La cuisine corse a « longtemps été ignorée », constate Raymond Dumay dans son essai De la gastronomie française. Mais cet oubli est désormais réparé. Grâce notamment à l’ouverture de tables renommées sur le continent et au développement du tourisme, la Corse étant l’une des destinations préférées des Français. La cuisine corse, c’est avant tout des odeurs. Ocatarinetabellatchitchix, le chef rebelle d’Astérix en Corse, met en avant le parfum de son fromage, « ce parfum léger et subtil, fait de thym et d’amandier, de figuier et de châtaignier et, là encore, ce souffle imperceptible de pin, cette touche d’armoise, ce soupçon de romarin et de lavande ». Bon, le fromage finira par faire exploser le bateau, mais c’est de la BD.
Le fromage est, avec la charcuterie, un des piliers de la gastronomie de l’île de Beauté. L’importance du fromage dans la table corse rappelle que ce pays était autrefois appelé l’île des bergers. L’élevage de petits ruminants, brebis ou chèvres, a été pendant longtemps et est encore aujourd’hui dans certains endroits, la seule façon de valoriser un territoire agricole difficile. Le pâturage est la base de l’alimentation des troupeaux, qui grâce à la pratique, encore très forte, de la transhumance, donne au lait corse des qualités spécifiques. Les fromages fermiers sont fabriqués selon des techniques traditionnelles. Il s’agit le plus souvent de fromages à dominante de présure et à croûte lavée ou fleurie. Cinq grands types de fromages sont répertoriés : niolu, venachese, casgiusartinesu, bastelicaccia, calenzana. Une démarche de reconnaissance en AOP est en cours pour ces fromages. Mais le plus célèbre des fromages corses est bien entendu le brocciu. Sa recette est connue depuis la nuit des temps. Une légende locale rapporte que c’est le roi Salomon qui aurait donné cette recette à un berger corse. Ce fromage frais est la seule AOP française issue du petit-lait (le lactosérum). Il peut être de lait de chèvre ou de brebis, ou même des deux ! Aujourd’hui encore, 30 % des éleveurs ovins et plus de 80 % des éleveurs caprins conservent une activité de transformation fromagère fermière. L’élevage de brebis et de chèvres, de races corses évidemment, débouche également sur la production d’agneau de lait et de cabri. Traditionnellement, le premier était consommé à Pâques, le second à Noël : « Agnellupasquale, caprettu di Natale. »
Ces deux spécialités incontournables de la gastronomie corse font l’objet d’une demande de reconnaissance en IGP « Agneau de lait de Corse » et « cabri de Corse ». Il y a aussi un peu d’élevage bovin. La race corse est aujourd’hui officiellement reconnue comme race locale à petits effectifs sous le nom de « Razza Vaccina Corsa ». Un plan de gestion existe depuis 2015, qui vise notamment à développer la filière « Vitellettu », le petit veau de lait de montagne.
Nustrale, la race porcine locale
La charcuterie est l’autre emblème de la table corse. Jambon sec, coppa, lonzu (la longe), saucisson, figatellu, boudin, fromage de tête composent l’assiette de charcuterie.
Certains bénéficient d’une AOC (depuis 2012) et d’une AOP (depuis 2014). Il s’agit du jambon sec de Corse, de la Coppa de Corse et du Lonzo de Corse. Une démarche de reconnaissance en AOP est en cours d’instruction pour le saucisson sec. À la base, des cochons de race nustrale. Cette race a été officiellement reconnue en 2006. Les éleveurs ont réussi à reconstituer des animaux de race pure, après qu’elle a connu de nombreux croisements. Le porc corse est un animal à croissance lente. Il se caractérise par sa rusticité et son aptitude à la marche. Sa robe est de couleur noire ou grise.
Les cochons sont élevés en petits troupeaux sur des parcours montagnards où ils se nourrissent de glands et de châtaignes. On compte environ 15 000 porcs de race nustrale. À côté de ces produits AOP issus de la race locale, le Consortium des salaisonniers corses, qui rassemble 11 entreprises insulaires a engagé une démarche pour faire reconnaître en IGP 7 produits : « Jambon sec de l’île de Beauté », « Figatellu de l’île de Beauté », « Coppa de l’île de Beauté », « Lonzo de l’île de Beauté », « Panzetta de l’île de Beauté », « Bulagna de l’île de Beauté » et « Saucisson sec de l’île de Beauté ». Il s’agit de produits à base de cochons français transformés en Corse. Les cahiers des charges ont été validés par la France et transmis au printemps 2018 à la Commission européenne pour obtention définitive de l’IGP.
Si la Corse est une terre agricole, ses habitants n’oublient pas qu’elle est une île et que la mer fait partie de leur quotidien. Ce qui se retrouve sur la table des insulaires. La Corse est « à la fois fond et bord de mer, elle est plaine et colline et elle est montagne (.) Si vous commencez votre repas par un jambon de montagne et que vous enchaînez avec un poisson au four, vous avez sur la même table un produit de mont et un produit de fond », écrit l’Ajaccien Nicolas Stromboni1. Rougets grillés, loups, bars, sardines farcies… La mer est généreuse pour compléter la table corse. L’île produit également des huîtres, des moules ou des palourdes. La Corse, c’est aussi des fruits. La clémentine de Corse est la star de l’offre fruitière du pays. Elle a obtenu son IGP en 2007 et un Label rouge en 2014. Reconnaissable avec ses petites feuilles vertes, elle est disponible de fin octobre à début janvier. 145 agrumiculteurs produisent annuellement 20 000 à 25 000 tonnes commercialisées à 98 % en France continentale.
La production est concentrée sur près de 1 500 hectares dans la plaine orientale. Depuis quelques années, les producteurs cherchent à se diversifier et ont lancé une filière Pomelo de Corse. Il bénéficie lui aussi d’une IGP. Son verger s’étend sur 144 hectares et produit 3 000 à 4 000 tonnes de fruits par an. La noisette de Cervione dispose également d’une IGP. Autre filière en développement : le kiwi. Sa production est encore confidentielle (7 hectares et 140 tonnes), mais prometteuse ; une démarche « IGP kiwi de Corse » est en cours. L’offre en légumes est davantage destinée au marché local. Mais des producteurs ont décidé récemment de faire revivre une production oubliée : celle de l’oignon doux du Cap Corse, communément appelé « oignon de Sisco ». Là aussi, une démarche en vue de l’obtention d’une IGP est en cours.
Le châtaignier et l’olivier, arbres emblématiques de l’île
Autre star, historique, de l’île, la châtaigne. « Tant que nous aurons des châtaignes, nous aurons du pain », déclarait Pascal Paoli en 1758. La castanéiculture se pratique dès le Moyen Âge et se développe à partir du XVe siècle. La farine de châtaigne corse est désormais protégée par une AOP. La filière regroupe 90 producteurs, dont 78 labellisés, qui travaillent avec 33 moulins. Environ 610 hectares de châtaigniers sont cultivés en AOP.
L’olivier peut rivaliser avec le châtaignier en tant qu’arbre emblématique de la Corse. L’huile d’olive de Corse bénéficie elle aussi d’une AOP. 176 producteurs, sur un total de 500, s’inscrivent dans cette démarche AOP. L’huile d’olive de Corse se décline en deux gammes, l’une plus « fraîche » issue de la récolte sur l’arbre, l’autre plus « douce » issue de la récolte à l’ancienne, par chute naturelle sur filet.
À l’instar des autres régions de France, la Corse était bien présente au dernier Salon de l’agriculture. Le « village corse » a permis de mettre en avant l’ensemble des produits de l’île. Et les promoteurs de ce village ont pu faire passer leur message : « L’agriculture corse représente bien davantage que sa simple fonction productive. Les Corses y ont toujours puisé une force émancipatrice. Elle a été nourricière, à l’instar de son châtaignier, dont les fruits ont permis aux populations de subsister durant les années de disette. Elle a été source de lutte et mobilise encore les femmes et les hommes pour défendre leur terre et leurs valeurs. Elle est, aujourd’hui, une fierté qui s’exporte, avec ses clémentines et ses vins réputés. Elle sera, demain, la garante d’un développement durable et équilibré de notre île » a déclaré Lionel Mortini, président de l’Office du développement agricole et rural de Corse, à l’occasion du salon.
Olivier Masbou

Agrumes : un trésor à ciel ouvert
