Le chef propriétaire d’un restaurant éponyme ne parlait pas français quand il a quitté son Liban natal pour s’installer à Paris. Il est aujourd’hui à la tête d’une table auréolée d’une étoile au Guide Michelin et d’un bistrot libanais qu’il a ouvert en pleine crise sanitaire.
Arrivé en France en 1999 à l’âge de 24 ans, Alan Geaam nourrissait depuis toujours le rêve de devenir cuisinier à Paris. La gastronomie tricolore, réputée pour la solidité de ses bases et la richesse de ses recettes, piquait depuis longtemps la curiosité du chef. « Je souhaitais apprendre la cuisine française, savoir comment on réalisait du foie gras, un pot-au-feu ou même une baguette de pain et des macarons », se souvient-il. Alan Geaam éprouve le même enthousiasme au sujet des arts de la table et des métiers de salle et vante, là encore, le fameux service à la française qui tranche avec ses origines libanaises et la cuisine locale ; une « cuisine de partage où l’on mange avec les mains et la cuillère des pitas, etc. ». Pour parvenir à ses fins, le chef, qui ne parle pas français au moment de poser ses valises à Paris, accomplit alors de longues journées. Le matin, il s’échine sur des chantiers de construction ; le soir, il travaille dans un restaurant comme plongeur. Durant son temps libre, il potasse inlassablement les quelques ouvrages de cuisine en sa possession. Une pugnacité qui a permis à cet autodidacte de décrocher un poste d’aide cuisinier dans un établissement baptisé Le Totem, au sein du Musée de l’Homme.
« C’est là que j’ai appris à faire une mayonnaise, une vinaigrette ou du pesto », sourit-il. Alan Geaam, au début des années 2000, accompagne sa cheffe de l’époque au restaurant Zongo. En 2002, il prend une place de chef au bistrot Le Mauzac (Paris, 5e), puis en 2007 il rachète l’Auberge Nicolas Flamel, son premier restaurant. Il ouvre ensuite AG Saint-Germain, puis AG Les Halles, deux concepts dédiés à la bistronomie. Alan Geaam n’a jamais vraiment cru qu’il pourrait un jour décrocher une étoile au Guide Michelin. « À l’Auberge, j’ai continué à travailler sur la qualité des assiettes et du dressage. Je pensais que les étoiles, ce n’était pas pour moi mais pour ceux qui sont passés par de grandes maisons », commente le Libanais, qui a su succéder avec brio au chef étoilé Akrame Benallal en rachetant son restaurant en 2017 et en conservant l’étoile l’année suivante.
Rungis, source d’inspiration
Pour mieux se focaliser sur l’établissement étoilé qui porte son nom, Alan Geaam s’est séparé de ses deux adresses bistronomiques, mais a lancé à Paris un bistrot libanais nommé Qasti. Aujourd’hui âgé de 45 ans, le maître queux garde un souvenir impérissable du Marché de Rungis où il se rend encore toutes les semaines. « La première fois, je me sentais comme un gamin qu’on amène à Disneyland, sourit-il. J’étais excité en voyant tous ces produits, j’étais habitué aux petits marchés mais sûrement pas à un marché de cette taille. Quand je souhaite sortir de mon quotidien, je vais à Rungis c’est une source d’inspiration. Je donne également des cours de cuisine à l’Académie Mandar dont je suis l’ambassadeur. » Alan Geaam trouve la majorité de ses produits au Marché de Rungis. Les créations culinaires du Libanais ne manquent pas de panache ; il pratique « une cuisine française de terroir » avec uniquement des produits de saison, mais d’influence méditerranéenne grâce à des assaisonnements et condiments exotiques qu’il peut trouver, là encore, à Rungis. Dans son restaurant étoilé, il propose notamment un menu dégustation axé sur la pêche durable, les viandes issues de races rustiques et les légumes de saison. Pour s’approvisionner, il travaille depuis de nombreuses années déjà avec des grossistes bien connus de la place rungissoise, à l’instar des Vergers Saint-Eustache, la Boucherie Sablière ou encore Les Boucheries nivernaises (via Cedral). À la marée, ce sont la plupart du temps les produits de la maison Halles Prestige ou d’Armara qui sont mis en valeur dans l’assiette.
Du côté des produits exotiques comme les épices, Alan Geaam trouve son inspiration chez Médelys ou Le Delas. Enfin, ce qu’il ne peut trouver en France, le chef le rapporte du Liban. « Toutes les marchandises nous sont livrées, même s’il m’arrive d’aller jusqu’à deux fois par semaine au Marché de Rungis. Je participe à de nombreux événements sur le Marché, notamment à travers la Confrérie de l’ail et de l’oignon », détaille Alan Geaam.
À l’heure de la crise sanitaire, le chef étoilé voit, comme l’intégralité de ses confrères, son « organisation chamboulée ». Pour faire face, il a recours à la vente à emporter. « Au début, c’était compliqué car les contenants notamment ne sont pas adéquats. Mon travail, c’est l’assiette. J’ai eu du mal à me convertir à la barquette, mais nous avons su nous adapter », détaille-t-il. Du côté du personnel, le chef a été contraint de réduire la voilure et le maître d’hôtel est aujourd’hui préposé aux commandes en ligne et assure les relations avec les clients et les livreurs. « C’est un autre métier », résume Alan Geaam, qui appelle de ses vœux des jours meilleurs.
Mickaël Rolland
Un succès galopant