On ne pourra pas dire qu’au cours de sa carrière, Thierry Breton aura négligé de mettre la main à la pâte, au propre comme au figuré. Le chef à l’invariable vareuse bleue a mis son savoir-faire et son énergie (deux attributs dont il est abondamment pourvu) à fabriquer lui-même l’essentiel des produits servis dans ses trois restaurants alignés de la rue de Belzunce, à deux pas de la Gare du Nord à Paris.
Ce cuisinier atypique et inclassable s’est fait remarquer par ses pairs au début des années 2010 en élaborant son propre pain, comme un authentique artisan. Une initiative qui visait modestement à l’origine à approvisionner les établissements du patron, mais qui a vite pris une ampleur inattendue, le bouche à oreille aidant. « Désormais, j’enfourche le triporteur pour livrer mes confrères restaurateurs, confie cet adepte de la petite reine. Même si j’essaie de me détacher un peu de la production, il m’arrive encore régulièrement de me retrouver au fournil à 4 heures du matin », raconte-t-il.
Boulanger, Thierry Breton est également devenu charcutier. Il confectionne dans un laboratoire dédié ses propres terrines et pâtés, surtout destinés à son petit dernier, sa « taverne », La Pointe du grouin. « J’adore la diversité de ce que l’on peut faire en matière de charcuterie, s’enthousiasme l’homme de l’art (et du cochon). La composition de nos terrines varie tout le temps, même si j’ai une prédilection pour les abats et, en saison, pour le gibier. » Le succès, là encore, est au rendez-vous, au point que Thierry Breton passe pour une référence en matière de cochonnaille et s’est mis à faire ses propres saucisses. Le goût de la fête a conduit ce chef hyperactif à organiser depuis trois ans une improbable « garden pâté », un concours de terrine ouvert à tous ses confrères et amis, ce qui fait beaucoup de monde. En novembre dernier, le jury a accordé le prix de la combativité à « Alain » de l’Arpège ou son « coup de cœur » à Rodolphe Paquin du Repaire de Cartouche.
Une formation classique pour un chef atypique
L’éclectisme de Thierry Breton s’appuie sur une solide formation classique. Issu d’une famille de restaurateurs de Hédé, en Ille-et-Vilaine, le cuisinier s’installe à Paris pour faire son apprentissage dans les années 1980, auprès de Guy Legay au Ritz puis de Gabriel Biscay au Royal Monceau. Avant de reprendre Chez Michel en 1995, le meilleur apprenti de France a eu le temps de parfaire son instruction avec Manuel Martinez (au Relais Louis-XIII puis à la Tour d’argent) et Christian Constant (au Crillon) ou dans les cuisines de l’Élysée durant son service militaire. « C’est dans ces maisons que j’ai appris à respecter la saisonnalité des produits, en particulier celle du gibier, un univers que j’adore », explique Thierry Breton. Chez Michel puis chez Casimir, le chef proposera jusqu’à 10 entrées et 18 plats de gibier durant la saison de chasse, un record. « Tout y passait, s’amuse-t-il, de la plume avec la grouse, le pigeon ramier, les perdreaux rouge et gris, le faisan et le canard col-vert, jusqu’au poil avec le lièvre, le sanglier, le chevreuil, etc. » Même s’il reconnaît « s’être un peu calmé », le chef propose toujours les classiques, comme le lièvre à la royale, en adaptant les préparations aux différents restaurants.
Ce cuisinier à la curiosité insatiable s’est naturellement senti comme un poisson dans l’eau lors de ses premières visites à Rungis. « J’ai commencé à fréquenter le Marché avant même d’ouvrir mon propre restaurant, se souvient-il. Pendant quinze ans, j’y suis allé toutes les semaines, les premiers temps pour y remplir à ras bord ma 205, puis de façon plus organisée pour rapporter tous les produits de saison dont j’avais besoin. Désormais, ce sont les grossistes qui me livrent. »
Des relations de confiance à Rungis
Au cours de ses tournées régulières, Thierry Breton va faire des rencontres qui vont marquer sa vie professionnelle. « Si je viens moins souvent sur le Marché, c’est aussi parce que je travaille de longue date avec certains grossistes, comme Gino Catena de BGL Avigros, pour la volaille, la viande et le gibier, ou Jacky Pereira de Pecunia, pour les produits de la mer, avec lesquels j’ai établi des relations de confiance. » Même à distance, Thierry Breton garde le contact. « Les grossistes sollicitent mon avis sur des produits, je leur recommande des producteurs, comme Paul et Olivier Renaud, qui élèvent des volailles Coucou de Rennes et que j’ai recommandées à Gino. » Le chef a un truc pour garder en permanence un œil sur Rungis. « Je m’appuie sur les fruits et légumes que je vois sur le marché couvert Saint-Quentin, près de chez moi, pour connaître la marchandise disponible à Rungis. Si besoin, je m’approvisionne directement auprès du fournisseur où je passe par un ami primeur qui achète pour moi. »
Le marché de Rungis constitue un élément essentiel de l’économie des trois affaires désormais gérées par Thierry Breton. « J’y réalise environ 60 % de la totalité de mes achats », estime-t-il. Outre les produits de la mer et la volaille, Thierry Breton s’y approvisionne en produits tripiers chez Canu (« pour la carte, mais aussi pour la fabrication des terrines bien sûr »), en fruits et légumes chez Prière et Zahler Frères ou en crémerie auprès d’Odéon.
Le pain, la charcuterie, et bientôt la bière
Les cartes de Thierry Breton font la part belle aux produits de son Ouest natal. « J’ai un réseau sur place que j’entretiens », explique le Breton, qui a contribué à faire découvrir aux Parisiens la terrine d’andouille, la galette saucisse ou le kig ha farz. « Je fais venir mes ormeaux de Ploubezre, dans le Finis-tère, où Thierry Lemetayer me fournit également en saison des saint-jacques, et mon porc vient de Mayenne, du Gaec de Mickaël et Géraldine Meignan, qui élèvent des cochons sur paille. » Le chef reste toujours ouvert à de nouvelles opportunités. « Il y a peu, j’ai fait rentrer les huîtres de Cancale d’une jeune entreprise, Konkaven, et des moules de cordes de l’île de Groix, élevées plus de douze mois par Patrick Segond. C’est un bonheur d’aider de jeunes producteurs et de pouvoir raconter une histoire aux clients. »
S’il réfléchit déjà à sa transmission (lire ci-contre), Thierry Breton ne tient toujours pas en place. Son dernier projet est de produire lui-même sa bière. « Cela a un sens économiquement car nous en vendons plus de 500 litres chaque semaine à la Pointe du grouin. Mais c’est surtout un produit intéressant et ludique à fabriquer », explique l’entrepreneur qui a trouvé un local de 30 m2 non loin de son restaurant pour installer sa microbrasserie. Jamais à court d’idées, le chef entend également récupérer les drêches pour en faire une nouvelle variété de pain. Thierry Breton est donc loin d’avoir baissé pavillon.
Bruno Carlhian

Un petit village breton à Paris
Ces derniers mois, Thierry Breton a commencé à transmettre Chez Michel à un jeune chef passé par Camdeborde, MasahiroKawai. « Il a commencé à apporter sa touche personnelle », se réjouit Thierry Breton, soucieux de pérenniser ses différentes adresses. Un renfort qui rend le chef disponible pour de nouveaux projets. Thierry Breton est depuis peu le partenaire d’une sandwicherie bretonne située à l’intérieur de la Gare du Nord, Bara, qui veut dire « pain » en breton. « J’ai apporté du conseil sur les produits, apporté du cidre à la pression, de la bière artisanale bretonne, mais également développé l’aspect bar, afin de créer de la communication et de la convivialité comme à la Pointe du grouin », explique-t-il. Le Bara a ouvert ses portes le 13 juillet dernier.