Nombreux sont les atouts à mettre au crédit de la Bretagne en matière d’agroalimentaire. Région de pêche, bien sûr, mais aussi terre d’élevage et de cultures légumières, la Bretagne fait aujourd’hui figure de championne dans bien des domaines. De la petite exploitation indépendante aux grandes coopératives comme Avril, Sodiaal, Savéol ou Prince de Bretagne, le paysage agricole et agroalimentaire est varié. De son côté, l’industrie, qui avait connu d’impressionnants revers ces dernières années avec la disparition de Gad ou encore de Tilly-Sabco, ainsi que la tempête traversée par le groupe volailler Doux, semble s’épanouir en sortant d’une logique de production pure : les industriels de l’agroalimentaire bretons misent davantage sur les produits à valeur ajoutée que sur les volumes, ce qui a induit une lente mutation des outils de production. Le secteur de la volaille a ainsi continué sa mue, après des années de restructuration. Aujourd’hui, le groupe LDC, qui a repris Doux, réalise une grosse part des abattages de poulets bretons et consolide sa position de leader jusque dans le maillon accouvage, avec ses reprises récentes (Perrot et Couvéo). « Dans ce secteur, le groupe morbihannais Olmix pose petit à petit ses jalons, que ce soit au niveau industriel, mais également dans la commercialisation de ses produits (restaurant, boucherie, foodtruck) », explique la Revue de l’Observatoire des IAA de Bretagne.
La mise en place de stratégies tournées vers de nouveaux marchés (restauration hors domicile, export) et de nouveaux segments (bio) a demandé des moyens supplémentaires de la part des industriels, avec la gestion de nouveaux cahiers des charges, la réorganisation de leurs outils, le développement marketing, etc. « Nous recensons des investissements de plus de 10 M€ réalisés ou annoncés, entre 2018 et 2019, chez des acteurs de divers secteurs (groupe Jean Floc’h, Société bretonne de volaille, Ardo, Gelagri Bretagne, Savéol, Sica Saint-Pol-de-Léon, Spécialités Pet Food, Sill Entreprises, Froneri France, Laïta, Agrial, Furic-Océalliance, Brasserie de Bretagne, Ronsard). Les entreprises restent optimistes quant à leur avenir, malgré les incertitudes générées par le déroulement des négociations commerciales avec la grande distribution, ou encore l’issue du Brexit, qui s’est fait attendre tout au long de l’année », notait la Chambre d’agriculture de Bretagne, avant que le coronavirus ne mène la France au confinement.
Premier secteur industriel breton (40 % des emplois industriels), l’agroalimentaire, qui a connu un véritable essor dans la région depuis un quart de siècle, est le moteur économique de la Bretagne. On dénombre ainsi plus de 1 000 entreprises agroalimentaires artisanales et/ou industrielles, pour un chiffre d’affaires de 19,5 milliards d’euros, soit 11 % du chiffre d’affaires réalisé par l’industrie agroalimentaire nationale, avec des secteurs-clés : lait, viande, alimentation animale, charcuterie et salaison. La Chambre d’agriculture note également que les coopératives ont contribué à la dynamique ; parmi elles : le groupe d’Aucy. En parallèle de la constitution d’Eureden avec Triskalia (voir encadré p. 24), « d’Aucy a musclé sa trésorerie avec l’entrée au capital de salariés, d’adhérents, de partenaires et du conseil régional de Bretagne afin de soutenir sa croissance externe, dont la prise de participation dans Saint-Mamet pour 2018 ».
L’exemple d’Avril
Parmi les modèles coopératifs, celui du groupe Avril impressionne par sa diversité et le haut niveau de qualité de ses process. Si le siège du groupe est situé en Île-de-France, son implantation en Bretagne est tentaculaire. Puget, Matines, Lesieur, Sanders sont autant de marques qui sont tombées au fil des années dans l’escarcelle du groupe. La coopérative a vu le jour en 1983. À l’époque, on l’appelle Sofiprotéol et elle vient d’être lancée par un groupe d’agriculteurs issu de la filière des huiles et protéines. Après de multiples acquisitions et la constitution de différents pôles (Avril Végétal, Avril Filières d’Élevages, Avril Spécialités, Avril Développement, ainsi qu’une société d’investissement qui a conservé l’appellation Sofiprotéol), la coopérative est devenue Avril en 2015. En 2018, elle a réalisé un chiffre d’affaires dépassant les six milliards d’euros. Présente dans 22 pays, elle emploie 7 500 collaborateurs et dispose de 59 sites industriels dans l’Hexagone. Si l’activité de transformation des graines de colza et tournesol et la vente de produits qui en sont issus constituent le gros du chiffre d’affaires (Avril Végétal a réalisé un CA de quatre milliards d’euros en 2018), Avril Filières d’Élevages n’est pas en reste. Cette division regroupe notamment l’activité de transformation des œufs avec une filiale baptisée Ovoteam. Cette dernière est à l’origine d’œufs transformés que l’on retrouve dans les hôtels de France et de Navarre : les fameux œufs brouillés servis aux petits déjeuners. À Rungis, on retrouve aussi les produits d’Ovoteam (les œufs pochés, par exemple) chez de nombreux grossistes du Carreau des produits laitiers pour l’approvisionnement d’appoint. De gros intervenants sur le marché de la restauration hors domicile, à l’instar de Pomona, Brake ou encore Transgourmet, figurent dans la liste des clients d’Ovoteam.
Pour transformer et distribuer ses œufs, l’industriel travaille aux côtés de 400 éleveurs bretons. Et pour répondre à la tendance de l’œuf de poules élevées en plein air, Avril souhaite convertir l’intégralité de ces élevages au plein air d’ici à 2025, contre 40 % aujourd’hui. Ovoteam prévoit ainsi d’accompagner financièrement, si nécessaire, certains de ses éleveurs partenaires. Preuve que l’innovation et la volonté d’épouser l’évolution du marché sont fortes ; chez Ovoteam, 17 % des produits de la catégorie « œuf » sont déjà en bio. Le département recherche & développement propose toutes sortes de produits omniprésents dans certains plats du quotidien : l’œuf liquide pasteurisé (boulangerie/pâtisserie), les omelettes nature ou garnies à destination de la RHF, etc. Le groupe Avril commercialise chaque année 900 millions d’œufs (80 % sont destinés à la restauration commerciale ou collective) de poule et bénéficie de quatre usines, jouissant chacune de leur spécialisation, à travers la Bretagne.
Rungis Actualités a eu l’opportunité de visiter l’un des élevages partenaires d’Ovoteam dans la périphérie de Rennes (35). Ginette et Bernard Degan sont à la tête d’une exploitation de 11 ha et élèvent 63 000 poules, dont 27 000 évoluent aujourd’hui en plein air. Face à un marché du bio qu’ils jugent saturé, Ginette et Bernard Degan ont, eux aussi, l’intention de se convertir à 100 % à l’élevage de plein air à l’horizon 2025. Leur production d’œufs se destine à plusieurs débouchés comme la RHD scolaire ou la restauration commerciale. Le couple fournit à Avril quatre types de calibres : 43 à 53 g/53 à 63 g/63 à 73 g et XL (plus de 73 g). « Généralement, les œufs ne sont pas triés sur élevage car les éleveurs ne disposent pas de calibreuses. Ils assurent simplement un premier tri en évacuant les œufs sales ou qui présentent des coquilles abîmées », explique David Cassin, du groupe Avril. Sur cette exploitation, les poules sont accueillies à l’âge de 17 semaines. Les trappes du bâtiment (100 m de long pour 16 m de large), capable d’héberger 27 000 volailles, sont ouvertes à 11 h et, chaque matin, une nuée de poules envahit un parcours de 11 ha. Quand elles atteignent les 80 semaines, âge au-delà duquel la poule cesse de pondre, les volailles quittent l’élevage.
Première région agricole française
La Bretagne constitue la première région agricole française, grâce à un modèle productiviste mis en place à partir des années 1960 pour répondre aux besoins des marchés alimentaires français et européens. Confrontée depuis plusieurs années à un nouveau paradigme, la Bretagne a su adapter son agriculture aux contraintes environnementales, à l’amélioration de la qualité et à une meilleure valorisation de ses productions : la région a bâti une agriculture moderne qui laisse une bonne place à de nouvelles pratiques, à l’instar du bio, des produits sous signe de qualité, produits fermiers, vente directe, etc. Ainsi, en 2018, 62 % du territoire régional étaient occupés par l’agriculture avec environ 27 000 exploitations, soit près de 68 000 actifs, pour 9 milliards d’euros de productions agricoles. À elle seule, la région agrège 23 % du cheptel laitier national, 56 % du cheptel porcin, 32 % de la production nationale laitière conduite en bio et 44 % de la production d’œufs. Véritable garde-manger de la France, la Bretagne connaît néanmoins une érosion de ses forces vives agricoles. Les effectifs ne cessent de diminuer, comptant 67 518 actifs en 2017 (contre 68 594 actifs en 2016, soit – 1,57 %), ce qui représente ainsi 4,1 % des emplois bretons (contre 2,4 % en France). Le nombre d’actifs familiaux agricoles a diminué en moyenne de 2,4 % par an entre 2007 et 2017 alors que le nombre de salariés a augmenté de 1,2 % par an. Avec les Dotations Jeune Agriculteur transmises par l’État, 465 jeunes agriculteurs se sont installés en 2017, la Bretagne étant l’une des premières régions françaises pour le nombre d’installations. Ce chiffre retrouve son niveau des années s’étalant de 2019 à 2013, après avoir considérablement chuté entre 2014 et 2015.
Les produits sous signes officiels de qualité sont bien représentés et affichent de belles progressions en bio et Label rouge. La région comporte 2 800 exploitations en bio, soit une hausse de près de 5 % entre 2017 et 2018. Environ 1 800 producteurs bretons détiennent un Label rouge. À noter également qu’environ 400 exploitations produisent sous AOP/AOC en 2017, elles étaient 431 en 2016, soit une baisse de 5,4 %.
Bien que la Bretagne soit avant tout une région d’élevage, elle est aussi la première région légumière de France. Elle compte 38 000 ha destinés à la production de légumes et 3 700 exploitations. La production légumière concerne plus particulièrement la Bretagne nord et le centre. Choux-fleurs, tomates, échalotes et artichauts sont les principales productions en légumes frais, tandis que les pois, haricots verts, flageolets et épinards sont davantage destinés à la transformation. Cette production recouvre les légumes frais produits en plein champ ou sous serre, mais aussi les légumes de plein champ destinés à l’industrie et le maraîchage.
La pêche, l’autre poumon breton
La pêche est une activité ancestrale dans cette région bordée par l’océan Atlantique et la Manche. La Bretagne abrite un grand nombre d’importants ports de pêche ; comme Lorient, Le Guilvinec, Erquy ou encore Saint-Quay-Portrieux. En moyenne, chaque année, à la criée du port de Keroman, à Lorient, sont vendues 19 000 tonnes de poissons. Parmi ces derniers, principalement du merlu et du lieu noir. Au Guilvinec, pas moins de 17 000 tonnes de poissons sont commercialisées avec une belle présence d’espèces comme la raie ou l’églefin. Les Pêcheurs de Bretagne, organisation qui réunit les acteurs de la filière pêche à l’échelle de la région, est à l’origine de 100 000 tonnes de capture chaque année. Elle représente 3 000 marins, pour plus de 700 navires.
En 2019, 20 271 tonnes ont été vendues aux enchères de la criée du port de Lorient, soit 72,3 millions d’euros de chiffre d’affaires. Comparé à la grande rivale, Boulogne (Normandie), Lorient est le premier port de pêche français première mise en marché, « c’est-à-dire les produits proposés à la vente sous criée », en termes de chiffre d’affaires, comme l’a souligné le quotidien Ouest-France. Boulogne a proposé à la criée 20 500 tonnes pour une valeur de 46 millions d’euros. Tous produits confondus et à l’échelle nationale, Boulogne est en tête avec 31 500 tonnes (22 273 tonnes pour Lorient) et 80 millions d’euros (77,3 millions pour Lorient) ; Le Guilvinec (Finistère) arrive en 3e position. Parmi les espèces qui ont le plus la cote, on peut citer la lotte, la julienne et la langoustine.
■Mickaël Rolland

Eureden : naissance d’un géant
La Bretagne face au coronavirus
Le grenier de la France subit la crise du coronavirus, comme beaucoup d’autres régions agricoles. Les agriculteurs et les éleveurs continuent de travailler, mais les canaux de distribution diminuent comme peau de chagrin. L’industrie agroalimentaire est à la peine. Certaines sociétés sont plombées par la fermeture des restaurants et des cantines, mais d’autres sites de production doivent répondre à l’appétit grandissant de la GMS. Le producteur de champignons Lou, basé en Ille-et-Vilaine, a vu l’activité de l’usine exploser, avec des commandes multipliées par quatre ou cinq, mais 70 % de la demande n’ont pas trouvé satisfaction face au pic de commandes. La brasserie Britt, quant à elle, s’est adaptée à la baisse d’activité liée à la fermeture des cafés, bars et restaurants. En attendant, le patron de la brasserie invite à profiter de cette période de confinement pour varier les achats et consommer de la bière. Malgré tout, un tiers des salariés de la brasserie Britt (sur un effectif de 50) est en chômage partiel.