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Nos régions ont du goût

Le terroir francilien

Le renouveau !

L’Île-de-France renoue depuis quelques années avec ses traditions agricoles et alimentaires. Un retour en grâce favorisé par la tendance du locavorisme et soutenu par l’engagement de chefs de plus en plus nombreux.

569 000

hectares de terres cultivées en IDF

N°1

des régions productrices de salades

120 000 tonnes

de fruits et légumes produits en IDF

Les semaines du « Mangeons local en Île-de-France » s’achèvent le 8 octobre. Durant vingt-trois jours, il a été donné l’occasion aux Parisiens et Franciliens de sillonner leur région à la rencontre de ceux qui font le goût de l’Île-de-France. Des dizaines d’événements ont été organisés, à commencer par un grand marché des produits du terroir francilien qui s’est tenu le 16 septembre à La Recyclerie, un bistrot branché de la Porte de Clignancourt.

Affiche Mangeons Local

Instaurée en 2011 par le Centre régional de valorisation et d’innovation agricole et alimentaire (Cervia), qui dépend de la Région, la démarche « Mangeons local en Île-de-France » connaît un étonnant succès. Cette année, pas moins de 430 points de vente et restaurateurs ont participé à l’opération. Au total, plus de 820 professionnels de la filière alimentaire régionale ont déjà adhéré à une charte par laquelle ils s’engagent « à la valorisation du patrimoine, au respect de l’environnement à l’implication sociétale et au dynamisme économique ». Si l’initiative a pu prendre un essor si rapide, c’est que la région Île-de-France dispose d’un solide ancrage agricole et alimentaire, en dépit de l’urbanisation galopante de ces dernières décennies. Son territoire est en effet composé à 50 % de surfaces agricoles, notamment céréalières et maraîchères. Quant à l’activité agroalimentaire, elle représente en Île-de-France un secteur économique de toute première importance avec 600 entreprises et plus de 21 000 salariés, selon l’Association régionale des industries agro-alimentaires (Aria) d’Île-de-France.

 

Un vent de bio et d’innovation

La filière alimentaire francilienne se distingue entre autres par son intérêt croissant pour l’agriculture biologique. Le nombre d’exploitations bio a encore progressé l’année dernière de 15 %. On en dénombre désormais plus de 250. Les entreprises de transformation et de distribution spécialisées dans le bio y sont encore plus nombreuses (1 600 selon l’Agence bio), ce qui situe l’Île-de-France au quatrième rang français du bio et montre l’intérêt des consommateurs de la région pour cette catégorie de produits. Illustration de cet engouement, Camille et Nicolas Grymonprez, un couple de trentenaires, se sont lancé le défi, l’année dernière, de reprendre la ferme Sainte-Colombe, située entre Provins et Coulommiers, pour y faire prospérer la seule production de brie fermier bio d’Île-de-France. Pari réussi, puisque le jeune couple conduit désormais, sur 70 hectares de pâturages, un troupeau de 35 vaches montbéliardes et produit du fromage blanc, de la faisselle, de la crème fraîche, du lait mais aussi bien sûr du brie de Coulommiers et du brie fermier pour lequel il s’est associé à l’affineur Ganot, installé à Jouarre.

La filière alimentaire francilienne se qualifie également par son caractère innovant et son adéquation avec les nouveaux modes de consommation. Dans ce domaine, les exemples fourmillent. Citons par exemple I-grec, une société créée en juin 2014 par trois jeunes entrepreneurs. Dans leur laboratoire de Bouafle, dans les Yvelines, ils concoctent une gamme de produits laitiers artisanaux inspirés de la recette du Greek yogurt, fabriqués à partir du lait récupéré à la ferme voisine de Grignon. Ces « en-cas » savoureux, riches en protéines et presque dépourvus de matière grasse (inférieur à 2,2 %) sont désormais largement distribués en région parisienne, et notamment chez Monoprix. Autre exemple : la Conserverie de Larnière. Apolline Filitowski et Julien Masson ont eu l’idée de créer, en décembre 2016, en Seine-et-Marne, un laboratoire artisanal engagé sur le terrain de l’antigaspi. La Conserverie transforme la surproduction ou les invendus d’une dizaine de maraîchers de Seine-et-Marne. Ces légumes trouvent une seconde vie sous forme de soupes, compotes et confits, commercialisés sous la marque Bocatille. Ce lieu de la seconde chance pour les végétaux a déjà rencontré beaucoup de succès lors de foires et de marchés.

 

Le terroir francilien 2

Des filières mieux identifiées

Peu à peu, des filières de production renaissent ainsi en Île-de-France. Une nouvelle marque régionale a vu le jour il y a quelques mois : « Agneau d’Île-de-France », signature des éleveurs ovins regroupés dans l’association Bergers d’Île-de-France. Le collectif d’éleveurs compte bien redonner son lustre d’antan à cette race créée au xixe siècle et à un cheptel qui compte environ 15 000 têtes. La particularité de l’agneau d’Île-de-France est qu’il est proposé en avril, d’où son second nom de « agneau Pascal », son agnelage étant réalisé en novembre- décembre. Une filière laitière s’est également constituée récemment : Lait d’Île-de-France. L’initiative, lancée en septembre 2016, émane de trois exploitations laitières et d’un industriel. La ferme de Bissy, la ferme de Viltain et la ferme de Grignon, en partenariat avec la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel se sont donné pour objectif de distribuer un lait tracé, 100 % local, avec un coût maîtrisé. Leurs 1 200 vaches produisent environ dix millions de litres de lait par an.

François Pasteau

Quand j’ai ouvert l’Épi Dupin (Paris 6e) il y a vingt ans, les chefs parlaient tous des produits et recettes de leur province. Comme je suis originaire de la région parisienne, c’était important pour moi de revendiquer mes origines et les produits de ma région dont on parle peu en matière de gastronomie.

Le renouveau de ces filières n’aurait sans doute pas été possible sans l’engagement d’un nombre croissant de restaurateurs d’Île-de-France à promouvoir les produits de leur région. Le chef francilien s’ingénie à cuisinier essentiellement des produits cultivés ou élevés en Île-de-France. Il s’approvisionne par exemple en légumes auprès de Laurent Berrurier, maraîcher à Neuville-sur-Oise (Val-d’Oise), en légumes secs et noisettes à la ferme de Férolles à Crécy-la-Chapelle (Seine-et-Marne), en farine auprès du moulin de Brasseuil ou en produits laitiers auprès de la ferme de Viltain, tous les deux dans les Yvelines. « J’aime échanger avec les producteurs et connaître leurs contraintes », explique ce passionné qui expérimente régulièrement des cultures avec Laurent Berrurier (comme le concombre Kiwano) et dispose même d’une parcelle potagère dans les jardins du château de Courances (Essonne). « On peut pratiquement trouver de tout en région parisienne, hormis les agrumes, les épices, le thé et le café », poursuit François Pasteau, qui vient lui-même deux fois par semaine s’approvisionner au carreau des producteurs de Rungis. « En ce moment (mi-septembre, Ndlr), on y trouve tout un tas de variétés de prunes différentes que j’apprécie particulièrement, comme la Sainte-Catherine ou la Stanley », poursuit le nouveau chroniqueur gastronomique des petits matins de la radio RTL. « Les producteurs avec qui je travaille savent ce que je veux faire de leurs produits. Ça améliore beaucoup la relation. »

Pour ce défenseur des produits frais et militant de l’antigaspi, l’achat local permet aux restaurateurs franciliens « de se réapproprier les produits et de se rapprocher des producteurs. C’est à mon sens très important. Et vous verrez, le mouvement n’est pas près de s’arrêter ! »

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Rungis, plate-forme essentielle des produits franciliens

Le MIN de Rungis, plate-forme internationale, est aussi un marché de proximité. On y trouve en effet une partie importante de la production de produits frais de la région, à commencer par les légumes. Environ 80 maraîchers et arboriculteurs, organisés au sein de l’Association interdépartementale des producteurs de fruits et légumes (AIDPFL), commercialisent quotidiennement au Carreau des producteurs fruits, légumes, jeunes pousses et autres herbes aromatiques souvent cueillis le matin même. Les quantités vendues y sont loin d’être négligeables. On estime ainsi que les volumes de prunes échangés représentent un quart de la production d’Île-de-France, ceux de cerises 15 % tandis que plus de 10 % des pommes et des poires de la région transitent par ce pavillon. Les producteurs d’Île-de-France commercialisent également sur le Marché un quart des endives produites dans la région, et plus de 20 % des champignons, céleris et salades. Le Marché abrite des producteurs de fleurs coupées et de plantes en pot, qui ont emménagé en septembre 2016 dans un vaste espace aménagé de 3 000 m2 dans le pavillon C1, le bâtiment le plus important du secteur de l’horticulture sur le Marché.

 

TROIS QUESTIONS À Yannick Alléno

Yannick Alleno en faveur du terroir francilien





  • Vous avez donné l’impulsion il y a une dizaine d’années au Terroir parisien, un mouvement visant à préserver les productions spécifiques à l’Île-de-France menacées de disparition. Quels sont les « sauvetages » dont vous êtes le plus fier ? Yannick Alléno. Le Terroir parisien est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Ce mouvement est un travail d’équipe : le journaliste gastronome Jean-Claude Ribaut nous a accompagnés dans la démarche de recherche et de découverte des innombrables recettes franciliennes et l’action de Terroir d’avenir a permis de recenser les différentes productions. En huit ans, avec l’aide du Cervia, nous avons réussi à regrouper tous ces irréductibles producteurs et à pérenniser leur activité en fédérant plus de 100 chefs autour du locavorisme parisien à travers la démarche « Mangeons local en Île-de-France, des produits d’ici, cuisinés ici ». Nous avons ainsi remis en lumière des produits exceptionnels valorisés par des hommes tout aussi exceptionnels. Je pense notamment à la famille Berrurier qui nous fournit les fruits et légumes cultivés à Neuville-sur-Oise, à Serge Barberon, producteur de cresson à Méréville, à Catherine Bosc-Bierne et ses fines herbes de Milly-la-Forêt, à Philippe Nantois avec les fruits rouges de Morainvilliers, à Benoît Dupré de la ferme de Viltain, qui nous permet d’avoir des produits laitiers de grande qualité, ou encore à la maison Doumbea qui produit le dernier jambon de Paris. La pérennité de telles productions est possible grâce à une prise de conscience du public, des professionnels des métiers de bouche et des pouvoirs publics.

  • Vous avez concrétisé l’idée du Terroir parisien avec la création d’un restaurant du même nom. L’intérêt du public est-il au rendez-vous ? Tout à fait, et nous allons d’ailleurs ouvrir, début 2018, un second bistrot du Terroir parisien à Paris. Le fait de faire travailler des partenaires de proximité nous permet d’allier une grande qualité à coût souvent moindre et d’être conscients et respectueux de la nature qui nous entoure. La diversité et la singularité de ces producteurs font leurs forces ; vous pouvez d’ailleurs en retrouver certain dans les allées de Rungis ! Notre concept de bistrots Terroir parisien est la synthèse gustative et personnelle de notre engagement : retrouver les savoir-faire, s’associer et fédérer, pour ensuite partager. Je crois que les Français sont curieux et en recherche de sens. En combinant prix accessibles, atmosphère conviviale et produits locaux, nous donnons aux clients la possibilité de s’impliquer et avons le sentiment de faire une bonne action tant pour leur santé que pour la société !

  • Vous avez récemment décliné l’idée avec une gamme de terrines produites dans la région. Allez-vous poursuivre dans cette direction ? Oui, nous allons la décliner à notre rythme ; le patrimoine culinaire parisien compte par dizaines des recettes charcutières incroyablement savoureuses. Mais nous ne sommes pas pressés, nos priorités ont toujours été la qualité et le goût.
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    Bruno Carlhian