Etat des lieux de la consommation françaiseEtat des lieux de la consommation française

Produits de la mer

Etat des lieux de la consommation française

La consommation française de produits de la mer connaît une certaine stabilité et le secteur amorce un regain de vitalité. Le métier est ardu, la logistique difficile et les produits français souffrent de concurrence et de méconnaissance, mais le potentiel est là. Tour d’horizon de la situation avec Rodolphe Ziegler, directeur d’exploitation des Ets Demarne, négociants en produits de la mer à Rungis depuis 1929.

Les Français consomment 34,5 kg de produits de la mer par an. La pêche française, qui représente 20 % de cette consommation, soit un peu moins de 200 000 tonnes, a maintenu son chiffre d’affaires en 2017 à 644 millions d’euros. Le secteur sort la tête de l’eau, et semble retrouver des perspectives d’avenir. « Il y a du poisson, il n’y en a jamais eu autant, déclare Rodolphe Ziegler, directeur d’exploitation des Ets Demarne à Rungis. Depuis la mise en place des quotas, on sait gérer la ressource. Il y a encore des zones et des espèces où c’est compliqué mais globalement on progresse. On a appris à gérer les stocks, dans nos eaux, il y a des endroits où les quotas sont à la hausse. »
Il y a quelques années, il y a eu de la casse et les marins pêcheurs sont descendus dans la rue. « Heureusement que les organisations de protection de la nature étaient là, reprend Rodolphe Ziegler. Avant, on faisait n’importe quoi, mais des efforts ont été faits et ce serait bien maintenant de le reconnaître un peu de temps en temps. » Aujourd’hui le secteur se porte mieux parce qu’il y a plus de poissons et que le prix du gasoil a baissé. Et il y a un signe qui ne trompe pas, c’est la demande de construction de bateaux de pêche neufs qui est repartie. Pour acheter un bateau, il faut prévoir un investissement qui peut aller jusqu’à plusieurs millions d’euros et pourtant, de plus en plus de jeunes veulent se lancer. « ça signifie qu’ils y croient et qu’il identifient un potentiel. ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de difficultés, il y a toujours des problèmes de saisonnalité, des périodes où le poisson qui devrait être là n’y est pas… quand on est pêcheur, on travaille avec ce que la nature veut bien donner. »

Chaque jour un défi logistique

« Dans nos métiers, c’est le poisson qui commande, analyse Rodolphe Ziegler. C’est une des filières qui gère le plus d’urgence. Prenez un rayon de poissons, à Nice, à Lorient, à Marseille, à Bordeaux, à Strasbourg… Il y a tous les types de produits, ils viennent de partout, du monde entier, de toutes les côtes françaises, et la veille ils n’étaient pas là. »
Chaque matin chez Demarne, les clients commandent des produits qui souvent ne sont même pas encore débarqués ou pas encore transformés. Les commandes sont prises pour le jour même. Et chaque jour est différent, pour les prix comme pour les arrivages. Etat des lieux de la consommation française 1 « Pour certains clients, on s’engage en prenant un risque de ne pas pouvoir fournir le produit, d’autres s’adaptent en fonction de ce qu’on peut leur proposer. » Et tous les jours, il y a des camions qui roulent pour livrer, le poisson se vend en flux tendu toute la journée et la nuit aussi… C’est une course à la fraîcheur qui ne s’arrête jamais. Les produits arrivent de partout, de toutes les côtes de France par camions, dans les aéroports, d’Afrique, des Etats-Unis, d’Asie, par camions via les ferrys ou le tunnel à Boulogne en provenance d’Ecosse, d’Irlande, d’Angleterre, également des pays nordiques, Norvège, Danemark par camions… En l’espace de 24h, tout doit être livré au client final, et cela, tous les jours. « C’est un tour de force logistique quotidien», salue le directeur de Demarne.

Un arbitrage qui se fait sur le prix

Aujourd’hui, pour le poisson comme pour beaucoup d’autres produits alimentaires, l’heure est à la standardisation. « Le marché est devenu mondial, les prix aussi. Il y a quelques années, il pouvait y avoir des écarts de prix sur deux criées distantes de 100 km. A ce moment là, on pouvait faire des coups, c’est à dire avoir des produits moins chers. L’information circulait moins vite et le temps que la communication arrive, les lots étaient vendus. Maintenant les prix sont lissés. Il y a un prix de marché, point. Etat des lieux de la consommation française 3 Aujourd’hui quand on nous propose un lot de poissons avec un prix significativement moins cher que le marché, c’est forcément qu’il y a un problème, soit c’est de la fraude, soit ce n’est pas la bonne taille, soit ce n’est pas beau… nous sommes très méfiants. »

En France, le consommateur plébiscite le saumon, le cabillaud, les crevettes roses…en résumé, surtout des produits d’import et d’élevage. « Les consommateurs arbitrent majoritairement avec le prix. Si vous interrogez des clients à l’entrée d’un magasin sur leurs motivations -déjà ils ne sont que 10 % à se rendre au rayon marée-, ils vont répondre la fraîcheur, la qualité, la santé pour leurs enfants, l’origine France… A sortie, les mêmes personnes vont souvent avoir acheté des crevettes d’Amérique du Sud et du saumon de Norvège. » Si on regarde les prix sur les étals, on ne peut que constater que le poisson reste un produit cher. « 9 fois sur 10, les promotions se font sur le bar et la dorade de Grèce, le saumon, le dos de cabillaud et les crevettes. Les consommateurs ont une belle image des produits de la mer, mais quand ils voient le prix en facial, ils s’adaptent. » La pêche française, qui doit être justement rémunérée, ne tire pas toujours avantage de sa grande variété. « Le cabillaud, si apprécié de nos compatriotes, provient essentiellement des pays du nord, Islande, Danemark… Etat des lieux de la consommation française 5 Il y a une grande différence entre ces pays-là et nous. Ils sont davantage mono-produit, leurs ressources sont moins variées. Lorsque les Islandais mettent un filet dans l’eau, il y a 9 chances sur 10 qu’ils pêchent du cabillaud. En France, par exemple sur les côtes Bretonnes, on pêche de tout, langoustines, homards, du rouget, du Saint-Pierre, du Bar, du lieu jaune , toutes sortes de coquillages , des coquilles Saint-Jacques… C’est beaucoup plus riche. C’est très bien parce qu’il y a une variété fantastique et que la qualité est remarquable, mais c’est plus compliqué pour mettre en place un outil industriel derrière. Les Islandais, leurs machines tournent 18h par jour sur un seul produit, ce qui rend leur production plus compétitive. Ce système est impossible en France. » Les produits d’élevage suscitent également un intérêt croissant. Les bars et les dorades d’élevage sont plébiscités par les restaurateurs qui souhaitent des produits homogènes en calibre et en qualité. Ils séduisent aussi les consommateurs. « Les produits d’élevage tiennent globalement bien la route, c’est important, reprend Rodolphe Ziegler. De plus, ils permettent à la grande distribution de programmer des promotions. Si on ne sait jamais ce qu’on va pêcher en mer, on sait ce qu’on va prélever dans une pisciculture et quand. Du coup, il devient possible de négocier à l’avance, ce qui est impossible pour un poisson sauvage. Il faut savoir que pour la pêche sauvage, plus on achète, plus on paye cher. C’est mécanique on n’a pas le choix. »

Des produits en quête de reconnaissance

La pêche française pâtit également de freins liés à d’éducation et à la connaissance. Aujourd’hui, ce sont les dos de poisson qui font recette : dos de lieu noir, dos de cabillaud, dos d’aiglefins… « Il y a 20 ans, cela n’existait pas, on ne connaissait pas … Aujourd’hui, nous vendons énormément de dos, bien davantage que des filets. Les clients les apprécient parce qu’il n’y a pas d’arrêtes, que ce sont des morceaux propres et carrés, plus facile à cuire parce qu’ils sont plus épais. » Etat des lieux de la consommation française 2 D’autres espèces comme la langoustine, la sole, la lotte… n’ont pas besoin de communication pour se vendre, mais le reste de la pêche française peine à se faire connaître. « Avec Pavillon France, nous essayons de faire découvrir aux consommateurs des espèces de la pêche française moins connues, moins valorisées et donc pas trop onéreuses, comme la sardine, le maquereau, le grondin rouge, la plie… » Le fait est que la consommation des produits de la mer frais, dans la catégorie des 20, 25 ans est catastrophique. Ce sont les 50, 60 ans et plus qui portent le marché avec une consommation régulière. Après, selon les catégories d’âges, il s’agit de produits entiers ou travaillés. D’après Rodolphe Ziegler, « Plus les clients sont jeunes, plus le produit est travaillé, voire carrément prêt à être réchauffé au micro ondes quand le coût portion est abordable. » Il y a donc un travail éducatif à mener. Le poisson bénéficie déjà d’une bonne image, notamment santé. Il faut donc davantage axer la communication sur les différentes espèces, françaises bien sûr, sur la mise en œuvre et la simplicité de préparation en cuisine.

Les nouvelles espèces exotiques ne font pas recette

Le marché du poisson frais traditionnel n’est pas en quête d’innovations ou de nouveautés, il s’agit d’un secteur où l’on aime retrouver ses produits préférés. Etat des lieux de la consommation française 6 En témoigne le destin mitigé des espèces apparues sur le marché en 30 ans. « Les nouvelles espèces qu’on a vu apparaître ne sont pas sauvages, ce sont des espèces d’élevage, qui sont souvent arrivées des pays asiatiques et qu’on ne connaissait pas avant. Ce sont la plupart du temps des espèces à croissance rapide et rendement optimisé. » La première à arriver sur les étals est la Perche du Nil il y a 30 ans. Son arrivée a crée un mouvement de curiosité et il y a eu un pic de consommation puis une stagnation. Ensuite sont arrivés le Panga, le Tilapia. Sur le marché du poisson frais traditionnel, aucune de ces nouvelles espèces n’a pris une place importante. Même si à un moment elles ont connu un certain succès, l’engouement est aujourd’hui bien retombé. Elles n’ont pas trouvé leur place sur ce marché qui reste assez traditionnel. « Elles fonctionnent beaucoup mieux en surgelé auprès de la restauration collective parce qu’elles restent attractives en termes de coûts et souvent garanties sans arêtes. »

La traçabilité en quête d’efficience

Les clients, de plus en plus concernés par l’origine des produits, se préoccupent davantage de la traçabilité, et se tournent de plus en plus vers des labels comme le bio, le Label Rouge, la marque Pavillon France, MSC et autres qui garantissent par leur présence une certaine sécurité. Pour le reste, ça semble plus compliqué. Etat des lieux de la consommation française 7 « La traçabilité des produits de la mer pose problème parce qu’une grande majorité d’entre eux ne sont pas marquetés. Lorsque l’Europe a imposé une traçabilité fine, l’idéal aurait été de créer une codification européenne, propre à toutes les entreprises. Aujourd’hui on peut acheter des lots de filets de moruettes en Bretagne Sud, en Normandie, au Danemark, en Ecosse… C’est le même produit, mais pourtant les origines sont différentes, ainsi que les techniques et engins de pêches. C’est un dossier problématique pour toute la profession. Nous avons tous nos solutions en interne, à tous les maillons de la filière. Le problème étant la transmission fiable et rapide des informations entre les intervenants. Techniquement, ce n’est pas encore parfaitement réglé et c’est chronophage. »

Caroline Maréchal

 

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Interview : Marion Fischer, déléguée générale de France Filière Pêche

« Le travail de Pavillon France, c’est d’orienter les consommateurs vers d’autres espèces approvisionnées par la pêche française. »

  • Rungis Actualités : Pourquoi et quand France Filière Pêche a-t-elle été fondée ?
  • L’association France Filière Pêche a été créée en 2011, suite au plan Barnier pour une pêche durable et responsable. Toute la filière, du pêcheur au distributeur, a souhaité mettre en place une marque collective pour identifier les produits issus de la pêche française, basée sur la traçabilité et la qualité. Pavillon France a été lancée en 2012, avec l’objectif de mieux valoriser la pêche française, minoritaire sur son marché, en l’identifiant et en renforçant sa présence dans le commerce. L’idée est d’apporter au consommateur un indicateur fiable qui permet de garantir l’origine du produit. En parallèle, l’association France Filière Pêche a développé d’autres activités comme par exemple la modernisation de la flotte de pêche, la recherche et l’amélioration de la connaissance des stocks de poissons, l’amélioration de la qualité et de la sélectivité des engins de pêche…

  • RA : Quel est votre budget de fonctionnement ?
  • Notre budget cette année est de 18,6 millions d’euros, qui proviennent essentiellement de la grande distribution. Les trois quarts sont utilisés pour mener à bien nos missions de recherches et d’améliorations sur le terrain, et un quart est consacré au soutien commercial de ma marque collective Pavillon France.

  • RA : La marque Pavillon France a-t-elle eu un impact significatif sur les ventes de produits de la mer français ?
  • L’impact de Pavillon France ne se mesure pas en en termes de hausse des ventes, la pêche française étant soumise à des quotas, on ne peut pas augmenter tant que ça les volumes. En revanche, l’intérêt est de mieux valoriser les produits et les différentes espèces. Les petits poissons comme les sardines, les maquereaux, les harengs, les merlans, les tacauds, ont de cette façon, connus un regain d’intérêt vis à vis des consommateurs et des distributeurs. Ces derniers ont souhaité s’approvisionner un peu plus pour profiter de cette filière tracée et fiable. Pavillon France a eu un effet sur ses produits là.

  • RA : Quel type de message tentez-vous de faire passer auprès des consommateurs ?
  • Les consommateurs français sont très orientés sur des produits que nous ne produisons pas en France comme le saumon, la crevette et le cabillaud. Le travail de Pavillon France, c’est de les orienter vers d’autres espèces approvisionnées par la pêche française. De toute façon, nous n’avons ni les bonnes espèces, ni les volumes suffisants pour approvisionner l’intégralité de la consommation française. A part quelques espèces bien connues comme la sole, la lotte, le bar, les consommateurs ne connaissent pas trop bien les espèces françaises et se rabattent naturellement sur des espèces qu’ils apprécient comme le saumon ou le dos de cabillaud. Nous avons un travail de pédagogie à faire pour expliquer qu’en plus d’être origine France, nous avons d’autres espèces à proposer.

  • RA : Quelles sont les conditions pour utiliser Pavillon France ?
  • Nous nous sommes posé la question de savoir ce qu’était la pêche française et, après de longs débats, nous sommes tombé d’accord pour dire que c’était celle réalisée par les bateaux battants pavillon français. En fait, quel que soit l’endroit où est pêché le poisson, ce qui compte, ce sont les techniques qui sont mises en œuvre, le respect de la réglementation européenne en terme de gestion de l’environnement, et la réglementation sociale française pour les personnes à bord du bateau. Un poisson Pavillon France, c’est un produit qui a été pêché par un bateau français, qui est travaillé, emballé et distribué sur le sol métropolitain. Le mareyeur qui achète son poisson peut mettre Pavillon France dessus si il provient d’un bateau français. Des contrôles externes sont effectués du mareyeur au distributeur pour vérifier que la traçabilité et la qualité, essentiellement la fraîcheur, sont bonnes. La mention Pavillon France doit figurer sur les étiquettes sanitaires, les bons de livraison et sur les factures. Il s’agit d’un champ supplémentaire dans le système de traçabilité déjà existant des opérateurs.

  • RA : Quelles sont vos stratégies de communication ?
  • Jusqu’ici nous étions surtout présents en télévision. Pour 2018, nous avons changé de stratégie avec une campagne d’affichage national pendant une semaine dans 50 villes de plus de 50 000 habitants, pour augmenter la notoriété et le capital sympathie de la marque. Nous misons également beaucoup sur le digital avec des vidéos en ligne et une présence accrue sur les réseaux sociaux comme facebook et instagram… Au départ, nous étions davantage tournés vers la gastronomie, la préparation des produits. Aujourd’hui, nous introduisons davantage de contenu et de filière dans nos messages. Il y a beaucoup d’actions sur le terrain, notamment en grande distribution où 3000 points de vente organisent des animations Pavillon France tout au long de l’année. Enfin, une nouvelle grande vague de publicité arrive avec un panneau de plusieurs centaines de mètre carré dans la gare Montparnasse pendant 3 mois.