Pays de montagne, le pays de Savoie a su développer une agriculture qualitative à forte valeur ajoutée, de façon à rémunérer les producteurs, et compenser les difficultés de son environnement, son relief et son climat. Les produits savoyards sont à l’image de leur terroir, généreux et authentiques.
Il y a encore quelques décennies, la Savoie (ou plutôt les Savoies, le pays de Savoie recouvrant les départements 73 et 74) n’était guère réputée pour sa gastronomie. « Avant la manne de l’or blanc et de l’industrie touristique, c’était un pays assez pauvre, juge sévèrement Patrick Fracheboud, restaurateur parisien aux solides origines haut-savoyardes, patron de la Bonne Franquette à Montmartre et des Noces de Jeannette près de l’Opéra. Quand j’étais enfant, on mangeait surtout des pommes de terre et des poireaux, du cochon salé les bons jours et des fromages alors souvent amers. La culture culinaire et gastronomique a vraiment émergé avec le développement du tourisme et l’arrivée d’une clientèle exigeante de Parisiens et d’étrangers. »
L’évolution économique et sociologique de la région a favorisé la mise en valeur et la montée en gamme des productions régionales. La rusticité de l’agriculture, naguère un handicap, est devenue un atout. Précurseur des chefs paysans, Marc Veyrat se fait ainsi depuis trente ans le chantre auprès de sa clientèle d’Annecy, de Megève et désormais de Manigod, dans sa Maison des bois, des bienfaits d’une nature préservée et d’un savoir-faire artisanal épargné par l’industrialisation. En trente ans, les grandes tables ont recouvert le massif du Mont-Blanc comme la neige en décembre, au point qu’avec une trentaine de restaurants étoilés à travers les deux départements, la région est l’une des mieux loties de France en belles tables.
Les fromages en tête
La filière fromagère régionale illustre l’attention croissante portée à la qualité des produits, avec le souci constant de les ancrer dans les traditions locales. Des différents secteurs agricoles, l’élevage laitier et la fabrication de produits laitiers font en effet la course en tête, que ce soit en nombre d’exploitations (2 208 avec 41 hectares de surface en moyenne) ou en chiffre d’affaires (222 millions d’euros). « Depuis vingt ou trente ans, la taille des élevages est en croissance régulière, tout en restant bien sûr modeste en comparaison d’autres régions, explique Marie-Laure Servettaz, responsable du département promotion des produits locaux auprès de l’organisme Savoie Mont Blanc Tourisme. Naguère, un agriculteur vivait avec 20 vaches, aujourd’hui c’est plutôt 60, voire 80 têtes. Les élevages se rassemblent, et on observe un développement des Gaec. » La Savoie et la Haute-Savoie comptent quelque 84 000 vaches laitières, qui fournissent 380 millions de litres de lait par an, dont 86 % sont destinés à la production des AOP et IGP fromagères. Les AOP dominent avec les Reblochon, Beaufort, Abondance, Tome des Bauges et Chevrotin, le seul fromage de chèvre du territoire qui bénéficie d’un signe de qualité. Mais le territoire compte également trois IGP : Tomme de Savoie, Emmental de Savoie et dernièrement Raclette de Savoie, reconnue depuis janvier 2017. « On a fêté cette année deux grands anniversaires, les 50 ans de l’AOP Beaufort et les 60 ans de l’AOP Reblochon, signale Marie-Laure Servettaz. Une campagne de communication a pointé les projecteurs sur ces deux appellations en 2018. » La réputation des fromages de Savoie, issus de races Tarine, Abondance et Montbéliard, s’appuie bien sûr sur les recettes roboratives de l’hiver que sont la tartiflette, la raclette, la fondue, ou les moins connues telles que le berthoud (fondue à l’abondance et au madère) ou la matouille, qui associe tomme et pommes de terre. L’emblématique filière du reblochon s’appuie sur une production bien structurée où cohabitent les productions fruitières et fermières. La Coopérative du reblochon, en particulier, n’a cessé de croître depuis trente ans, avec une implication croissante dans la commercialisation. Pendant la saison touristique, son magasin de Thônes ne désemplit pas. Mais les éleveurs peuvent également compter sur des affineurs renommés, comme Joseph Paccard, qui rafle chaque année des médailles au Concours général agricole.
Pommes, biscantin et gnôle
Culture agricole souvent complémentaire de l’élevage, celle des fruits a également su préserver son caractère artisanal et soucieux de la qualité, avec une part croissante de production bio. Comme pour le reblochon, le modèle collectif de développement fonctionne à merveille. L’Association des vergers de la vallée de Thônes, créée en 1998, regroupe ainsi des propriétaires d’arbres fruitiers qui apportent leurs fruits pour la fabrication locale de différents produits, comme le jus de pomme, mais aussi le biscantin, un cidre parfumé. L’arboriculture locale produit des pommes et des poires de Savoie (qui bénéficient d’une IGP) mais aussi, dans une moindre mesure, des coings, des pêches et des noix. Les fruits présentant des défauts sont traditionnellement transformés localement en jus, en compotes, en confitures et bien sûr en « gnôle ». La culture de l’eau-de-vie est encore vivace dans la région, et les bouilleurs de cru se déplacent d’une place de village à l’autre en fin d’année.
Le jambon mène bataille
Les salaisons savoyardes constituent également un produit phare. « Historiquement à base de porc, mais parfois avec un peu de bœuf, un peu d’âne… » précise Marie- Laure Servettaz. Cette filière ne possède pas encore de signe de qualité, mais un dossier de démarche d’IGP est toujours en cours, pour le jambon et le saucisson. « Ça dure depuis si longtemps que le saucisson a même abandonné la démarche. Le jambon attend toujours. » Incontournables de la cuisine savoyarde, les diots. Ce sont des saucisses que l’on trouve fumées ou non, au chou, au beaufort… et que l’on prépare traditionnellement avec une polenta à l’abondance. Les produits traditionnels de Savoie sont élaborés par une myriade de PME familiales, dont l’activité remonte souvent à plusieurs décennies. Certaines sont à l’origine de belles aventures industrielles. On pense notamment au salaisonnier Henri Raffin, récemment labellisé Entreprise du patrimoine vivant, qui réalise 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 10 % à l’export, ou à la société plus récente Les 2 marmottes, spécialisée dans la production et la commercialisation d’infusions, qui a connu un taux de croissance annuel moyen de 18 % entre 2015 et 2017 (12,8 millions d’euros en 2018). En forte croissance, les deux entreprises familiales ont fait récemment appel à des fonds d’investissement pour financer leur développement. Ancrées dans leur terroir, les entreprises artisanales et industrielles savoyardes savent également faire preuve de créativité. Thomas Le Prince à Vallières, par exemple, qui produit pommes, poires, jus, confitures, et se distingue par ses recettes originales, de type pommes-kiwis, ou ses jus de pommes épicées à chauffer… De son côté, la Maison Baud, salaisonnier près d’Annecy, fabrique des spécialités originales, tel le Gor’ion, de la viande de bœuf séchée, fumée et salée aux six épices produites sans nitrite ni nitrate, ou le Porcayou, du carré de porc séché mariné et aromatisé au piment doux, Espelette et basilic, et peu salé.
Les produits se diversifient
Depuis quelques années, on observe dans les Savoies un développement des produits annexes, comme les poissons de lac, les plantes aromatiques, le miel, les petits fruits, les escargots… « Des jeunes se sont lancés en Maurienne dans la culture du safran, d’autres réimplantent du houblon. Il y a une diversification des productions qui s’accompagne d’un fort développement de la vente en direct à la ferme. » En effet, selon la chambre d’agriculture régionale, 37 % des exploitations agricoles des Savoies vendent en circuit court. Enfin, le secteur brassicole connaît également un regain d’activité. « Avant, il y avait une production historique grâce à l’eau des glaciers, puis nous avons connu de nombreuses fermetures dans les années 1960, décrit Marie-Laure Servettaz. Aujourd’hui, peu à peu, des microbrasseries réapparaissent, telles la brasserie des Cimes et la brasserie du Mont-Blanc, qui connaissent un développement remarquable. » Des bières de spécialité qui avaient disparu reviennent, et de nouvelles recettes parfumées au génépi, à la châtaigne, à la myrtille apparaissent. Entre tradition et innovation.
C. M. et B. C.

Marque Savoie devient Savoie Mont Blanc
À la suite de sa fusion avec Savoie Mont Blanc Tourisme, le 1er janvier 2017, Marque Savoie, créée en 1976, disparaît aujourd’hui au profit d’une nouvelle marque d’attractivité régionale multisectorielle. Deux nouveaux logos ont été présentés : « Savoie Mont Blanc Excellence » pour les entreprises adhérentes à la démarche, et « Savoie Mont Blanc Sélection » pour les produits concernés. Les secteurs visés en priorité sont l’agriculture, l’agroalimentaire et le tourisme. Pour bénéficier de ce logo, il faut respecter la quarantaine de critères du référentiel de la marque et proposer des produits correspondant à son cahier des charges. Une cotisation annuelle validera l’adhésion.
Nouvelle Petite Tomme IGP
L’organisme de défense et de gestion de la Tomme de Savoie présente son innovation, la Petite Tomme de Savoie, autorisée par le cahier des charges et validée par l’Union européenne en juillet 2017. Il s’agit d’une tomme de plus petite taille, entre 400 et 900 g contre 1,2 à 2 kg pour la version classique, produite dans les mêmes conditions suivant le même cahier des charges, avec un marquage sur une face ou sur le pourtour. À ce jour, un producteur s’est lancé dans cette nouvelle production, bientôt suivi par d’autres qui y voient un levier de diversification. La Petite Tomme de Savoie devrait permettre aux consommateurs d’acheter désormais des fromages entiers, facilement consommables et conservables.
Alpina Savoie, équitable et durable
Nées en Savoie il y a 170 ans, les pâtes Alpina Savoie sont toujours fabriquées à Chambéry depuis leur création. Aujourd’hui encore, la marque commercialise les seules pâtes et semoules issues de blés français, à destination de la grande distribution, mais aussi des professionnels de la restauration avec une gamme foodservice dédiée. Rachetée en 2009 par le groupe Galapagos de Christian Tacquard (Les Gavottes, Traou Mad…), la société Alpina Savoie a été reconnue Entreprise du patrimoine vivant en avril 2017. Ce label, décerné par l’État, salue l’excellence des savoir-faire français artisanaux et industriels.
En mars dernier, Alpina Savoie a lancé une nouvelle gamme « Filière française équitable et garantie sans résidus de pesticides », avec une nouvelle forme de pâte, l’Épinette, qui symbolise ces nouveaux engagements. Ces produits sont issus d’une démarche équitable qui garantit, grâce à des contrats de trois ans, un juste prix d’achat déconnecté du cours mondial. Les producteurs voient ainsi leurs efforts plus correctement récompensés. Pour cela, Alpina Savoie a dû s’organiser avec la production. « Nous avons notre propre moulin, un des plus modernes de Frances, explique Marie Garel, responsable marketing. Désormais, ce sont 60 producteurs de blé dur en conventionnel et 60 producteurs en bio qui travaillent pour nous sous contrat, avec un cahier des charges spécifique pour chaque filière. » Les producteurs sont répartis dans la Drôme, le Gard, le Gers, les Alpes-de-Haute-Provence et la Provence. En 2017, Alpina Savoie a réalisé un chiffre d’affaires de 44 millions d’euros, a produit presque 11 millions de paquets de pâtes, fabriquées à partir de 7 000 tonnes de blé. En 2018, l’entreprise ambitionne de doubler ces chiffres. Pour la restauration, Alpina Savoie propose une douzaine de références : farfalles, coquillettes, torsades, gnocchi sarde, ainsi que ses fameux crozets (nature, sarrasin ou bio), en sachet de 4 et de 5 kg. Alpina Savoie innove cette année avec trois recettes végétales inédites, les Astucieuses, qui se préparent en réhydratation à froid, directement en bac gastro. Au menu : Pépinettes, lentilles corail, tomates ; Perles quinoa, tomates, épices douces ; Pépinettes, pois cassés, basilic.
Vin de Savoie, un retour en grâce
« Des productions locales, c’est sans doute la viticulture qui a le plus progressé ces dernières années, estime le haut-savoyard Patrick Fracheboud, de la Bonne Franquette, dont le restaurant montmartrois propose en permanence près de 200 références. Des têtes d’affiche, comme Dominique Belluard qui a contribué à populariser le vin bio en France (et à présent la biodynamie), ont joué un rôle très important. » Les blancs (70 %) dominent cette production modeste (16 millions de bouteilles par an en moyenne) avec plusieurs cépages autochtones. Mais la production de vins rosés et rouges augmente, dominée par le gamay et la mondeuse, cépages qui n’ont pas d’équivalence dans d’autres régions viticoles. La région bénéficie depuis 2015 d’une nouvelle appellation, le Crémant de Savoie. « Les rapports qualité-prix sont devenus très intéressants », estime Patrick Fracheboud, qui compte étoffer sa carte en vins savoyards dans les prochains mois. Un retour aux sources, en somme.