Christian Le Squer fait partie des trois grands chefs auquel le Gault et Millau a attribué la note quasi parfaite de 19,5/20 dans l’édition 2018 de son célèbre guide. Une nouvelle reconnaissance pour un chef à la fois classique et novateur pour lequel la sélection des produits et la relation avec les fournisseurs constituent un élément essentiel de la réussite culinaire. Entretien avec ce grand palais d’un grand palace, le George-V.
Les propriétaires du Four Seasons Hotel George-V ne se sont pas trompés quand, en octobre 2014, ils ont donné les clés de son restaurant gastronomique Le Cinq à Christian Le Squer. En quelques mois, le transfuge de Ledoyen impose sa marque en dispensant une cuisine d’auteur à la fois artisanale, luxueuse et inventive. En à peine quatorze mois, il obtient au restaurant des distinctions dignes du standing du palace parisien : deux, puis trois étoiles au Guide Michelin. « C’était le défi qui m’était proposé et pour lequel on m’a donné les mains libres », commente le chef sans fausse modestie.
Arrivé à l’âge de la maturité, le cuisinier breton se définit comme un créateur, à l’image d’un parfumeur ou d’un couturier. « En novembre par exemple, j’ai passé du temps avec mes équipes à réfléchir à la manière dont nous allions concevoir le turbot aux truffes, l’un de mes plats signature, version 2018, illustre Christian Le Squer. Je considère que mon métier consiste prioritairement à procurer des émotions. Pour cela, je me fie essentiellement à une chose : mon palais. »
L’exercice requiert expérience et intuition, mais aussi beaucoup de travail. « La création culinaire réclame un travail permanent de recherche et développement, insiste ce conseil de plusieurs grandes marques en matière d’innovation. On mène ici des essais tous les jours, en vue de tester des produits, de les comparer, de les assembler, de les cuisiner. » Ces expérimentations sont à l’origine de quelques-unes des innovations culinaires les plus réussies de Christian Le Squer, comme la gratinée d’oignons à la parisienne. « C’est un plat qu’on a volé aux Halles pour en faire une star de grande table ! », s’amuse le chef, tout heureux de son forfait. « Revisitée » sur une assiette plate, cette gratinée nouveau genre se croque, offrant un étonnant choc de textures et de saveurs. « Ce plat ne marche vraiment bien qu’avec de l’oignon des Cévennes, même si, en tant que Breton, j’aurais préféré de Roscoff ! L’été, on la fait avec des oignons nouveaux, c’est magnifique ! »
Pas de grandes assiettes sans grands produits
Il n’y a bien sûr pas de grandes assiettes possibles sans des produits à la hauteur. « Un grand restaurant doit pouvoir s’appuyer sur une matière première irréprochable, on ne peut pas tricher là-dessus », insiste le chef triplement étoilé. Les exigences du Cinq sont donc très élevées en matière de qualité. « Nos besoins sont parfois très spécifiques. Je recherche exclusivement de très grosses langoustines, des turbots de 6 à 8 kg ou, en saison, des quantités importantes de truffes pour ma tourte aux truffes. Je peux en passer jusqu’à 10 ou 15 kg par semaine ! »
Évoluant depuis l’âge de 20 ans dans la restauration étoilée, le Morbihannais d’origine connaît sur le bout des doigts la crème des fournisseurs français, qu’ils soient producteurs ou grossistes. « J’ai établi avec eux des relations de confiance. Ils recherchent des qualités spécifiques pour nous, savent quelles sont mes attentes, et m’adressent les nouveaux produits qu’ils pensent pouvoir m’intéresser. » Christian Le Squer retrouve cette qualité de contact à Rungis. « C’est un vivier inépuisable pour la restauration parisienne, un réservoir qui a pris une dimension internationale », s’enthousiasme-t-il. Le patron y compte quelques-uns de ses pourvoyeurs les plus fidèles et les plus réguliers. Parmi eux figure Jean-Claude Huguenin. « Je le connais depuis l’époque où j’ai pris les commandes des cuisines du restaurant du café de la Paix à l’Opéra en 1995 », se souvient Christian Le Squer, qui achète au grossiste rungissois foie gras, volaille, gibier et viande d’agneau et de veau. « Nous avons établi une véritable relation de professionnel à professionnel. Jean-Claude sait parfaitement la qualité et les quantités que l’on recherche et nous trie des produits sur mesure, adaptés à ma cuisine. Il me sélectionne par exemple le foie gras en fonction de la cuisson auquel je le destine : poché, grillé, etc. Il me réserve les selles d’agneau, une pièce que j’apprécie, quand les côtes vont aux ateliers de Robuchon. Il me prévient enfin quand la saison du lièvre ou du canard sauvage va se terminer afin que je prévoie d’installer le plat suivant à la carte. » Jean-Claude Huguenin est loin d’être le seul fournisseur du Cinq à Rungis. « Je travaille également avec les frères Metzger depuis le temps de Ledoyen, précise l’ancien chef du célèbre Pavillon. Je les considère comme des stars du bœuf et j’apprécie leur grande régularité en matière de qualité. » Le chef « qui apprécie personnellement plutôt le charolais ou l’aubrac » s’approvisionne auprès d’eux en bœuf australien ou américain. « Ce sont des viandes mieux adaptées à la clientèle très internationale d’un palace, qui attend du fondant et du persillé et des saveurs moins marquées », analyse le chef.
« Ce sont les hommes qui font Rungis »
La liste des fournisseurs présents sur le MIN est longue. On y croise les noms du groupe Charraire (Vergers Saint-Eustache), « un super distributeur d’agrumes », de Mandar ou des Boucheries Nivernaises. « Ce sont tous des gens que j’adore. Ce sont des artisans qui ont su grandir avec le marché de Rungis et qui ont contribué à son rayonnement. Car il ne faut pas oublier que ce sont les hommes qui font Rungis. » Les bonnes relations avec le chef ne suffisent pas pour autant pour être référencé au Cinq. « Si nous cherchons l’excellence en matière de produits, nous avons besoin d’une grande régularité d’approvisionnement, car le Cinq sert une centaine de couverts par jour en deux services, sept jours sur sept. » Les provenances sont comparées, avec des tests à l’aveugle. « Contrairement à ce qu’on croit peut-être, le prix également est pris en compte. »
La carte du Cinq répond aux exigences du chef et de son service achat, mais aussi des saisons. « Dans un restaurant de ce type, on doit se soucier en permanence de la saisonnalité des produits. Après le pigeon en automne, il faut se projeter sur le pintadeau ou la poularde, en tester les différentes origines pour apporter au moment voulu le meilleur produit, le mieux apprêté. » Une chaîne de professionnalisme, du producteur au chef, est le meilleur garant de la réussite finale dans l’assiette. Christian Le Squer est très attaché à ce lien. « Ce sont mes fournisseurs, notamment ceux de Rungis, qui me donnent le mouvement dont j’ai besoin », conclut le chef.

Bœuf Black Market australien drapé de mozzarella truffée

Gratinée d’oignons à la parisienne contemporaine

Homard bleu à la nage acidulée émulsion crémeuse liée au corail
