Saint-Pierre-et- MiquelonSaint-Pierre-et- Miquelon
Nos régions ont du goût

Saint-Pierre-et- Miquelon

Un territoire à la reconquête de la mer

Indéfectiblement lié à la France, le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, commence à se relever du choc de 1992 où sa vocation de port de pêche a été remise en question par une décision internationale. Une flotte de petits bateaux s’est orientée vers des captures plus qualitatives comme le homard, le concombre des mers ou le crabe des neiges.

Saint-Pierre-et- Miquelon 11Les Français ont tous entendu parler du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais rares sont ceux qui savent situer exactement cette destination sur le planisphère. Les plus perspicaces ayant intégré qu’il s’agit d’une île d’Amérique du Nord entretiennent parfois des idées fausses sur cet archipel souvent qualifié de « glaciaire ». En réalité, ce territoire français est positionné sur la même latitude que Nantes et s’il faut reconnaître que les hivers y demeurent rudes, les deux îles connaissent de mai à novembre un climat agréable, avec des étés très doux. Durant cette saison, l’archipel s’anime de toutes parts et nombreux sont les Canadiens qui en profitent pour découvrir ce coin de France à la fois sauvage et hospitalier. Les habitants de Terre-Neuve, notamment, apprécient cette villégiature méridionale à leurs yeux. C’est aussi le moment où les Français peuvent accéder à l’île par un vol direct depuis Paris grâce à une liaison mise en place depuis quelques années par Air Saint-Pierre, en partenariat avec la compagnie ASL Airlines.

Saint-Pierre-et- Miquelon 1
Saint-Pierre, l’île la plus peuplée (5 500 habitants), avec ses 25 km offre certes une surface modeste, mais Miquelon dispose de 205 km, soit une aire largement supérieure à Oléron, la plus grande île proche de l’Hexagone. Cette terre qui dessine une forme de papillon sur la carte ne recense qu’un peu plus de 600 habitants. En réalité, elle était formée au début du XIXe siècle par deux îles, Miquelon, au nord et Langlade, au sud. Un isthme s’est alors naturellement formé, reliant les deux entités. Au nord de cette zone, on trouve une lagune, le Grand-Barachois couvrant une dizaine de km et abritant une faune abondante avec notamment des colonies de phoques gris et communs.

Saint-Pierre-et- Miquelon 10
Si une route relie les deux îles, les rares axes routiers ne permettent d’accéder qu’à une petite partie de Miquelon. À Langlade, seule la partie nord est accessible en voiture et l’on n’y trouve que quelques résidences secondaires estivales qui se sont organisées en dépit de l’absence de réseaux d’eau et d’électricité. Ces caractéristiques offrent à l’île de Miquelon-Langlade une nature préservée. De magnifiques paysages de Landes, mais aussi la seule forêt boréale de France, attirent aujourd’hui des touristes de plus en plus nombreux.
Il faut savoir qu’il y a plus d’un siècle, une cinquantaine de fermes se partageaient le territoire pour en cultiver les terres. Le nom de quelques lieux dits « les foins », accolés à un nom propre témoignent encore de cette époque révolue. L’agriculture peu compétitive a progressivement disparu au début du XXe siècle.

Une histoire liée à la Prohibition

D’autres métiers plus lucratifs attiraient ses acteurs. Il faut savoir qu’entre 1919 et 1933, l’archipel français a connu un âge d’or à la faveur de la prohibition notamment grâce à sa proximité avec le Canada. Dans ce pays, la consommation d’alcool était interdite, mais pas la production d’alcool à des fins d’exportation. C’est ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon est devenue la plaque tournante du trafic entre le Canada et les États-Unis. Les caisses d’alcool parvenaient dans le port de Saint-Pierre. Après avoir extrait les bouteilles pour les placer dans des sacs, les trafiquants les envoyaient vers les États-Unis sur des bateaux rapides, parfois équipés de moteurs d’avions pour semer les vedettes de la police américaine. En cas d’arraisonnement par les autorités américaines, les sacs étaient jetés à la mer. Par la suite, comme le montre le très intéressant musée de l’Arche, à Saint-Pierre, les bootleggers avaient trouvé une parade. Ils lestaient les sacs de sel. Au bout de quelques jours, une fois le sel dissous dans l’eau, les sacs remontaient et pouvaient être récupérés.

Saint-Pierre-et- Miquelon 5
Cette période a constitué une période faste pour Saint-Pierre. Al Capone, selon certains témoignages, serait venu dans la ville comme en témoigne la présence de son chapeau dans le petit musée de l’Hôtel Robert devenu aujourd’hui, ironie du sort, propriété du patron de la CIA, Comptoir d’importation des alcools. Les historiens locaux se montrent cependant dubitatifs sur la venue dans l’île du célèbre gangster. Mais ils s’accordent à reconnaître que les lieutenants d’Al Capone y séjournaient souvent. La légende raconte qu’ils
réservaient des hôtels entiers et faisaient remplir les baignoires de champagne.
Il reste quelques traces de l’épisode de la Prohibition. Aujourd’hui sur le port, on peut voir d’anciens entrepôts qui furent spécialement construits pour recevoir les cargaisons d’alcool. Le bois des caisses a lui-même été largement utilisé dans la fabrication de maisons. Il y a quelques années encore, se dressait sur l’île la villa Cutty Sark, entièrement réalisée avec des caisses de bois de la marque de whisky.
L’arrivée au pouvoir à Washington de Franklin Delano Roosevelt a sonné le début des réjouissances aux États-Unis, mais le glas de celles de Saint-Pierre en mettant un terme à la Prohibition. Certains prétendent que les drapeaux de l’archipel furent mis en berne à cette occasion. Heureusement, la pêche à la morue, activité prédominante du secteur, a permis de soutenir l’économie locale jusqu’à la fin du siècle dernier. On recrutait même en saison de jeunes garçons sur les ports français, « les graviers » pour faire sécher les morues sur les rives caillouteuses de l’île aux Marins, face à Saint-Pierre. Non seulement le territoire disposait d’une flotte de pêche locale appréciable, mais les chalutiers attirés par les bancs de Terre-Neuve venaient du monde entier pour vider leurs cales de morue sur des cargos ou dans des entrepôts. Certains habitants se souviennent même de la venue pas si lointaine de bateaux de pêcheurs venus de Corée du Nord.

L’épisode de la French baguette

L’archipel a longtemps basé son économie sur cette prospérité halieutique jusqu’au jour funeste de 1992 où un arbitrage international, rendu à New York, a restreint de 80 % les zones de pêche attribuées à la France dans cette zone.
Longtemps, en effet, le territoire bénéficiait d’un droit de pêche dans un rayon de 200 miles nautiques autour de l’île. Une bénédiction dans cette zone poissonneuse bénéficiant de la double influence du Gulf Stream et des courants du Labrador. Le Canada contestait depuis longtemps cette prérogative afin de défendre les intérêts de ses pêcheurs, mais aussi d’éviter la surpêche qui, il faut le reconnaître, commençait à épuiser la ressource. En 1988, pour faire valoir leurs droits, des pêcheurs locaux accompagnés d’élus ont embarqué sur le chalutier Croix de Lorraine et sont allés pêcher sur les zones litigieuses. Les Canadiens ont intercepté le bateau et incarcéré élus et pêcheurs. Les négociations entre les deux États sur cette question épineuse ont alors abouti à l’arbitrage de 1992. Mollement défendus par la France, les intérêts des pêcheurs ont alors terriblement souffert. La zone maritime attribuée à l’archipel fut en effet limitée à 12 miles nautiques à l’est, 24 miles nautiques à l’ouest et un corridor de 200 miles nautiques de long et 10 de large, la fameuse « French baguette ».

Le déclin

Pour rajouter aux difficultés, à l’issue de l’arbitrage, un moratoire initié par le Canada interdit pêche à la morue dans la région pour une période minimum de cinq ans. Ainsi depuis vingt-sept ans, le port de pêche de Saint-Pierre s’étiole. Non seulement les grands bateaux de pêche locale ont disparu, mais les navires étrangers qui venaient décharger leur pêche à Saint-Pierre sont partis vers d’autres ports. Dès lors, les infrastructures du port ont périclité jusqu’à l’arrivée d’un nouveau coup dur en 2011 avec la fermeture consécutive de deux entreprises de transformation locales, Interpêche et les Nouvelles Pêcheries. Ces infrastructures fournissaient aux pêcheurs des installations frigorifiques. Dépourvus de cet équipement, ces derniers ont dû stocker leur poisson avec les moyens du bord.
Gilles Poirier, pêcheur, reconnaît à cet égard que les ports canadiens proches ont permis la survie de la pêche locale en entreposant une bonne partie des captures. Avec son frère, il fait partie du noyau dur de pêcheurs de l’archipel qui ont assuré la survie de l’activité malgré les vents défavorables de ces dernières années.

Le réveil

Depuis cette année, cependant, la profession a bénéficié d’une éclaircie, avec la mise à disposition de nouveaux frigos que peuvent louer les patrons de bateaux. Il leur manque encore une machine à glace pour que leur bonheur soit complet, mais grâce à ces capacités de stockage, ils peuvent désormais reprendre leur destin en main.

Saint-Pierre-et- Miquelon 4
Aujourd’hui, une douzaine de petits chalutiers opèrent autour de l’archipel, ainsi que deux navires de tonnage plus important. Naturellement, le passage en vingt-cinq ans d’une pêche industrielle, essentiellement basée sur des grands chalutiers à une pratique artisanale, a contraint les acteurs locaux à reconsidérer leurs priorités. Plutôt que de se focaliser sur des volumes forcément limités par des quotas, ils ont dû s’orienter vers des captures plus qualitatives. La morue (cabillaud) ou encore le flétan restent toujours au centre de l’activité. Mais désormais les bateaux varient les proies en fonction des saisons. Le homard notamment est de plus en plus abondant. Stéphane Claireaux, député du territoire, estime pour sa part que « le réchauffement climatique aurait tendance à repousser les bancs de cabillaud au Nord, vers Terre-Neuve, et favoriser le développement du homard autour de l’archipel ». Un projet d’exportation de ce crustacé vers la France est au programme (voir encadré ci-contre). Le calmar, un céphalopode de plus en plus recherché sur le marché mondial et présent dans les eaux, intéresse aussi la pêche locale, ainsi que la coquille saint-jacques. Il s’agit en l’occurrence de l’espèce placopecten magellanicus, appréciée des restaurateurs locaux pour ses grosses noix charnues. Cette spécialité est également produite localement, en aquaculture. Le crabe des neiges fait partie des captures très prisées. Ce crustacé (Chionoecetes opilio) dont les pinces et les pattes mesurent 40 cm en moyenne à l’âge adulte, constitue un mets de choix. Près de 90 tonnes de crabe des neiges devraient être sorties des eaux de l’archipel cette année en vertu des quotas fixés.

Saint-Pierre-et- Miquelon 3
On constate aussi un très vif intérêt pour l’holothurie ou concombre des mers. Très apprécié sur les marchés asiatiques, il se trouve en abondance dans la région. Un atelier de transformation de ce produit a même vu le jour à Saint-Pierre, durant l’été 2017. C’est la poissonnerie Paturel, la plus grosse entreprise de transformation locale, qui est à l’origine de cette initiative. Elle bénéficie en outre d’un arrêté préfectoral qui contraint les pêcheurs locaux à débarquer leurs holothuries à Saint-Pierre. En compensation, la poissonnerie Paturel aligne son prix sur les cours des ports canadiens où les captures étaient précédemment vendues. C’est une ressource très prisée. En 2018, les pêcheurs ont d’ailleurs protesté contre l’arrêt préfectoral qui en réduisait les quotas à 1 400 tonnes, soit 200 tonnes de moins que l’année précédente.

Saint-Pierre-et- Miquelon 6
Ainsi, depuis quelques années, des initiatives diverses concourent à rendre l’archipel moins dépendant de la métropole. Une dynamique nouvelle se fait aussi sentir depuis le début de la décennie avec l’émergence d’une nouvelle génération de responsables politiques locaux, parmi lesquels il faut citer Annick Girardin, aujourd’hui ministre des Outre-mer. Cette femme politique d’influence partage avec Jean-Yves Le Drian le record de longévité dans les gouvernements successifs. Dans ses nombreux déplacements et dans ses rencontres, elle ne manque jamais une occasion de mettre en valeur son archipel sur les plans touristique et économique.

Saint-Pierre-et- Miquelon 8
La dynamique locale est aussi perceptible sur le plan agricole. Ce pan d’activité avait pratiquement disparu de l’archipel. Depuis quelques années, il est en train de renaître, notamment autour du village de Miquelon, où se sont développées plusieurs exploitations, à l’instar de la Ferme de l’Ouest, qui élève des agneaux ainsi que des canards gras à partir desquels elle produit du foie gras. La Volière des îles élève des poules pondeuses, mais aussi des volailles de chair et des faisans. Il y a quelques années, Le Grand Large Miquelon s’est lancé dans l’élevage de chèvres (voir encadré ci-dessous) et sa créatrice a développé une consommation de fromage locale pratiquement inexistante avant son arrivée. Depuis trois ans, Miquelon a désormais sa propre bière, grâce à la Miqu’Ale produite par la Brasserie de l’Anse animée par Gwenaël Michel et Laura Bertrand. Cette bière, produite dans les trois couleurs et en IPA, s’arrache désormais dans les bars et magasins de l’île. L’économie de l’archipel est bel et bien en train de prendre son envol.
Jean-Michel Déhais

Saint-Pierre-et- Miquelon 12

Saint-Pierre en pince pour le homard

Saint-Pierre-et- Miquelon 13

L’abondance des casiers entreposés sur les ports de Saint-Pierre ou de Miquelon en atteste. La pêche au homard est devenue une activité majeure. Les professionnels locaux se partagent un quota annuel de 30 tonnes et cette ressource prometteuse a donné des idées à Jean-Noël de Arburn. Avec deux associés, Steve Delamaire et Patrick Urtizberea, il vient de créer Homards des îles. La société a entamé depuis le début du mois la commercialisation de homards vers Paris. Il ne s’agit pas de homard breton, mais de homard américain. Jean-Noël de Arburn présente ce produit comme le « Homarus américanus français ». Il assure même que ceux pêchés à l’est de l’archipel sont rouges, alors que les spécimens capturés à l’ouest, sur les fonds rocheux, affichent une couleur proche du bleu.Pour mettre sur pied cette activité, il a investi des conteneurs sur le port où il a aménagé une chaîne de conditionnement. Il achète sa matière première à Saint-Pierre pour l’expédier par avion, via Halifax ou Montréal, vers Roissy. Les homards (des spécimens de 700 g à 1,3 kg) sont ainsi conditionnés vivants dans des cartons à croisillons. Les tailles peuvent être différentes ou homogénéisées selon la commande. Un code-barres sur la patte garantit la traçabilité de l’animal : sa date de pêche, sa zone de capture et la température de l’eau. En région parisienne, l’entreprise a trouvé un ambassadeur en la personne de Louis de Dompsure, chef du restaurant Les Voiles, aux Mureaux et passionné des produits de la mer au point d’avoir concouru au dernier MOF poissonnier. Avec lui, Jean-Noël de Arburn a présenté ses homards à Guy Savoy ou Hélène Darroze, qui se sont déclarés intéressés par ce produit particulier, qui se caractérise selon eux par un petit goût sucré. Louis de Dompsure se charge de la commercialisation en France. Un transitaire, Sotracom réceptionne les colis, qui seront ensuite acheminés vers Rungis par Stef Transport pour être récupérés par leurs destinataires. Le homard venu de Saint-Pierre arrive à Paris au prix de 21 à 22 euros/kg. Son coût est notamment renchéri par les frais d’expédition, particulièrement entre Saint-Pierre et Halifax, au Canada (1,55 euros/kg, beaucoup plus qu’entre Halifax et Roissy (0,85 euros/kg). Mais à la veille des fêtes le homard français des Amériques devrait être compétitif, alors que la demande s’envole. Son origine devrait être un plus commercial. D’abord vendu sous l’appellation « Pays d’origine Saint-Pierre-et-Miquelon », le produit vise à terme l’ombrelle du Pavillon bleu. Si ce premier essai actuellement en cours fonctionne correctement, Homard des îles pourrait expédier ses crustacés vers Paris durant les deux campagnes de mai à août et du 15 octobre au 15 décembre. À terme, l’entreprise se dotera d’un nouveau conteneur pour installer des viviers avec une charge limitée de 50 kg au m3, à comparer avec les 130 kg/m3 couramment pratiqués dans les viviers canadiens.

Saint-Pierre-et- Miquelon 2Le projet de l’entreprise aura alors absorbé un investissement total de 125 K€.Jean-Noël de Arburn a particulièrement à cœur la réussite ce projet, bien au-delà des perspectives financières. Descendant d’une lignée de pêcheurs, il aimerait renouer avec ce métier, dont il a été écarté par la crise de la pêche locale. Il avait 17 ans en 1987 lorsque son frère aîné, Denis, a péri accidentellement à bord de la Croix de Lorraine, chalutier offert aux Saint-Pierrais par le général de Gaulle. Après la mort du jeune marin, les pêcheurs ont baptisé un chalutier Le Saint-Denis, en sa mémoire. Mais après le moratoire en 1992, le chalutier a été vendu à la Norvège. Jean-Noël a vécu cet épisode comme la seconde mort de son frère. Aujourd’hui, en revenant dans ce métier, il renoue le lien avec la mer.

Le fromage de chèvre de Miquelon

Saint-Pierre-et- Miquelon 7

Leïla Meliani fait partie des nouveaux acteurs de l’agriculture de Miquelon. Elle est arrivée il y a une dizaine d’années sur l’île avec son compagnon dans le but de créer un élevage de chèvres. Le couple résidait auparavant dans la Creuse et souhaitait au départ s’installer au Canada avant de jeter son dévolu sur l’île et sur un pôle agricole qui s’est constitué non loin de l’aéroport. La Ferme du Grand Large, un élevage de 40 chèvres de race fauna a été constitué. En six mois de lactation, la chèvre donne un peu moins de dix litres de lait par jour. Ce lait est ensuite converti en fromages dans un atelier dont dispose l’éleveuse dans le village. Après le décès accidentel de son compagnon, peu après leur arrivée, Leïla a repris seule le flambeau de l’exploitation, aidée par les Miquelonnais solidaires. Elle est ainsi parvenue à convertir les habitants de l’archipel à la consommation fromage. Non seulement toute sa production est vendue localement, mais elle ne parvient plus à répondre à une demande qui croît de mois en mois.

Saint-Pierre-et- Miquelon 9