Lorsque l’on évoque la gastronomie auvergnate, on imagine de bons plats généreux, au fumet alléchant, aussi agréables à voir qu’à sentir. Mais de quelle Auvergne parle-t-on ? Certainement pas de l’actuelle grande région Auvergne – Rhône-Alpes dont les contours furent dessinés précipitamment sur un coin de table de l’Élysée, un soir de janvier 2016. Pas plus que de l’Auvergne des « Auvergnats de Paris », terme générique qui rassemble sous ce vocable les ressortissants d’Auvergne, de l’Aveyron, de Corrèze, de Lozère… « montés » à la capitale pour s’y établir, le plus souvent dans la brasserie, avec le succès que l’on sait. Nous ne retiendrons pas non plus l’ancienne région administrative d’Auvergne qui incluait l’Allier, département issu de l’ancienne province du Bourbonnais qui est un terroir à lui seul (et qui mériterait certainement un dossier). Pour ces quelques pages consacrées à la table auvergnate, nous nous concentrerons sur les trois départements du Cantal, du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire, qui correspondent à peu près à l’Auvergne culturelle et historique. Ce qui nous va bien, puisque nous devons parler bonne chère, car cette limite retenue correspond à celle façonnée par la chaîne des volcans d’Auvergne, et la gastronomie auvergnate est intimement liée à ces paysages, à ces montagnes. « L’Auvergne est l’écrin du Massif central aux paysages grandioses exaltés par George Sand et Chateaubriand, aux volcans cracheurs de lave devenue fertilisante avec le temps, aux coteaux et plateaux d’estives à l’herbe parfumée, à la Limagne fertile et colorée, aux cours d’eau poissonneux, aux profonds lacs de cratères céruléens, aux forêts odorantes, aux sources bienfaisantes d’eau vive et d’eau chaude bouillonnante », écrit René Husson*. La gastronomie auvergnate, c’est tout un programme, toute une histoire. Et il n’est pas étonnant que le plus célèbre guide gastronomique du monde ait été créé par une marque de pneus de Clermont-Ferrand.
L’Auvergne nous propose un repas complet. Commençons par le commencement : l’apéritif. Ici, les plantes médicinales se transforment en exquises liqueurs. La plus célèbre est la gentiane, surnommée l’amer à boire. Elle pousse sur les hauteurs des monts d’Auvergne. Son arrachage constitue une activité à part entière, tant sa racine est profonde (elle peut atteindre plus d’un mètre de longueur, pour un poids de sept kilos !). C’est cette racine, qui, une fois macérée ou distillée, donne la liqueur. Il y a encore plusieurs marques de gentianes, certaines 100 % auvergnates, comme la distillerie Couderc à Auril-lac qui a obtenu le label Produit de montagne, ou l’Avèze à Riom-ès-Montagnes, qui bénéficie du label Produits du parc naturel régional des volcans d’Auvergne. D’autres viennent de la Corrèze voisine, comme la Salers, qui revendique d’être la marque la plus ancienne, ou la Diège, fabriquée à Égletons. N’oublions pas la Suze, élaborée avec des racines de gentiane d’Auvergne ou du Jura dans l’usine historique de Thuir (Pyrénées- Orientales). Pas de repas sans une solide soupe, aux choux, au lard, à la châtaigne, aux fromages, à l’oignon, au chou et au lard, au lard et aux fromages… les recettes sont multiples et varient d’une vallée à l’autre. L’essentiel est qu’il y ait du pain, beaucoup de pain, et du poivre, beaucoup de poivre. La potée auvergnate composée de lard, de jarret de porc, de saucisses fraîches d’Auvergne, de quelques carottes, navets, haricots blancs, choux et pommes de terre, est un repas complet à elle seule.
Toutes les régions ou presque ont une offre appréciable en charcuterie. Mais la charcuterie auvergnate est peut-être celle qui est allée le plus loin dans l’art d’utiliser la totalité des morceaux du cochon. Jambons, saucissons, saucisses sèches et fraîches, boudins, tout est réellement bon dans le cochon, a fortiori dans le cochon auvergnat. Le jambon sec, le saucisson sec, et la saucisse d’Auvergne disposent désormais d’une IGP, obtenue en 2015. Ces mêmes produits bénéficient également du label Rouge. L’IGP est portée par le Consortium des salaisons d’Auvergne qui regroupe 14 entreprises de charcuterie-salaison régionales ainsi que leurs fournisseurs (entreprises d’abattage-découpe et groupements d’éleveurs régionaux). La charcuterie auvergnate est très orientée vers les produits secs, saucissons et jambons, qui représentent plus de 85 % du tonnage annuel produit dans la région, alors que ces mêmes produits ne représentent que 12 % au niveau national. Les deux tiers de la salaison auvergnate sont produits en Haute-Loire. La filière porcine en Auvergne représente environ 2 000 emplois, depuis l’aliment du bétail, l’élevage, l’abattage des animaux et la préparation des viandes jusqu’à la transformation, artisanale et industrielle.
Les plats sont nombreux et copieux : pounti (une galette aux feuilles de blette, lard et fines herbes) la truffade, le chou farci, le coq au vin, les tripoux, les farçous, etc. Impossible d’oublier la vache Salers, tant cette race fait corps avec les estives des monts d’Auvergne. Cette vache joue fièrement son rôle d’ambassadrice d’Auvergne. Elle est présente dans la majorité des départements français, avec un effectif national total de 215 000 bêtes. Elle est notamment bien implantée en Lorraine, Champagne-Ardenne, Picardie, Normandie et Bretagne. La salers porte également haut les couleurs de l’Auvergne à l’international, en Europe (Irlande, Suisse, Royaume-Uni, Danemark), en Amérique du Nord (Canada, États-Unis), ou en Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande). Mais le Cantal, berceau de la race, reste la plus importante zone d’élevage avec 100 000 salers environ.
L’Auvergne, c’est également « le plus grand plateau de fromages », comme le disait une publicité. Les cinq fromages AOP (cantal, saint-nectaire, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne, salers) suffiraient à eux seuls à résumer l’Auvergne tant ils traduisent la richesse des paysages, des races, des estives. Quand on les voit, et quand on les goûte, on pense immédiatement aux burons, aux estives, à la transhumance (la « montada » au printemps, la « davalada » à l’automne). La filière est rassemblée depuis plus de trente ans au sein de l’Association des fromages AOP d’Auvergne. Elle est notamment à l’origine de la Route des fromages AOP d’Auvergne, créée en 1997 (100 000 visiteurs en 2015). À ces cinq appellations, on peut ajouter le gaperon, le bleu de Laqueille, la brique du Forez, le crémeux du Puy, le fouchtra de chèvre… Pour accompagner l’ensemble de ces mets, l’Auvergne dispose également de son vignoble avec l’AOP Côtes d’Auvergne. Il existe aussi une IGP Puy-de-Dôme. On ne manquera pas de faire honneur, entre deux verres de vin, aux eaux minérales (Volvic, Chateldon, etc.). L’Auvergne (y compris l’Allier) est la première région d’Europe pour les eaux minérales. Elle comprend sur son territoire 109 des 626 sources minérales que compte la France. On terminera notre repas auvergnat par une tarte aux myrtilles que l’on aura cueillies avec un « peigne » au pied d’une montagne, derrière un buron. On grignotera une pâte de fruits et on aura bien mérité un petit verre de verveine du Velay.
Nous conclurons avec Alexandre Vialatte : « J’aime l’Auvergnat. Il est utile et agréable. Il manquerait s’il n’était pas là. Il porte le charbon, il sert la limonade, il écrit Les Pensées, il libère l’Amérique, mange le lard et vend son torrent au détail. Ses routes sont pavées d’améthyste. Il a inventé le baromètre. On lui doit la fourme à points bleus. Bref, il est agréable à vivre et instructif à fréquenter. »
Olivier Masbou

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