La perle noire de Cadoret, la spéciale de Gillardeau, l’huître rose de Tarbouriech ou la perle blanche de la maison Reynaud : les huîtres spéciales sont choyées par de nombreux ostréiculteurs en France, même si leur production demeure confidentielle par rapport à celle des huîtres conventionnelles. Sur les 110 000 tonnes d’huîtres creuses produites l’an passé (contre 1 150 tonnes d’huîtres plates selon le Comité national de la conchyliculture), il n’y a pas de chiffres précis estimant les volumes de spéciales produits dans l’Hexagone : certains ostréiculteurs communiquent peu sur le sujet, de peur de révéler à leurs concurrents l’étendue de leur production. « Mais le marché de l’huître spéciale est plutôt dynamique, malgré un contexte de surmortalité lié au réchauffement des eaux. Certains ostréi-culteurs marchent sur des œufs », observe Lucas Vinot, chef de produit chez Reynaud, grossiste et producteur installé de longue date à Rungis.
Rolls-Royce
Les spéciales sont bien souvent qualifiées de « Rolls-Royce des huîtres » par les amateurs et les restaurateurs. « La perle blanche ? C’est notre marque premium, il s’agit d’une spéciale avec une très belle chair et une bonne longueur en bouche aux notes de noisette », se félicite Lucas Vinot. Quatre ostréiculteurs du bassin de Marennes-Oléron élèvent aujourd’hui des huîtres perle blanche pour Reynaud. À six mois, celles-ci sont transférées à Utah Beach, en Normandie, pour une durée de deux à trois ans. Puis elles font leur retour en Charente-Maritime pour la période d’affinage où elles se délesteront de leur saveur trop iodée. La zone comporte un grand nombre de marais salants reconvertis en claires. « Les claires sont des petits bassins de 15 centimètres de profondeur équipés de circuits d’irrigation. Plus il pleut, plus l’eau est douce : c’est la nature qui décide du goût final de nos spéciales », décrypte-t-il. Chaque année, Reynaud écoule 60 tonnes de perles blanches à destination des restaurateurs (40 %) et des poissonniers (40 %). Le reste de la production est commercialisé à l’étranger. La perle blanche peut se déguster au Divellec par exemple, mais aussi dans toutes les belles brasseries proposant un banc d’écailles.
Représentant la cinquième génération de Cadoret, Jean-Jacques Cadoret perpétue la tradition familiale sur la rivière du Bélon à Riec-sur-Bélon, en Bretagne, depuis 1880. Après l’épidémie massive qui a dépeuplé les parcs français dans les années 1970, la maison Cadoret a été contrainte de s’adapter en abandonnant les huîtres plates au profit de leurs homologues creuses. « Nous élevons des spéciales depuis plus de vingt ans », annonce Jean-Jacques Cadoret, qui commercialise une partie de sa production de spéciales (300 tonnes sur 2 000 tonnes d’huîtres produites chaque année) sous la marque Perle noire, un clin d’œil à son concurrent Reynaud. « Chez nous, on trouve également la spéciale standard au taux de chair de 11 à 12 %. La demande est à l’huître très charnue, croquante et peu iodée. Une demande à laquelle répond la Perle noire : avec ses 15 à 16 % de chair, c’est un produit d’exception, de niche », explique-t-il. L’élevage, d’une durée minimale de trois ans, comprend une phase de sélection des plus belles huîtres. Après six mois de repos en bassin, la Perle noire passe six mois dans la rivière du Bélon, durant lesquels elle obtient sa coquille foncée et sa barbe noire autour de la chair.
Elevage et affinage
À l’approche des fêtes, les huîtres spéciales vont de nouveau faire leur apparition sur les tables des restaurants. Réputées pour leur aspect charnu, leur croquant et leur goût peu iodé, les spéciales se nourrissent de différents « terroirs », en fonction de la zone d’élevage et d’affinage. Ces terroirs, selon la température de l’eau et la concentration de phytoplanctons, influencent directement le développement de l’huître et lui confèrent son aspect et la subtilité de son goût. C’est ainsi que la perle noire de Cadoret exhibe un noir profond et que la spéciale de Gillardeau présente une allure si gourmande. « Le Bélon est une rivière marine avec un sol à la qualité singulière. Dans cette eau, la perle noire grossit paisiblement et développe une chair unique », détaille Jean-Jacques Cadoret. Les terroirs, la Maison Gillardeau entend elle aussi les exploiter pleinement. « Notre maison dispose aujourd’hui de 29 sites de production à travers l’Europe. Outre pallier la mortalité des huîtres, nous voulons des spéciales uniques en leur genre », détaille Véronique Gillardeau. Il s’agit également de disposer de plus de place : un tiers de la surface des parcs n’est pas utilisé au profit du bon développement du précieux coquillage. Gillardeau est exclusivement distribuée en région parisienne par la maison Blanc à Rungis.
Dans l’étang de Thau (Languedoc), la famille Tarbouriech profite d’un terroir exceptionnel. « À l’étang de Thau, nous n’avons pas de marée donc nous avons développé le collage des huîtres sur des cordes. Nous relevons et plongeons les cordes, sur lesquelles les huîtres sont attachées, pour recré-er les marées », révèle Florie Tarbouriech qui, avec son frère Romain, produit 100 tonnes de Tarbouriech chaque année. Cette spéciale est unique en son genre. Élevée durant deux ans et demi en suspension, sa teinte oscille entre le marron et le rose. Quand les cordes sont levées, l’huître peut passer jusqu’à trente-six heures sans regagner les bassins : les rayons UV se chargent de colorer la coquille. Le taux de chair avoisine 16 %. Les huîtres Tarbouriech ont conquis bon nombre de restaurants étoilés, mais on les trouve également dans certaines brasseries ou au sein des bars à huîtres de Garry Dorr.
Les huîtres spéciales ont le vent en poupe, à tel point que Reynaud a décidé de lancer, au sein de la gamme Perle blanche, l’Excentrique, une spéciale en provenance de la baie de Quiberon. Cette huître de profondeur est semée après sa naissance dans la vase puis se développe ainsi à l’abri des marées pendant deux ans et demi, sans intervention de l’homme. La phase d’affinage est particulièrement surveillée. La croissance à 15 mètres de profondeur donne un goût beaucoup trop iodé pour les consommateurs, il convient donc de maîtriser la salinité des bassins d’affinage. Signe supplémentaire que le marché est porteur, Reynaud entend investir le créneau de l’huître spéciale bio.
Mickaël Rolland