Le Marché de Rungis a beau s’inscrire dans la tradition millénaire des Halles de Paris, il sait aussi prendre place à la pointe de l’innovation. Lors de la première semaine d’octobre dernier, le Marché a ainsi été le théâtre d’une expérimentation inédite de vols de drones-cargos depuis un « vertiport », une station d’accueil capable d’accueillir des drones de surveillance et de fret de toutes marques conçus par la start-up Dragonflypads.
« Ces tests de vols de “ dernier kilomètre ” ont été menés à l’issue d’un appel à manifestation d’intérêt sur la logistique de demain, lancé par la Région Île-de-France dans le cadre duquel notre projet a été sélectionné », indique Sissel Thorstensen, P-DG et cofondatrice de la jeune entreprise française. « L’ambition de notre démarche, soutenue par la Semmaris, était de montrer notre capacité à mener des vols opérationnels au-dessus du marché, dans le respect de critères de sécurité drastiques. »
L’un des principaux enjeux du transport de marchandises par drone est en effet la future mise en place d’une réglementation qui permettra d’encadrer leur déploiement opérationnel, aujourd’hui exclusivement expérimental. « Pour obtenir les autorisations accordées au compte-gouttes par la Direction de l’aviation civile, cela a pris neuf mois et nécessité un dossier de près de 600 pages », témoigne Cyril Godeaux, l’une des chevilles ouvrières du projet. La proximité de l’aéroport d’Orly, dont la zone est particulièrement protégée, tout comme la densité des activités dans le secteur constituaient des obstacles supplémentaires pour ces premiers vols.
Les essais menés par Dragonflypads ont eu lieu en deux temps. En juillet dernier, des vols de drones de surveillance ont d’abord été organisés en concertation avec le département Sécurité du Marché de Rungis. Ils visaient à tester leur capacité à assurer la sécurité des personnes travaillant sur le Marché et à permettre l’inspection des infrastructures.
Au début d’octobre, c’est au tour des vols en drones-cargos d’être testés, une première en France au-dessus d’une zone commerciale telle que le Marché de Rungis. Pendant une semaine, l’équipe de la société Dragonflypads a organisé une cinquantaine de vols assurés par deux pilotes depuis leur « vertiports » et sécurisés par plusieurs assistants. L’opération avait été montée en partenariat avec Pilgrim Technologies, le concepteur nantais des drones-cargos, et avec la collaboration de plusieurs grossistes.
Plusieurs tests de livraison de colis légers (moins de 5 kg) ont été menés de jour comme de nuit dans l’enceinte du Marché. Des champignons de la Maison Butet ont traversé le ciel du Marché. Des pièces de mécanique automobile se sont envolées depuis le garage Renault et des fruits exotiques depuis la SIIM du groupe Omer-Decugis. Pour célébrer la fin de l’expérience avec panache, une bouteille de champagne est partie du restaurant Il Mercato jusque dans les mains de Stéphane Layani, le président du Marché.
Un franc succès
« Les tests menés dans les différentes configurations ont été un vrai succès », se félicite Sissel Thorstensen. « Nous avons réussi à démontrer à la DGAC et au public notre capacité à sécuriser l’ensemble de l’opération, et notamment les phases d’atterrissage et de décollage. Cela nous a aussi permis d’illustrer le rôle clé des vertiports dans le développement futur des liaisons en drone-cargo. »
L’idée majeure qui a présidé à la création de Dragonflypads en 2020, c’est en effet que le déploiement d’infrastructures dédiées constituait une condition essentielle à la création de ces liaisons logistiques à basse altitude. Conçus dans d’anciens conteneurs maritimes, les vertiports jouent à la fois le rôle de stations de décollage et d’atterrissage, mais aussi de recharge et de maintenance d’engins logistiques volants. « Cette plateforme peut opérer des drones en toute sécurité, à l’abri des intempéries, en offrant un stockage sécurisé et une solution de recharge efficace », assure Sissel Thorstensen, convaincue que la réglementation puis les premières lignes ne tarderont pas à se mettre en place. « Pour cela, notre ambition est de créer un maillage fin du territoire en y installant des vertiports comme autant de stations relais au plus près des expéditeurs et des clients. Cela résout l’un des défis majeurs de l’écosystème du drone : permettre aux engins de voler en continu, sans souci de maintenance ou de batterie », poursuit cette « serial- entrepreneuse ».
L’opération menée à Rungis a en tout cas suscité l’enthousiasme des participants. « La rapidité des phases de décollage et d’atterrissage était très impressionnante », s’étonne Fatima Guillou, directrice générale de la société de fruits et légumes Butet. « À terme, on imagine déjà la possibilité de livraison express de clients en cas d’urgence. » De son côté, Stéphane Layani s’est dit fier d’avoir accueilli ces tests sans précédent « qui laissent entrevoir des possibilités très intéressantes pour la logistique du dernier kilomètre sur le Marché. Le Marché de Rungis se doit d’être précurseur sur les modes de livraison de demain ! » Une fois levés les obstacles réglementaires et techniques, les relations logistiques en drone-cargo sont en effet prometteuses dans certains domaines. « On peut, par exemple, imaginer de transporter par ce moyen du matériel médical d’urgence, comme des défibrillateurs, des premiers secours, etc. », détaille Sissel Thorstensen.
Si les premières expérimentations ont été menées sur de petites charges (de 3 à 10 kg), les drones-cargos les plus puissants peuvent transporter des charges allant jusqu’à 150 kg. De quoi imaginer un jour des vols automatisés entre le Marché de Rungis et Paris dans de véritables couloirs aériens, par exemple au-dessus de la Seine.
En attendant cette issue futuriste, Dragonflypads envisage bien de poursuivre ses expérimentations.
Bruno Carlhian
Aux États-Unis, une bataille entre spécialistes de la livraison
Encore à l’étude en France, la livraison par drones fait d’ores et déjà l’objet d’une intense bataille aux États-Unis entre les spécialistes de la livraison. Amazon avait ouvert la voie en réalisant en 2016 la première livraison d’un colis par drone dans le jardin d’un client. Le leader de la vente en ligne a même conforté son avance en étant le premier à obtenir, en 2020, une licence d’exploitation pour son programme « Amazon Prime Air » par l’agence fédérale de l’aviation américaine. L’entreprise américaine entend livrer des produits en seulement 30 minutes, une fois passée la commande, pour des colis pesant jusqu’à 2,3 kg. Le n° 1 de la distribution physique Walmart a, quant à lui, mis en place un programme pilote en partenariat avec Flytrex pour créer un drone spécialisé dans la livraison de produits alimentaires et ménagers. Pour l’heure ces programmes restent, comme en France, expérimentaux, dans l’attente de l’entrée en vigueur d’une réglementation appropriée.