Alors que la consommation française de viande baisse légèrement mais régulièrement, la bataille fait rage entre les acteurs économiques pour offrir aux consommateurs des qualités répondant à leurs attentes. De nouveaux repères se dessinent avec l’explosion attendue du label Rouge, du bio et des viandes maturées ou affinées.
Le constat est désormais largement partagé, y compris par les professionnels de la viande eux-mêmes. Les Français ont tendance à manger moins de viande, mais mieux. Cette tendance est corroborée par un sondage Ipsos réalisé en juillet dernier à la demande d’Interbev, l’interprofession bovine et ovine, dans lequel les pratiques des Français en matière de consommation de viande ont été disséquées.
Il ressort de cette enquête, qu’à contre-courant d’un certain bruit ambiant, les Français sont profondément attachés à la viande. 96 % d’entre eux se définissent dans ce sondage comme omnivores, déclarant manger de tout, y compris de la viande et du poisson. Les régimes alimentaires sans viande apparaissent très minoritaires avec 3 % des Français se disant végétariens. Si les raisons évoquées de consommer de la viande sont multiples, c’est le goût (pour 72 %) qui revient en premier, devant les habitudes alimentaires (67 %) et les bienfaits de la viande pour la santé (54 %).
Il n’en demeure pas moins que l’habitude de manger moins de viande s’est assez largement répandue. Près d’un Français sur deux (46 %) interrogés dans ce sondage déclare avoir diminué sa consommation. Un choix assumé et justifié par les personnes interrogées. Quand on les questionne sur ce choix de consommation, 89 % des Français pensent qu’il faut manger moins de viande mais de meilleure qualité.
Une évolution qu’illustre la multiplication des restaurants à viande et autres steakhouses dans les grandes villes. La capitale s’est illustrée ces dernières années avec les ouvertures successives de la Table d’Hugo Desnoyer, Persillé, le Bœuf Maillot, Les Crocs des Halles sans oublier (mais on en oublie) le Cover Grill de l’emblématique Jean-François Piège. « Ce n’est pas contradictoire avec la mode végétale ou vegan, qui existe bel et bien », analyse Francis Fauchère, le patron d’Eurodis, grossiste à Rungis. « Cela témoigne d’un changement symbolique du lieu de consommation. On mange moins de viande ordinaire au quotidien et chez soi, mais on est prêt à se lâcher à l’extérieur pour se faire plaisir avec de la bonne viande. »
Boom attendu du label Rouge et du bio
Mais « la bonne viande », qu’est-ce que c’est ? L’appréciation, subjective, en reviendra toujours au consommateur final. Des repères objectifs recueillent cependant un assez large consensus. Dans le secteur bovin, il est généralement admis que le type racial « viande » constitue un critère déterminant, même s’il existe aussi des races « à double fin », comme la Normande ou la Montbéliarde, également appréciées pour leurs qualités de viande. Dans ce domaine génétique, la France dispose d’atouts incontestables, avec un cheptel allaitant abondant (les deux tiers de la production de viande bovine française) et une variété de races locales pratiquement sans équivalent. Charolaise, Limousine, Blonde d’Aquitaine, Rouge des prés, Salers, Gasconne, Aubrac, Parthenaise, Bazadaise, Blanc Bleu sont autant de références internationales en matière de qualité. Leur mode d’élevage convient en outre parfaitement aux attentes des consommateurs en matière d’environnement et de bien-être animal. Les « viandes racées » sont issues de troupeaux qui vivent une grande partie de l’année en plein air et se nourrissent essentiellement d’herbe et de fourrage produits à la ferme. Mais la mondialisation a offert un large accès à des viandes bovines et ovines de qualité reconnue en provenance d’Europe, mais aussi des États-Unis, d’Australie et même du Japon. L’Aberdeen Angus écossaise, l’Angus irlandais, la Simmental allemande, le Black Angus américain et le Wagyu japonais sont devenus des nouvelles références pour les consommateurs français. Ces viandes piécées, généralement issues des plus beaux morceaux, se sont notamment fait une place de choix en restauration (les deux tiers des viandes bovines consommées hors domicile en France sont importées), y compris en restauration commerciale traditionnelle.
Conscientes de cette montée de la concurrence, les filières françaises se sont appuyées ces dernières années sur l’outil éprouvé des signes officiels de qualité. Des démarches qui ont rencontré un grand succès auprès des producteurs puisqu’il existe aujourd’hui 66 labels Rouge de viande, dont 20 de bovins et huit de veaux, 24 indications géographiques protégées (dont six en bovin et deux en veau) et sept appellations d’origine contrôlée, dont trois en bovin : Bœuf de Charolles, Maine-Anjou et Fin gras du Mézenc.
Le développement du label Rouge, qui certifie une expérience gustative supérieure et respecte des critères de production plus exigeants sur l’impact environnemental et sur le bien-être animal tout au long de la filière, constitue aujourd’hui une priorité de la part de la filière française. Dans son « plan de filière », remis à l’occasion de la clôture des états généraux de l’alimentation, l’interprofession a annoncé l’objectif de porter de 3 % à 40 % les volumes de viande bovine label Rouge d’ici à cinq ans et de doubler dans le même temps ceux de viande de bœuf et de veau « bio ». Quant à la filière ovine, elle a annoncé son souhait de « doubler sa production de viande bio (11 % des brebis contre 5,5 % aujourd’hui) et de viande sous label Rouge ou IGP (30 % contre 15 % aujourd’hui) ».
La maturation, nouvel eldorado
Parallèlement au renforcement des signes officiels de qualité, des acteurs importants du monde de la boucherie se sont engagés dans l’amélioration de la qualité gustative des viandes grâce à la mise au point de diverses techniques de « maturation », pour attendrir la viande et en développer la flaveur. Ces procédés, couramment utilisés dans les pays anglo-saxons et popularisés dans les années 2000 par le boucher Yves-Marie Le Bourdonnec, bénéficient d’un réel engouement. En France, le grossiste Jean Denaux s’est équipé en 2012 à Sens d’un outil moderne d’affinage des viandes, notamment celles de bœuf de Charolles. L’abatteur transformateur de viande auvergnat Puigrenier a obtenu pour sa part en 2016 un grand prix Sial Innovation pour la Cave à viande, des découpes maturées 21 jours sur os et vendues en libre-service. À Rungis, Olivier et Franck Metzger, spécialistes de la viande haut de gamme, ont aménagé cette année dans leurs nouveaux locaux accolés au V1P une chambre froide dernier cri permettant de faire mûrir des viandes de deux à six semaines sous température, humidité et ventilation régulées. La bataille des viandes de qualité ne fait sans doute que commencer.
Bruno Carlhian

Avis de grossiste : Francis Fauchère, P-DG d’Eurodis

Trois questions à…François Landrieu
« Les filières françaises ont leur place dans le top mondial de la qualité »
Les segments de haute qualité sont souvent occupés en restauration, par des références étrangères, comme l’Angus ou la Simmental. Comment expliquez-vous cela dans un pays à forte tradition de viande bovine ?
Au-delà des effets de mode et de mondialisation, il existe quelques explications. Les viandes de provenance nord-américaine par exemple, produites avec une alimentation à base de maïs ensilage et à partir de races à croissance rapide, sont des viandes jeunes et grasses, très persillées et même marbrées. Donc très savoureuses, très flatteuses pour le dégustateur. Mais la clientèle pour ce type de viande grasse est restreinte, occasionnelle. Le consommateur français ou européen y trouve plaisir, mais pas question pour lui d’en faire une consommation quotidienne, pour des raisons de diététique notamment. La Simmental allemande est une race mixte, laitière et à viande, comme notre Normande. Tout amateur sait qu’il s’agit de viandes de très bonne qualité, issues de vaches ayant vêlé deux ou trois fois, avec une fibre et une texture de viande adulte, lentement persillée, particulièrement savoureuse. Hélas, nous, les Français, nous avons transformé une grande partie de nos vaches Normande en vache à lait spécialisées, quasi rivales des Holstein, notamment pour fournir les AOP et IGP fromagères normandes. Ce schéma épargne en partie – mais pas totalement – les races mixtes rouges de l’Est (Pie rouge, Montbéliarde), mais leur troupeau a ses limites. Donc, si les habitants de l’agglomération francilienne veulent manger selon leur goût ancestral de la vache de réforme un peu âgée et un peu persillée, c’est de la Simmental qu’il leur faut désormais. Quant à la viande de type Aberdeen Angus, elle a d’indéniables qualités de jeunesse, de tendreté, de naturalité. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’avantage qu’ont ces viandes d’importation d’être commercialisées essentiellement en découpe noble, filet-faux, filet-rumsteck.
Existe-t-il des filières d’excellence françaises en matière bovine, ovine, porcine, et si oui quelles sont-elles selon vous ?
Il y aurait plutôt trop de labels en France que pas assez ! Dans tous les cas, ce sont des filières très bien travaillées, avec des cahiers des charges contraignants et des niveaux de qualité élevés, voire, pour certains, exceptionnels. Rien n’est jamais parfait, mais ces filières entrent sans hésitation dans le tip top de la qualité mondiale. Enfin, il y a les filières individuelles, ou plutôt personnelles. La « main », comme on dit, des vrais bons bouchers ; ceux qui vont encore dans les élevages pour choisir leurs bêtes, qui ont le contact avec les éleveurs et les abatteurs. Savez-vous qu’il existe un nouveau métier depuis quelques années ? Celui de « sourceur ». Il s’agit d’un professionnel dont le rôle est d’indiquer à des acheteurs exigeants, situés à Paris (ou ailleurs), les meilleures bêtes qui seront disponibles dans les semaines suivantes, voire dans l’abattage du jour d’un abattoir local.
Une « culture de la viande » est-elle sur le point d’émerger en France selon vous, à l’instar du vin et du fromage ?
Plût au ciel que les cultures que vous évoquez, du vin ou du fromage, existassent réellement ! Un certain public est connaisseur, oui. Mais, en général, celui qui sait la différence entre un gamay et un pinot, ou entre un lait cru et un lait pasteurisé, sait aussi qu’on ne mange pas une viande trop fraîche et qu’une parthenaise d’un peu d’âge et bien finie est préférable à une vieille réforme épuisée. Mais la viande c’est compliqué, et un peu mystérieux. Comment expliquer à un consommateur non initié les mystères de l’affranchissement d’une bavette ou les particularités d’un dessous de paleron ? De qui apprendre que le faux-filet est meilleur dans les trois premières côtes ? Que pour un bon tartare on demandera une bavette de flanchet coupée « à la feuille » ? Jadis, la cuisine des ménages connaissait mieux qu’aujourd’hui l’usage des morceaux, pour des principes de bonne économie ménagère qui ont été oubliés.
L’Académie de la viande a décerné cette année un prix spécial à Arthur Le Caisne pour un excellent ouvrage de vulgarisation culinaire, Le Manuel du garçon boucher, aux éditions Marabout.

La science à la rescousse