La Camargue a été longtemps rebelle à la culture. Traditionnellement terre de cueillette et surtout de chasse et de pêche, le delta du Rhône ne connaît une agriculture développée que depuis un siècle et demi. Débordements du fleuve, tempêtes marines et salure des sols ont, pendant des générations, découragé la mise en culture. Seule une exploitation par grandes propriétés pouvait garantir une certaine rentabilité.
FINI LES CAPRICES !
Au milieu du 19e siècle, la maîtrise des caprices du Rhône et des incursions marines par la construction de digues, l’irrigation et le drainage vont permettre l’extension des céréales, de la vigne et, depuis cinquante ans, des rizières. Trois facteurs naturels déterminent l’utilisation des sols dans le delta : la topographie, plus élevée au nord qu’au sud, la salinité croissante à mesure que l’on approche de la mer et la texture, limoneuse à l’est et sableuse à l’ouest. La conjonction locale de ces facteurs conditionne le choix des productions agricoles. L’empreinte du sel est particulièrement forte dans les terres basses, propices à la culture du riz. A l’ouest, les sols plus sableux de petite Camargue sont accaparés par la vigne et la culture de l’asperge. Au nord du delta et le long du grand Rhône, se sont développés le maraîchage et une arboriculture irriguée. Les terres cultivées couvrent aujourd’hui un tiers du delta, soit environ 50 000 hectares dont 25 000 entre les deux bras du Rhône.
UNE AGRICULTURE DURABLE
Faute de moyens suffisants d’irrigation, la culture du riz ne s’est étendue qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, aidée par les fonds du plan Marshall qui finance alors la réalisation d’importantes infrastructures hydrauliques et l’équipement en matériel indispensables à une riziculture intensive. Celle-ci a couvert jusqu’à 30 000 hectares dans les années 1960. Elle contribue au dessalement des terres et se travaille en alternance avec des cultures comme le blé dur, le colza, le sorgho, le tournesol… Sa production est aujourd’hui stabilisée à environ 18 000 hectares, (dont près de la moitié en bio) mais les conditions de chaleur en Camargue sont à peine suffisantes pour amener le riz à maturité, surtout pour les variétés à grains longs désormais les plus consommées. Dans un contexte très concurrentiel, les producteurs de riz se sont donc orientés vers la mise en œuvre d’une Indication géographique protégée (IGP) obtenue en juin 2000 dont 95% des exploitations profitent. Quant à l’exploitation du sel, elle s’est intensifiée depuis plus d’un siècle dans cette région où l’évaporation est la plus intense et où les pluies sont faibles. Il se récolte chaque année entre fin août et début octobre environ 450 000 tonnes de sel alimentaire dans les salins d’Aigues-Mortes et 800 000 tonnes à Salin-de-Giraud.
DU VIN DANS L’EAU
Le vignoble camarguais, inondé chaque année pendant 40 à 50 jours, a pu résister à la fin du 19e siècle au phylloxéra.
Il s’est étendu sur près de huit mille hectares dans les années trente, mais n’a ensuite cessé de régresser, excepté en petite Camargue où est toujours produit le vin des sables. C’est là que Listel crée sa marque dans les Sables du Golfe du Lion (l‘Isle de Stel, petit îlot sableux au pied des remparts d’Aigues-Mortes). Aujourd’hui, les domaines appartenant depuis 2007 au groupe Vranken-Monopole, s’étendent sur 3 350 hectares dont 1 700 plantés en vigne, notamment au Château de Villeroy et au Domaine de Jarras à Aigues-Mortes, ce qui en fait le plus grand domaine viticole d’Europe et producteur de 80% de l’IGP Sable de Camargue. Ils sont connus surtout pour les rosés et les gris de gris, mais également pour leur rouge franc de pied élaboré à partir de grenache pré phylloxérique.
LA TELLINE ET LE TAUREAU
Un seul port de pêche est présent en Camargue, celui de Saintes-Maries-de-la-Mer qui collecte environ soixante tonnes de poisson par an, des bateaux de petite pêche étant aussi enregistrés à Martigues, principalement pour la sardine et l’anchois. La telline, petit coquillage enfoui dans le sable, fait l’objet d’une pêche à pied intensive pour collecter plus de cinq cents tonnes par an. Mais on pêche également dans le Rhône des espèces migratrices comme le mulet (muge), le loup, la sole, la dorade, l’anguille, l’alose et des poissons d’eau douce tels que le brochet et le sandre.
EN NOIR ET BLANC
Chevaux blancs et taureaux noirs restent associés à l’image de la Camargue « carte postale », avec les flamands roses. Les deux races de taureaux de combat, l’indigène (le raço di bioù) et l’espagnole, qui représentent environ 26 000 têtes, font aussi l’objet d’élevage après sélection des bêtes pour les jeux dans les manades. L’essentiel de la production bovine part vers la boucherie. Depuis 1996, la viande de taureau fait l’objet d’une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC Taureau de Camargue) devenue AOP (Appellation d’Origine Protégée) au niveau européen en 2001.
LA « BELE » TERRE
Le mouton de Camargue ne tient pas moins un rôle prépondérant dans le delta. Il a longtemps été l’élevage dominant auquel étaient réservés les meilleurs pâturages, ces terres hautes aujourd’hui colonisées par les rizières. Le mérinos d’Arles (12 000 têtes sur le territoire du Parc) est issu du croisement de la race locale arlésienne avec le mérinos d’Espagne, apprécié pour la finesse de sa laine. Concurrencé par les fibres synthétiques, il reste cependant une race appréciée pour la qualité de sa viande.
Outre leur fonction ludique et agricole, taureaux, chevaux et moutons se révèlent un véritable outil de gestion écologique et de maintien de la diversité de la faune et de la flore. La nouvelle maison des produits de Camargue, ouverte par le Parc naturel régional, a donc récemment pris le « taureau par les cornes » pour accueillir une cinquantaine de producteurs afin d’illustrer le soutien et la valorisation d’une agriculture locale et durable.
Cécile Oliveira