Labourage nivernais est un tableau bien connu des visiteurs du musée d’Orsay. La scène immortalisée par l’artiste Rosa Bonheur en 1849 représente le travail du sol par deux attelages tirant de lourdes charrues. Illustrant l’expression de Sully selon laquelle « labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », la toile désigne les bœufs du Charolais-Nivernais, à la robe claire, rousse et blanche comme les véritables héros du paysage. Si 170 ans après la réalisation de l’œuvre, les bœufs ne tirent plus de charrues, la vache charolaise constitue toujours la figure de proue de l’agriculture départementale.
Siège de son herd-book charolais, la Nièvre figure dans le trio de tête des départements producteurs de la première race à viande française. Le charolais est à son aise sur un territoire où l’herbe domine le paysage agricole sur les deux tiers de sa surface, au sud et à l’est. Les vaches à la robe blanche se partagent les pâturages avec des ovins, en effectifs plus modestes. La région, très verte et abondamment couverte de forêts, compte aussi à l’ouest de son territoire une importante plaine céréalière où l’on produit blé, orge, colza et maïs.
Mais ce riche patrimoine agricole est aujourd’hui très peu valorisé sur place. La plupart des bovins sont en effet commercialisés sous forme de broutards ou de laitonnes et vendus maigres. « Le modèle ici est celui des grandes exploitations allaitantes », explique Didier Ramet, le président de la chambre d’agriculture de la Nièvre. « Nous sommes même les champions en nombre d’effectifs, avec une moyenne de 70 vaches. En revanche, moins d’une centaine de fermes engraissent aujourd’hui leurs animaux. » Malgré une position commerciale stratégique (Paris est situé à 1 h 45 de Cosne-sur-Loire à l’ouest par l’A77 et à 2 heures de Clamecy à l’est par l’A6), le département dispose de très peu d’outils de transformation. La Nièvre ne compte que quelques abattoirs de petites tailles et peu développés en matière de découpe à Cosne-sur-Loire, à Luzy et à Corbigny, dont la coopérative Sicarev souhaite se séparer en fin d’année. Les transformateurs de céréales comme les collecteurs de lait sont absents de ce département qui compte à peine une soixantaine d’industries agroalimentaires.
Les choses semblent pourtant en train de changer. « On s’est beaucoup polarisé sur l’augmentation des surfaces afin d’améliorer la rentabilité sans considérer suffisamment la transformation de nos produits, poursuit Didier Ramet. Mais nous sommes en train de rattraper peu à peu notre retard. » Comme nous avons pu le constater sur place, de nombreuses petites filières valorisant la production locale ont vu le jour ces dernières années ou s’apprêtent à se développer.
L’élevage allaitant n’est ainsi plus aussi monolithique. Certains producteurs se sont tournés vers la production d’animaux de boucherie, encouragés par l’obtention en 2017 d’une IGP charolais de Bourgogne, une viande bovine obligatoirement issue de la Nièvre, de la Saône-et-Loire, de la Côte-d’Or et de quelques communes de l’Yonne. Grâce à l’implication de 850 éleveurs, dont 250 dans la Nièvre, « les volumes ont très vite grimpé, de 450 tonnes à 650 en 2019 », précise Régis Taupin, président de l’Association Charolais de Bourgogne.
Depuis, le soufflé est quelque peu retombé. « La fermeture des restaurants et de nombreuses collectivités nous ont privés de nombreux débouchés depuis 15 mois », reconnaît Régis Taupin. « Dans le même temps, l’interprofession a fait la promotion du Label Rouge, au détriment des autres signes de qualité, ce qui a eu une influence sur la politique des distributeurs. » La filière, qui a vu ses volumes divisés par deux en 2020, compte notamment sur l’obligation faite par la loi Egalim d’introduire 50 % de produits de qualité et durables dans la restauration publique à partir de 2022 pour se relancer. « En mars dernier, le conseil départemental a offert 14 000 steaks hachés d’origine nivernaise (IGP) aux Restos du cœur de la Nièvre. C’est un signe encourageant. »
L’idée de développer la transformation sur place de la viande bovine fait ainsi son chemin dans le département. Une petite dizaine d’éleveurs de différentes espèces se sont ainsi associés à un projet de la communauté de communes « Amognes-Cœur du Nivernais » de créer un atelier de découpe de viande à Saint-Benin d’Azy. « Le permis de construire devrait être bientôt déposé, précise Didier Ramet, partie prenante de l’opération. L’atelier permettra de faire de la découpe de viande mais aussi des préparations chaudes et froides et des légumes pour les cantines. » Une centaine de tonnes de produits pourront ainsi être fabriqués chaque année.
Renaissance du porc en Morvan
C’est dans cette logique de meilleure identification de l’origine que s’inscrit la petite filière de porc plein air en train de renaître dans le Morvan. La démarche a été initiée en 2017 par le Parc naturel du massif, l’un des hauts lieux touristiques du département sur lequel il est majoritairement situé, l’idée étant de favoriser une activité de diversification aux éleveurs de bovins allaitants. Alors que 95 % de l’élevage porcin français se fait en bâtiments, les professionnels ont choisi un modèle alternatif et valorisant qualitativement, sous un cahier des charges et une marque « porc plein air du Morvan ». Neuf élevages ont déjà vu le jour et doivent être bientôt rejoints par trois autres. « C’est une façon de valoriser des parcelles en pente et en forêt que nous ne pourrions pas utiliser pour l’élevage bovin », précise Karine Breugnot dont le mari François, éleveur de vaches limousines à Blismes, s’est lancé dans l’élevage plein air en 2018. « Nous accueillons des bandes d’une cinquantaine de porcs tous les six mois pour les engraisser, ce qui constitue un complément de revenu », précise Karine, fière de contribuer à la production d’une viande de qualité et vendue localement.
De son côté, l’association Jambon du Morvan rassemble depuis 2016 de nombreux acteurs de la filière, des éleveurs aux distributeurs en passant par les découpeurs, les charcutiers et les restaurateurs. Leur but : promouvoir la promotion et la diffusion d’un jambon sec de qualité produit dans la région et caractériser la matière première en vue de l’obtention d’une IGP. « Nous espérons pouvoir présenter un dossier à l’INAO en fin d’année », précise Arnaud Sabatier, président de l’association et patron de Salaisons dijonnaises, une entreprise originaire de la Côte-d’Or voisine. Outre l’origine de la transformation, le cahier des charges portera sur une durée de séchage minimale de neuf mois.
L’un des principaux acteurs de la filière est Fernand Dussert une entreprise située à Arleuf, à quelques encablures du sommet du Morvan, le Haut-Folin (901 m) et rachetée par Salaisons Dijonnaises en 2004. « L’atelier est dédié aux salaisons, avec des durées de séchage au minimum entre 9 et 12 mois pour les porcs plein air et jusqu’à 18-24 mois », détaille Arnaud Sabatier, qui insiste sur la taille des jambons issus de ces porcs, de 10 à 18 kg. Une autre société de l’entreprise, Terrines du Morvan, également située dans la Nièvre, à Onlay, transforme les autres parties du porc dans une gamme très large de pâtés et de plats cuisinés en bocaux.
Les transformateurs, qu’ils soient « industriels » ou artisans comptent bien s’appuyer sur le redéploiement de l’élevage dans la région pour construire une filière pérenne. « Nous transformons l’équivalent de 350 jambons par semaine et mon principal confrère 75 », souligne Arnaud Sabatier. « L’objectif, c’est de doubler ou tripler ce marché pour pouvoir le distributeur nationalement. Aujourd’hui, nous le vendons surtout dans la région. Mais pourquoi pas un jour à Rungis, comme ce fut le cas autrefois ? » La Nièvre recèle ainsi de nombreuses pépites gastronomiques qui ne demandent qu’à être découvertes. C’est le cas par exemple des huiles de noix et de noisette, fabriquées par le Moulin de l’île à Donzy. Activée par la rivière du Nohain grâce à une turbine hydraulique en fonctionnement depuis 150 ans, la meule en pierre de ce petit bijou mécanique écrase à façon les cerneaux de noix apportés par plus de 600 apporteurs particuliers de la région. « J’achète moi-même des noix et des noisettes pour produire de l’huile à ma propre marque », indique Frédéric Coudray, qui a racheté l’outil en 2012 et commercialise 4 000 à 6 000 litres par année. « Ce qui m’a attiré dans cet outil, c’est sa durabilité, sa faible consommation d’énergie mais aussi qu’il permette de tout valoriser dans les fruits. » Les tourteaux de noix sont utilisés en alimentation animale, et la farine de noisette est utilisée non seulement pour fabriquer des tagliatelles mais aussi de la pâte à tartiner. « Nous faisons actuellement des expérimentations avec Jérôme Marchand, le confiseur de Quarré-les-Tombes », confie Frédéric Coudray.
Au fil des balades dans ce « Vert pays des eaux vives », on trouve également des confitures (les confituriers du Morvan à La Celle-en-Morvan), de la bière artisanale (bières la Rurale de Vincent Robiche à Parigny-les-Vaux), des biscuits (les craquants du Val de Loire à Pouilly, notamment) ou du miel (le rucher de l’école à Saint-Léger-de-Fougeret). Les piscicultures du Morvan, présentes sur deux sites, Corancy et Vermenoux, servent de site pédagogique à une centaine d’élèves en baccalauréat professionnel ou BTS « productions aquacoles ». Les filets, rillettes, mousse de truites… sont vendus en circuits courts soit sur place, soit sur les marchés environnants.
La promotion de ces productions locales est assurée depuis le début de l’année par la marque La Belle Nièvre, outil collectif qui vise à mettre en valeur les richesses et les atouts de la Nièvre auprès de tous les publics. La marque apposée sur des fruits, des légumes, de la viande, des fromages, des pains, du miel, de la bière, des vins, des huiles… se matérialise par un logo, qui sera déployé sur différents supports de communication dans les mois qui viennent.
Bruno Carlhian
ENCADRÉS
La Nièvre a son foie gras !
Des canards s’égayant dans les prés comme dans le Gers du Bonheur est dans le pré. C’est la vision plutôt insolite qui vous attend près de Donzy, en pleine campagne nivernaise. Frédéric Coudray élève ici canards et oies depuis plus de 25 ans, à la suite de sa mère qui avait fait du gavage et de sa grand-mère d’origine magyare qui en maîtrisait le savoir-faire. L’éleveur a créé à la Bretonnière un petit univers dédié à l’élevage de palmipèdes gras, de la réception des poussins au gavage et jusqu’à l’abattage et la transformation (foie gras entier, confits, magrets, terrines, rillettes) au sein d’un bâtiment agréé CE construit en 2010. « J’ai obtenu ma légitimité avec le Concours général en ayant obtenu 30 médailles en une quinzaine d’années, sourit Frédéric Coudray. Je me suis même offert le luxe de décrocher une médaille au concours de Mont-de-Marsan pour mes conserves d’oie ! » Les bandes de canards se succèdent sur la propriété, nourries aux céréales produites localement et finies au maïs grain. « L’abattoir ne fonctionne que deux jours par semaine, ce qui est peu mais permet aux personnes (il y a six salariés au total), de ne pas faire de monotâches », souligne cet humaniste très sourcilleux sur le bien-être animal.
Des curiosités viticoles à découvrir
Si on les rattache rarement à leur département d’origine, la Nièvre abrite des vignobles réputés et dynamiques s’étendant sur 1 500 ha grâce à une progression régulière des surfaces depuis les années 1980. Appartenant à la famille des vins du Centre-Loire, cinq vignobles cohabitent dans le département, centrés autour de Pouilly-sur-Loire. Trois sont AOP (pouilly-fumé, pouilly- sur-loire et coteaux-du-giennois) et deux IGP (côtes-de-la-charité et coteaux-de-tannay). Si les vins les plus réputés sont les sauvignons de Pouilly-Fumé, avec des domaines réputés mondialement comme celui de Didier Dagueneau aujourd’hui administré par son fils Louis Benjamin, les vins de la région réservent de belles surprises comme la cuvée Romulus du domaine Bardin, un pinot noir bien concentré. Les chasselas de Pouilly-sur-Loire constituent également des curiosités(30 ha environ) à des prix très abordables. Selon les comptes de l’agriculture, la part de la vigne a atteint 17 % de la valeur ajoutée agricole de la Nièvre en 2018.
Rungis, un client naturel d’Emmanuel Melet
Emmanuel et Marguerite Melet sont des figures de l’élevage caprin dans la Nièvre. Leur ferme de 500 chèvres, située à proximité de Cosne-sur-Loire et le magasin attenant sont visités à longueur d’année par des familles de Nivernais et de vacanciers. Le couple, associé avec un beau-frère, Bernard Robin, transforme sur place majoritairement du crottin de chavignol AOP mais aussi quelques spécialités maison comme le Cosne du Port-Aubry, en forme de cône, ou la gabarre, un fromage crémeux haut de gamme. Forte d’une dizaine de salariés, la ferme du Port-Aubry commercialise en direct mais aussi, depuis 30 ans, via les grossistes de Rungis. « Nous travaillons aujourd’hui avec Yves Cremmer, au Marché des Fromagers (Odéon) mais nous livrons aussi la Somavog pour d’autres clients, précise Emmanuel Melet. Pour nous qui sommes à proximité de l’autoroute, c’est un client naturel », assure l’éleveur, qui se lève aux aurores les mardis matin pour livrer lui-même les commandes. « L’avantage, c’est d’avoir un contact personnel avec le client, que l’on peut informer en direct de ce qui se passe sur la ferme et qui peut nous faire part des retours de ses propres clients. Je peux faire des affinages spécifiques en fonction de la demande. » Emmanuel Melet profite de ses visites pour acheter d’autres fromages de terroir qu’il proposera à la clientèle de son magasin. Revenu sur la ferme, son fils cherche aujourd’hui des associés pour poursuivre l’activité.
Le sapin du Morvan en route vers l’IGP
La section sapin de Noël du Morvan de l’ODG Excellence végétale a déposé en novembre 2020 une demande de reconnaissance en indication géographique protégée. Une démarche logique de la part d’une production traditionnelle et très liée aux sols granitiques du Morvan. « Le concept de sapin de Noël a vu le jour dans le Morvan entre les deux guerres mondiales vers 1925-1930 », explique Vincent Houis, animateur de l’Association française du sapin de Noël naturel. « La production a connu un fort développement dans les années 1950 avec la création d’une coopérative et les sapins ont été distribués très tôt en région parisienne. » Chaque fin d’année, des producteurs de sapin du Morvan vendent toujours leurs arbres sur le Marché de Rungis, parfois en direct. Avec 1 100 ha de sapins de Noël cultivés pour environ 1,2 million de sapins produits chaque année, la Nièvre est le premier département producteur en France. La demande d’IGP, qui a été déposée par 15 producteurs représentant plus de 85 % de la production, précise qu’il doit s’agir de sapins extra premier choix et deuxième choix (épicéa, Nordmann et Nobilis) coupés ou en pot, plantés et conditionnés dans l’aire géographique. L’association espère une reconnaissance dès cette année.