L’aquaculture connaît un dynamisme sans précédent dans le monde depuis une vingtaine d’années. Au global, le poisson d’élevage représente 52 % de la production destinée à la consommation humaine. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ce pourcentage devrait atteindre 62 % à l’horizon 2030. Aujourd’hui, l’aquaculture représente un volume de 76,6 millions de tonnes, dont 91,7 % sont produites en Asie (60 % en Chine), champion incontestable du secteur. À bonne distance se placent l’Amérique avec 3,3 %, puis l’Europe avec 2,9 %, l’Afrique avec 1,8 % et enfin l’Océanie avec 0,2 %. En France, la production de poissons d’élevage, toutes variétés confondues, représente 52 000 tonnes annuelles. Nos concitoyens, loin derrière la moyenne mondiale, le choisissent dans 17 % des cas, contre 83 % pour les poissons issus de la pêche.
La truite, quatrième poisson consommé en France
La plus importante production française, et la plus ancienne, est celle des salmonidés d’eau douce (truites), qui s’élève en 2016 à 38 714 tonnes. Grâce aux efforts menés par la filière depuis une quinzaine d’années, le marché de la truite s’est diversifié d’une truite « portion » d’environ 250 g vers une grande truite de 2,5 kg et plus, élevées pendant deux à trois ans et destinées à être fumée. « Ce marché a été entièrement créé, et, aujourd’hui, les Français consomment 5 000 tonnes de truites fumées par an », note Marine Levadoux, directrice du Comité interprofessionnel des produits d’aquaculture (Cipa). En 2012, 20 % des Français consommaient de la truite fumée, en 2016, ils sont 33 %. « Cette progression est due pour moitié à des reports d’anciens consommateurs de surimi et de saumon fumé, reprend Marine Levadoux, mais l’autre moitié est une progression nette pour le marché. » Le bio constitue également un levier de croissance intéressant. Actuellement, la France est le leader européen de la truite bio avec une production de 2 500 tonnes ; une production pionnière, mise en place dès la sortie du règlement européen sur l’aquaculture biologique en 2010, qui a contribué à susciter l’intérêt des Français pour les poissons d’élevage. Aujourd’hui, certaines réticences sont en passe d’être complètement levées, aussi bien auprès du grand public, un temps soupçonneux, que des professionnels de la restauration qui saluent désormais volontiers la qualité et la régularité des poissons d’aquaculture. « Cette demande est le fruit du travail des professionnels de l’élevage, lesquels ont œuvré à mieux faire connaître leurs produits, et à valoriser les contrôles et la traçabilité », précise Marine Levadoux.
Une production de 4 821 tonnes de poissons marins
La demande se fait également de plus en plus pressante pour les poissons marins, bars, daurades, turbots, maigres, soles et saumons. La directrice du Cipa explique que le bar et la daurade notamment, qui sont produits sur nos côtes à hauteur de 3 600 tonnes, séduisent nombre de nos consommateurs. « Ce volume ne suffit plus à combler l’appétit de tous les clients français. Il faut, pour 60 % des volumes commercialisés, faire appel à l’import, Grèce, Turquie, Espagne et Italie. » D’autant que ces produits, comme tous les poissons d’aquaculture française, sont assortis de la charte de qualité « Aquaculture de nos régions », très prisée par nos voisins européens. Bars et daurades tricolores sont donc exportés, avec une forte valorisation, à hauteur de 40 % vers le Royaume-Uni et l’Allemagne. Il ne reste donc un peu plus de 2 000 tonnes pour satisfaire une demande locale croissante.
Enfin, il y a les nouvelles productions, comme celle de l’esturgeon, qui place la France au troisième rang mondial des producteurs de caviar, derrière la Chine et l’Italie. Avec 306 tonnes de chair d’esturgeon et 27 tonnes de caviar produites en 2016, les 18 sites aquitains et les dix entreprises qui les exploitent souhaitent désormais protéger leur savoir-faire. Après avoir créé la marque collective Caviar d’Aquitaine, ils ont déposé l’année dernière une demande de reconnaissance de leurs produits en IGP.
L’aquaculture française est un secteur dynamique et qualitatif, qui offre de nombreuses perspectives, dans la mesure où elle saura se développer avant que les consommateurs, lassés par les volumes insuffisants, se tournent vers d’autres produits.
« Le développement, c’est tout l’enjeu de la filière pour ces prochaines années. C’est le travail que mène le Cipa actuellement avec l’administration, afin de définir le cadre et d’adapter les contraintes réglementaires à l’aquaculture, pour faciliter les démarches des professionnels qui souhaitent développer ou créer une pisciculture. Aujourd’hui, c’est très compliqué et très long. »
Quatre questions à…
Pascal Le Gal, Dirigeant de Salmodis-Le Cren à Rungis
Pascal Le Gal, ingénieur informaticien de formation et grossiste en marée sur le MIN de Rungis, s’est retrouvé dans la pisciculture au milieu des années 1980, à la suite d’un accident familial. Aujourd’hui, il fait le constat amer d’une aquaculture française bridée, malgré un potentiel prometteur. Il a choisi de lever le pied sur cette activité.
Comment décririez-vous le métier de pisciculteur ?
Exploiter une pisciculture en France, c’est très compliqué, et rien n’est fait dans le sens d’une quelconque simplification. Il faut une autorisation classée de type Seveso avec études d’impact, enquêtes publiques, investigations en tout genre sur la faune, la flore… C’est également une activité très capitalistique. Il faut acheter un droit d’eau, des équipements, avoir un stock de poissons qu’on ne vendra pas avant deux ou trois ans… C’est aussi un métier risqué, difficile et exigeant, soumis aux aléas climatiques et qui se complexifie encore avec certains clients, en particulier les enseignes de grande distribution qui imposent chacune leurs propres cahiers des charges, compliquant davantage la mise sur le marché dans un pays où les exigences sanitaires et écologiques sont très élevées. Enfin, il y a l’État français qui, pendant longtemps, s’est fait une religion d’être le premier de la classe au sein de la Commission européenne, même si le discours est actuellement en train de changer. En résumé, rien de concret dans les faits pour encourager le développement d’une aquaculture responsable, et de nombreux lobbies pour la réduire à sa plus simple expression. Résultat, en 1985, la France produisait entre 40 000 et 45 000 tonnes de poissons d’élevage, en 2017, pareil. Quasiment aucune augmentation des volumes alors que, dans le même temps, la Norvège est passée de 35 000 à 1,4 million de tonnes. Cherchez l’erreur…
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’ai volontairement réduit mon activité. En plus d’un magasin de marée sur le marché de Rungis, nous avons deux fermes dans l’Eure qui produisent 600 tonnes annuelles, environ 1,5 % de la production française. À la fin des années 1980, nous avions un atelier d’abattage et de préparation installé dans l’Aisne, que nous avons transformé en atelier de saumon fumé. Cette activité reste compliquée, avec toujours cette peur au ventre de faire une erreur, compte tenu de l’exigence induite par le principe de précaution qui rend l’activité plus difficile en France que partout ailleurs dans le monde.
L’avenir de la profession est-il en danger ?
Non, pas à court terme. La tendance est à la stabilisation des entreprises en place. Cependant, l’absence de création et de développement fait qu’il n’y a aucun emploi à fournir à une génération qui aimerait en faire son métier. Beaucoup de jeunes souhaiteraient travailler en pisciculture, mais il n’y a pas de travail pour eux. C’est dommage, il y a de nombreux gamins à qui on a fait miroiter un métier dans l’aquaculture, ils ont
suivi une formation, mais au bout il n’y a rien. Il faut rappeler que l’aquaculture marine française n’occupe aujourd’hui que trois hectares.
Quelques points positifs tout de même ?
Je pense qu’il y a une réelle amélioration de l’image des poissons d’élevage auprès des consommateurs. Le pisciculteur apparaît désormais davantage comme une sentinelle de la sécurité alimentaire que comme un simple engraisseur de poissons. Les deux dernières années, on constate également une amélioration des prix de vente et ce, grâce au saumon, qui a tiré toute la filière marée vers le haut. On peut dire merci au saumon, il a sauvé, pour le moment, l’aquaculture française.
Propos recueillis par Caroline Maréchal