Alors que la consommation de viande subit une érosion sensible, les artisans bouchers tirent plutôt bien leur épingle du jeu. « D’après les indices dont nous disposons, les ventes évoluent entre très légère hausse et très légère baisse dans nos commerces, relève Jean-François Guihard, qui préside la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) depuis le 1er janvier 2017. On observe une certaine stabilité depuis deux ou trois ans, alors que le contexte est défavorable. »
Le nombre de commerce a atteint un palier ces dernières années. Selon les estimations de la CFBCT, on compte aujourd’hui 15 600 patrons bouchers pour environ 18 000 points de vente. « On compte aujourd’hui moins d’entreprises, mais celles-ci sont en moyenne plus grandes et plus structurées », poursuit Jean-François Guihard, lui-même artisan à Malestroit, dans le Morbihan. Le nombre de salariés (34 000 actuellement) est en progression. « L’ensemble du secteur, si l’on inclut les chefs d’entreprise, les conjoints, les apprentis et salariés représente au total environ 80 000 personnes. » La profession a connu au milieu des années 2010 un afflux soudain d’apprentis, qui s’est stabilisé autour de 9 500 l’année dernière. Leur nombre reste cependant insuffisant pour assurer le renouvellement des générations dans le métier. La boucherie a vu arriver de nouveaux profils d’adultes en reconversion (1 500 l’année dernière), qui ont délibérément choisi cette vocation. « La médiatisation de quelques bouchers “stars” a sans doute joué un rôle dans cet intérêt », reconnaît Jean-François Guihard.
La nouvelle génération, qui a souvent intégré les modes de communication modernes, a donné un nouvel élan à la profession. « Il y a aujourd’hui des trentenaires à la tête de très belles affaires, à Paris et en province, animés d’une vision très personnelle de leur métier, sans forcément se positionner sur le très haut de gamme. Ce sont des chefs d’entreprise qui entraînent facilement d’autres jeunes derrière eux », relève Jean-François Guihard. Pour former au mieux ces nouveaux profils d’entrepreneur à la gestion et tirer le métier vers le haut, l’école professionnelle de la boucherie lance en septembre une licence professionnelle.
John Gillot fait partie de ces nouveaux profils. Créateur de la Boucherie moderne, ce boucher originaire de Soissons est à la tête d’une boucherie artisanale dans le 9e arrondissement de Paris qui compte neuf salariés dont huit âgés de moins de trente ans. « La Boucherie moderne contraste avec l’image d’Épinal du boucher de quartier, écrit le boucher sur son site. Jeunesse, dynamisme, techniques modernes de découpe, la Boucherie moderne concentre toutes les avancées du métier pour satisfaire ses clients et replacer la boucherie au cœur de leur vie quotidienne ». Le commerce propose, outre les produits traditionnels du boucher et du charcutier, des poulets, jambonneaux, travers de porc cuits à la rôtissoire tout au long de la journée et dispose d’une table d’hôtes dans le quartier de la Nation pour des soirées « barback ». Le tout présenté sur un site régulièrement mis à jour et sur les réseaux sociaux.
Les affaires dynamiques de ce genre sont désormais nombreuses à Paris et en petite couronne. Non loin de la Boucherie moderne, le quadragénaire Valéry Cosse, artisan boucher depuis plus de vingt-cinq ans, et son fils Thomas animent une équipe de sept bouchers et trois apprentis, dont le meilleur apprenti de France 2012. Habitué de Rungis, il dispose d’une autre boucherie rue Poncelet, dans le 17e arrondissement. On peut encore citer – mais la liste est loin d’être exhaustive – Jean-Marie Boedec, propriétaire de la boucherie-charcuterie Les Viandes du Champs de Mars, au pied de la tour Eiffel, régulièrement salué par les critiques gastronomiques.
Les femmes bousculent les habitudes
Le dynamisme du métier est porté par la nouvelle génération, mais aussi par les femmes, plus nombreuses et plus visibles. Certaines n’hésitent pas à se mettre en avant, conscientes qu’elles ont un rôle à jouer dans l’image que donne le métier à l’extérieur. C’est le cas, par exemple, de Marie-Laure et Anne-Sophie Bach, des sœurs jumelles bouchères à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Elles ont accepté de faire partie des premières « filles à côtelettes », un club lancé sous l’égide de l’interprofession Interbev lors du récent Salon international de l’agriculture de Paris, visant à redorer l’image de la consommation de viande. Mais les femmes bouchères ne se contentent pas du rôle de faire-valoir. Elles jouent un rôle croissant dans les instances professionnelles. « Jamais il n’y a eu autant de femmes impliquées au conseil d’administration de la confédération, au bureau et dans les commissions qu’aujourd’hui », constate Jean-François Guihard. Plusieurs bouchères président des fédérations départementales, et non des moindres : Anne-Sophie Bach, déjà citée, en Corrèze, Véronique Langlais à Paris ou Jacqueline Riedinger-Balzer en Alsace, qui représente les bouchers français à la Confédération internationale de la boucherie et de la charcuterie (CIBC). Certaines d’entre elles sont également présidentes de chambre de métiers et de l’artisanat, comme Geneviève Brangé en Charente ou Florence Vignal en Lozère. « De manière générale, les bouchers sont très bien représentés à la tête des chambres de métiers, avec sept présidences », se félicite Jean-François Guihard.
Le regain du métier de boucher s’appuie également sur l’adaptation des pratiques professionnelles et commerciales aux attentes du public. « Les artisans doivent rester des fers de lance en matière de qualité et de sélection de la viande », insiste le président national des bouchers. Le label Rouge et le bio constituent des outils intéressants, plébiscités dans le plan interprofessionnel de la filière viande. « Il ne faut pas oublier que les labels gros bovins ont été créés par les éleveurs et les bouchers précisément pour contribuer à la valorisation de la viande et que ce sont toujours les artisans qui commercialisent la majorité des volumes de viande label Rouge. »
Quelle chance d’avoir Rungis !
La diversification de l’offre constitue un autre moyen d’asseoir les commerces artisanaux. « Je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’on cumule les activités de bouchers, charcutiers et traiteur, cela participe de l’équilibre du commerce », souligne Jean-François Guihard. L’artisan insiste cependant sur le travail de « la main du boucher » et sur la valorisation de la carcasse. « C’est le cœur de notre métier, techniquement et économiquement, car c’est par le travail de la carcasse que l’on dégage des marges. Nous ne devons surtout pas devenir des épiciers de la viande, ce n’est d’ailleurs pas cela que les consommateurs attendent de nous. Si nous nous en sortons bien aujourd’hui, c’est parce que nous sommes parvenus à tisser un lien de confiance profond avec les consommateurs sur la base de notre expertise. » Dans ce contexte, la qualité de l’approvisionnement est un enjeu très important. « Les bouchers d’Île-de-France ne connaissent pas leur chance de pouvoir bénéficier d’une plate-forme comme Rungis, s’enthousiasme Jean-François Guihard. C’est un atout formidable de disposer d’une offre d’une telle qualité et d’une telle diversité, parfaitement adaptée à notre métier. » Admiratif du pavillon des viandes, le président des bouchers reconnaît qu’il s’agit d’un pôle d’attraction pour les stagiaires comme pour les nombreux visiteurs étrangers. Le président de la CFBCT est convaincu que le soutien des consommateurs constitue la carte maîtresse des bouchers. « C’est la raison pour laquelle j’ai fait de la communication une priorité de mon mandat », argumente- t-il. Cette volonté s’est traduite par une implication croissante dans les concours professionnels (lire encadré p. 31), la mise en place de partenariats (avec le marché de Rungis et le pavillon des viandes pendant le Salon international de l’agriculture, par exemple), ou une présence renforcée sur les réseaux sociaux. La page Facebook des bouchers, bouchers-charcutiers de France compte plus de 6 000 abonnés !
Dans la même veine, la Confédération a déposé fin 2017 une « signature » qui faisait défaut à la boucherie artisanale : « Artisans & bouchers, un savoir-faire en héritage ». « Nous allons communiquer largement sur cette nouvelle identité et sur ce qu’elle représente lors des 24 heures chez mon boucher, qui fusionne cette année avec l’opération Made in viande, du 31 mai au 6 juin. Notre métier constitue une vitrine pour l’ensemble de la profession de l’élevage et de la viande. Je crois que la filière en est consciente et que nous sommes prêts à jouer notre rôle à fond. »
Bruno Carlhian

La folie des concours

Des bouchers à l’heure de Facebook
Boucherie Degand 2, rue Raspail 92270 Bois-Colombes