À 40 ans, le chef Jean-Edern bénéficie, avec son restaurant Edern situé à proximité des Champs-Élysées, d’une belle visibilité. Fidèle à Rungis, cet ancien du Peninsula a connu de nombreuses maisons étoilées avant de lancer une affaire qui entend conjuguer tapas gastronomiques et festivités. Son établissement attire aujourd’hui des célébrités comme des amateurs de cuisine décomplexée.
Quand on lui parle de Rungis, Jean-Edern Hurstel a l’œil qui brille. Même s’il à cœur de faire travailler les petits producteurs en direct, il s’approvisionne essentiellement au Marché de Rungis : 80 % des produits consommés par les clients de son restaurant, baptisé Edern, sont issus du marché. Parmi les grossistes avec lesquels il évolue, on peut citer les Vergers Saint-Eustache pour les légumes ou encore Armara pour les produits de la mer. Concernant l’offre carnée, le chef travaille essentiellement avec le célèbre Olivier Metzger. Ce dernier lui fournit notamment le fameux tomahawk de Wagyu croisé black angus (1,3 kg) facturé 295 e aux convives. La volaille, quant à elle, vient tout droit de chez Huguenin.
Comme beaucoup de ses comparses, le chef travaille essentiellement grâce à la livraison. Mais, une fois par trimestre, il s’accorde le plaisir de se rendre en personne à Rungis où il accomplit le même parcours. « Je me balade… j’adore observer les produits et les grossistes de Rungis. Ma partie préférée, c’est le pavillon consacrée à la triperie. J’adore les abats. Ensuite, je fais le tour, de la marée en passant par le pavillon des fruits et légumes, avant d’atterrir dans une brasserie rungissoise pour déguster un café accompagné d’un sandwich à la rillette », sourit-il, en se remémorant sa première venue au sein du temple des produits que constitue Rungis. Il se souvient d’un « endroit immense » et « bondé à 4 heures du matin ». Le chef alsacien, encore peu réveillé et irradié par la lumière des néons, avait débuté, aux côtés d’un MOF, par le pavillon de la triperie, assistant médusé à la découpe d’un agneau à la scie circulaire : « C’est quand même quelque chose, cette ville dans la ville, ce fourmillement permanent et tous ces gens passionnés par la gastronomie et les produits. C’est une ambiance unique. Quand j’ai quitté le Peninsula, je suis resté loyal aux mêmes fournisseurs qu’aujourd’hui. » Pour sélectionner les fournisseurs avec qui il souhaitait œuvrer, le chef a procédé à des dégustations à l’aveugle, comme pour le saumon fumé, qui l’a finalement conduit chez La Maison nordique (un intervenant extérieur à Rungis). « Je pense que c’est la meilleure méthode pour bien choisir ses fournisseurs », commente le chef propriétaire d’Edern.
En 2007, il obtient le poste de sous-chef du Vu’s, au sein de la célèbre Jumeirah Emirates Tower. Il intègre ensuite le Shangri-La d’Abu-Dhabi en 2009, avant d’être promu chef exécutif du Peninsula Paris dès 2014, où on l’aperçoit d’ailleurs dans l’émission Top Chef. En 2016, il rachète à Gilles Epié le restaurant Citrus Etoile et le baptise Edern après d’importants travaux. « Je suis dans la troisième phase de ma carrière. La première, c’était l’apprentissage de la gastronomie française avec le MOF aux deux étoiles Claude Legras, puis au Lucas Carton, à l’Arpège, à l’Auberge de l’Ill et au Louis XV à Monaco. Ensuite, je suis rentré dans une dimension “exécutive”, notamment à Dubaï, avant de rejoindre le Peninsula à Paris. La troisième phase, c’est celle dans laquelle je suis aujourd’hui », déroule Jean-Edern Hurstel.
Conjuguer gastronomie et festivités En cuisine, le chef s’est entouré de six personnes pour un ticket moyen compris entre 60 et 80 e. On trouve un menu déjeuner à 38 e ainsi qu’une formule à 45 e le soir. « Nous sommes les moins chers du quartier. Nous souhaitons restés accessibles ; d’où l’introduction, à la carte, de plats tapas gastronomiques à partager », se félicite Jean-Edern, qui précise que cette formule demande d’assurer un bon volume de clientèle pour parvenir à la rentabilité.
Chez Jean-Edern Hurstel, il y a un côté décomplexé. Les plats se partagent et les assiettes s’échangent entre convives. Les prix débutent à 8 e et évoluent logiquement en fonction des assiettes de tapas gastronomiques et des plats. « J’ai décidé de ne plus servir de turbot, de caviar ou de bar de ligne… J’ai opté pour du merlu de ligne, ce n’est pas moins bon, c’est juste moins noble », détaille-t-il. Dans le même esprit, il propose du maigre, visant le meilleur rapport qualité-prix. Le chef alsacien ne souhaite donc pas rentrer dans la course aux étoiles, mais entend bonifier l’expérience client. Ses deux quêtes ? Créer de l’émotion en bouche et apporter un concept fort. Il a ainsi évolué d’une gastronomie classique à une restauration plus festive, où il est possible de déguster des plats, le tout devant un DJ : depuis quelques semaines, Jean-Edern Hurstel a procédé à un réajustement tout à fait lisible sur sa carte.
Vers une collaboration avec Mama Shelter
Proche de Jérémie Trigano, le cofondateur, avec son père Serge Trigano, du concept d’hôtellerie lifestyle Mama Shelter, Jean-Edern vient de nouer un partenariat avec la famille Trigano. « Nous avons la même vision de l’expérience client », confie-t-il. Aujourd’hui, le chef se dirige vers une offre culinaire axée sur la street-food gastronomique, proposant ainsi des assiettes simples, mais revisitées avec panache.
Dès que le Covid-19 permettra aux CHR de rouvrir leurs portes, Jean-Edern signera la carte du Mama Shelter de Luxembourg où il disposera même d’un four à pizzas. Le ticket moyen devrait être moins élevé qu’au restaurant Edern, avec « des produits simples mais pas moins bons ». L’objectif est de s’adapter à l’évolution de la gastronomie française. Jean-Edern Hurstel fait notamment référence à la bistronomie qui, lorsqu’il a commencé la cuisine en 1996, n’existait pas. « Auparavant, c’était très cloisonné entre les bistrots, les restaurants gastronomiques et les brasseries. Aujourd’hui, les concepts sont mélangés », remarque le chef. Il souhaite donc s’adapter à un tournant où « les clients veulent bien manger, avec un bon service, le tout dans une ambiance particulière ».
D’un naturel hédoniste, savourant le chant comme la danse, le chef du restaurant Edern a donc inséré dans son établissement une dimension festive et gastronomique. Sans tourner le dos aux étoiles qui ont jalonné sa carrière, le maître queux ne souhaite tout simplement pas se tromper de bataille. Il semblerait que la course aux étoiles passionnent de moins en moins de cuisiniers.
Le samedi soir, Jean-Edern peut accueillir jusqu’à 200 couverts (son restaurant dispose de 68 places assises), le tout au cours de trois services.
Mickaël Rolland
La philosophie Edern
À l’angle du 154, avenue des Champs-Élysées, le chef Jean-Edern Hurstel a ouvert Edern avec l’ambition que l’immeuble haussmannien du 6, rue Arsène-Houssaye (Paris 8e) devienne un véritable repaire dédié aux plaisirs. Le restaurant a réussi, depuis son ouverture, un véritable tour de force : celui d’enthousiasmer autant la clientèle d’affaires du quartier au déjeuner que les clients venus s’encanailler à la nuit tombée, parmi lesquels ont peut citer Kylian Mbappe ou Paul Pogba. Jean-Edern Hurstel a créé un lieu hybride, une table de chef qui, au fil des heures, change de scénographie et vit au rythme de ses clients. L’établissement se déploie maintenant sur deux niveaux et 360 m² de surface. Au premier, une salle principale faisant apparaître la pierre naturelle, et sous les anciens plafonds, une verrière. Au sous-sol, on découvre un lounge ainsi qu’un fumoir.