pintades à la date limite de consommation un peu courte. « Cela fera un très beau plat du jour à l’Essentiel », restaurant aux tarifs plus modestes. L’exercice se poursuit au pavillon de la triperie puis au carreau des producteurs qui s’éveille à peine. L’époque est a priori peu favorable aux maraîchers de proximité, entre la fin des légumes racines et les légumes de printemps retardés par un hiver tardif et rigoureux. « On trouve de très belles choses ici, même à cette période, s’enthousiasme Olivier. Tu vois ce chou vert, il a été cueilli hier après-midi et n’a pas vu une chambre froide, c’est quand même exceptionnel ! » L’extase est passagère, car l’heure tourne. Olivier et Boubou enfournent dans l’utilitaire de petites pommes de terre rattes d’Île-de-France qui seront confites avec de l’ail en chemise aux côtés de faux-filets servis bleus ou saignants à l’échalote.
Dans l’asperge, rien ne se perd
Aux pavillons des fruits et légumes, une bonne surprise attend Olivier. Les premières asperges françaises sont arrivées, vertes du Gard et blanches des Landes. « Certes, elles sont chères en ce début de saison, commente le chef (22 euros le kg pour les blanches, NDLR), mais ça vaut le coup. À midi, je pense que je serai sans doute l’un des seuls restaurants à Paris à pouvoir en proposer. » Le chef a déjà des idées de préparation. « On fera ultrasimple pour les vertes, avec un peu de parmesan et de la roquette à l’huile d’olive, et avec une ravigote et un petit salé pour les blanches. » Pour valoriser au mieux cet achat dispendieux, Olivier imagine en récupérer les queues, moins nobles, pour quelques poulets aux asperges et morilles.
Olivier va également craquer pour des premières fraises du Lot-et-Garonne, des gariguettes. « C’est symbolique et ça fera plaisir à mes habitués, détaille-t-il. En pleine saison, j’en achète de grandes quantités que je transforme immédiatement. Il peut se passer à peine deux ou trois heures entre le moment où j’achète les fraises et où elles finissent en sorbet au congélateur. Rungis permet de faire de l’ultrafrais. » Le patron du Villaret et de l’Essentiel se replie sur les exotiques « qui sont en pleine saison sur place ». Les mangues achetées ce jour figureront à la carte en Tatin et en sorbet, et dans un dessert fraîcheur où elles côtoieront ananas bouteille, fruits de la passion et coco.
Le marathon se termine ce jour-là aux produits laitiers. Le mont-d’or arrivant en fin de campagne, le chef se tourne vers des reblochons, de la tomme de Yenne, du maroilles, du comté de vingt-quatre mois et du brie de Melun. Ils cohabiteront sur un plateau de fromage qu’Olivier Gaslain a l’originalité de proposer en fin de repas mais aussi en plat de résistance. Ce matin, il prendra un peu de crème fraîche épaisse, mais pas de crème liquide. Celle-là, il la commande par palettes, toutes les trois semaines ou tous les mois pour ses deux restaurants auprès d’un grossiste de Rungis. « J’ai une préférence pour la crème Montaigu, une crème d’exception selon moi mais que je n’arrive pas à obtenir au détail. Et comme je suis normand, je consomme beaucoup de crème ! »
Bruno Carlhian

Un repaire de gastronomes
Le Villaret
13, rue Ternaux 75011 Paris
Tél. : 01 43 57 89 76
Ouvert midi et soir du lundi au vendredi et le samedi de 19 h 30 à 23 h 30
L’Essentiel
168, rue d’Alésia 75014 Paris
Tél. : 01 45 42 64 80
Ouvert tous les jours de 7 h 30 à 23 h 30