Coprésident d’Euro-Toques avec son confrère et ami Guillaume Gomez, chef de l’Élysée, il est en effet un inlassable promoteur des bons produits, dont il défend la qualité jusqu’auprès des instances européennes.
Lasserre est célèbre à travers le monde pour des plats signature, comme le pigeon André-Malraux, les macaronis aux truffes noires et foie gras ou les crêpes Suzette. » Assis à une table de la célèbre salle à manger élégamment restaurée de l’avenue Franklin-Roosevelt, Michel Roth n’ignore rien du poids de l’histoire dans cette maison. Il sait également ce qu’elle doit aux produits du terroir. « Toutes ces recettes n’existeraient pas sans les produits exceptionnels que nous livrent chaque semaine, parfois depuis des décennies, les plus fidèles fournisseurs de chez Lasserre », s’empresse-t-il d’ajouter.
LES FRUITS ET LEGUMES D’ALAIN COHEN
Le premier que nous évoquons avec le chef est une figure bien connue du marché de Rungis : Alain Cohen, qui a créé en 2014 le Comptoir des producteurs aux côtés d’Alexia Charraire, directrice des Vergers Saint-Eustache. « Je l’ai connu du temps du Ritz où il est venu me voir. Un jour, il m’a appelé pour me donner rendez-vous devant le Petit Palais où il avait garé son Camion des producteurs avec lequel il vient livrer les chefs en produits sélectionnés sur le marché de Rungis. Et là, je me suis retrouvé avec trois ou quatre confrères à goûter tout ce qu’Alain nous présentait avec sa verve naturelle : du raisin, des poires, des pommes. » L’ancien acteur reconverti dans la sélection des plus beaux fruits et légumes des régions françaises impressionne le chef par sa compétence et sa passion. « Il a une approche du produit orientée sur le goût vrai qui est inspirante pour les chefs. »
Les primeurs d’Alain Cohen se retrouvent un peu partout sur la carte du restaurant fondé par cet autre expert en saveurs qu’était René Lasserre. Ses légumes racines d’automne se marient en ce moment avec les « noix de Saint-Jacques dorées de Chausey », ses salsifis et marrons accommodent « un dos de biche de Picardie », et ses artichauts poivrade donnent une réplique plus inattendue à une « sole étuvée au jus meunière et citron confit ». « Ils sont présentés en trois façons dans l’assiette, rôtis, grillés et crus en pickles, avec une petite marinade huile d’olive et citron, détaille l’expert. Du coup, c’est souvent du goût retrouvé de l’artichaut dont les clients se souviennent. »
Les fruits du Comptoir des producteurs ne sont pas en reste. Les reinettes d’Alain Cohen sont à l’honneur dans le dessert du jour du menu déjeuner : une « pomme rôtie en rouleau sorbet coing, caramel léger et cubes de poires », ces dernières également en provenance du grossiste rungissois.
LES CANARDS DE LA MAISON BURGAUD
Après cette entrée en matière végétale, la conversation vient naturellement au plat de résistance et au célébrissime canard à l’orange de Lasserre. Le restaurant s’approvisionne de longue date auprès de la maison Burgaud, une petite entreprise familiale créée en Vendée à la fin des années 1940, qui perpétue depuis quatre générations l’abattage du canard challandais au sang et du canard croisé au sang. « Jean-Jacques Gayraud, qui est là depuis près de trente ans, a toujours travaillé avec eux. C’est une fidélité extraordinaire. »
Si la provenance des canards, élevés par seulement cinq éleveurs à trente kilomètres de Challans, n’a pas varié, la recette répond également à un cérémonial immuable. « Le canard est toujours rôti rosé, laqué avec un miel aux poivres ou aux agrumes de manière à obtenir une chair moelleuse à l’intérieur et une peau croustillante ; puis il est présenté entier et découpé en salle par le maître d’hôtel et servi avec son jus », explique l’homme de l’art. Seul l’accommodement varie en fonction de produits de saison. « Cet été c’était aux cerises, puis aux pêches de vigne, à la rentrée aux figues et, cet hiver, on reviendra bien sûr à l’orange, dont on ajoute toujours un zeste pour rappeler la recette d’origine. Parfois, les cuisses reviennent en cuisine et on les sert en deuxième service avec une salade ou des pommes soufflées. C’est un rituel qui fait partie de l’identité de Lasserre. »
LES ŒUFS DE LA FERME DE LA BIGOTTIERE
De la volaille à l’œuf il n’y a qu’un pas, qui nous conduit du Marais breton au parc naturel du Perche dans l’Orne. C’est là que la ferme de la Bigottière élève, en plein air bien sûr, des poules pondeuses nourries avec le maïs de l’exploitation, lui-même cultivé sans herbicide. « L’œuf, nous en utilisons tout le temps chez Lasserre, comme ingrédient mais aussi comme composant principal de nombreuses entrées. C’est la raison pour laquelle la qualité de sa production est primordiale. » La saveur des œufs de la Bigottière joue pour beaucoup dans l’équilibre gustatif délicat de la « déclinaison de cèpes », servie en cette fin octobre avec une royale, une sorte de petit flan fait à partir d’œufs entiers et de crème, servie dans une petite tasse avec un bouillon de cèpes. « J’aime également l’œuf mollet,
servi avec un gratin de macaronis et une émulsion de volaille légère mais corsée ou encore en accompagnement d’une volaille au vin jaune, servi dans une cocotte avec des écrevisses et des asperges. Dans toutes ces recettes, c’est l’œuf la vedette. »
LE FROMAGE DE DOMINIQUE FABRE
L’échange se termine sur le thème du fromage. Michel Roth, comme les chefs de bien des institutions dont l’Élysée, Matignon, l’Assemblée nationale ou le Sénat, ne jure que par les chèvres de Dominique Fabre. Ce producteur, dont la ferme est implantée à Betz-le-Château, près de Tours, depuis trois générations, fabrique ses fromages à partir du lait de chaque traite de ses 320 chèvres Saalen. « Il fait huit formes différentes, qui donnent des textures et des goûts différents », dit Michel Roth qui a connu Dominique Fabre au Ritz il y a une vingtaine d’années. Le cuisinier s’avoue humblement bien super-flu en compagnie d’un produit aussi abouti, présentant un équilibre parfait « entre force et douceur, saveurs lactées et salées. C’est un fromage tellement bon qu’il se suffit à lui-même. Je me contente de l’agrémenter en ce moment avec une pâte de fruits à base de coings, des noix fraîches ou des noisettes et pourquoi pas quelques pousses de salade. Mais pas plus ». Michel Roth a beau être MOF et auréolé du Bocuse, il sait se faire discret quand il s’agit de sublimer au mieux les produits du terroir.
Désormais chef exécutif et conseiller culinaire à l’hôtel Président Wilson à Genève (il y a obtenu une étoile pour son restaurant Bayview en 2013), Michel Roth a fait son retour depuis le début de l’année à la tête d’une des tables parisiennes les plus emblématiques, celle qui l’a consacré comme chef pour la première fois : Lasserre. Après avoir mis en place son équipe, Michel Roth a été nommé chef-conseil du restaurant. Il signe la carte et passe désormais une partie de sa semaine sur place. Avec lui, nous avons évoqué les mérites des produits du terroir et de ceux qui les font.
En visite à Rungis
Coprésident d’Euro-Toques aux côtés de Guillaume Gomez, le chef de l’Élysée, Michel Roth a participé à l’inauguration de la Fête de la Gastronomie à Rungis le 22 septembre. À cette occasion, le cuisinier a visité les pavillons de la marée, des fruits et légumes, mais aussi les nouveaux locaux du grossiste en viande Metzger. Un parcours au pays des beaux produits qui l’a convaincu de continuer d’œuvrer avec Euro-Toques pour la sauvegarde et la promotion des produits alimentaires de qualité et d’origine.