À entendre sa verve intarissable et son ton jovial, on a du mal à imaginer les responsabilités qu’endosse tous les jours Christophe Raoux. Chef exécutif des cuisines du Peninsula depuis 2016, le cuisinier de 46 ans pilote à ce titre toute la restauration de l’un des plus beaux palaces de la capitale. Entièrement rénové en 2014, l’hôtel cinq étoiles compte pas moins de deux tables gastronomiques, L’Oiseau blanc, de tradition française, et le Lili, où l’on concocte une authentique cuisine cantonaise, mais aussi le Lobby, un restaurant chic et décontracté assurant le service du petit déjeuner au dîner, sans oublier le restaurant d’entreprise, ou les banquets et le room service.
Malgré l’armée de 130 cuisiniers qu’il doit diriger, le chef « essaie de ne pas trop se laisser gagner par la pression, car c’est généralement contre-productif ! » assure-t-il en souriant. Lui-même formé par Didier Legay au Ritz puis par Ducasse, Christophe Raoux s’est à son tour entouré d’une équipe solide et fidèle, des « gamins », comme il les appelle affectueusement dont certains le suivent depuis quinze ans. Il sait pouvoir compter sur son adjoint, Frédéric Gardette, et sur chacun de ses chefs de cuisine, Léo Besnard à l’Oiseau blanc, Thomas Vételé au Lobby, Martin Simolka pour les banquets et le room service et le chef pâtissier Dominique Costa, sans oublier le chef Ma, à la tête de l’équipe 100 % chinoise du Lili.
Le capitaine et ses alliés du Marché
« Mon rôle est celui d’un capitaine, explique cet amateur de rugby. Je travaille les plats et les cartes avec mes sous-chefs, mais ceux-ci ont ensuite une grande autonomie dans leurs achats et dans leurs relations avec leurs fournisseurs. En revanche, c’est moi qui prends la main quand on me signale un souci sur un produit. » Ce chef d’orchestre est attentif au moindre détail au moment de l’envoi des plats. « C’est moi qui appelle les fournisseurs, que je connais, pour la plupart, de longue date. »
Ces fournisseurs, bon nombre d’entre eux sont situés à Rungis, le Marché fournissant à lui seul environ 70 % de la marchandise approvisionnant les restaurants du Peninsula. « C’est Guy Legay, le chef du Ritz qui m’y a emmené pour la première fois dans les années 1990. C’était un dimanche, car il y avait organisé une course de vélo avec les Toques blanches. Je lui ai tout de suite demandé de m’y emmener à nouveau pour me faire découvrir cet univers par lequel j’ai été très vite fasciné. » En une vingtaine d’années, Christophe Raoux a eu le temps de nouer des relations solides avec quelques experts en sourcing situés sur le Marché. « Pour certains, ce sont des fournisseurs, mais aussi des amis avec qui je peux parler rugby, chasse ou voiture. Cela n’enlève rien au caractère très professionnel de nos rapports. Ils savent que je peux les appeler à tout moment pour telle ou telle demande particulière de clients ou un dépannage. De leur côté, ils savent qu’ils peuvent me solliciter quand ils le souhaitent pour me faire découvrir une nouveauté ou un produit un peu particulier qu’ils pensent pouvoir m’intéresser. » Des exemples de collaboration de ce type, le chef n’en manque pas. « J’échange très régulièrement avec Jean-Philippe Bataille, directeur de la marée à Transgourmet, explique-t-il. Il m’a aidé à constituer le vivier qui nous permet de disposer de poissons vivants. Nous avons démarré avec les homards, les langoustes, les langoustines des îles Féroé, puis le turbot, les couteaux, les ormeaux, et on teste actuellement le bar. Jean-Philippe fait du travail sur mesure pour nous, jusqu’à la taille et la présentation des rougets. ». La collaboration avec les professionnels de Rungis va jusqu’à l’expérimentation en cuisine. « La société Armara m’a récemment sollicité car elle venait de rentrer de la sériole (un poisson argenté de grande taille et très recherché, Ndlr). J’ai passé une matinée chez eux à tester des recettes. Je leur ai expliqué que c’était un produit qui pouvait m’intéresser pour le Lobby ou les banquets, mais pas pour l’Oiseau blanc, car je sais que les clients seront rétifs à une espèce qu’ils ne connaissent pas. Ce sont des échanges incessants. Avec eux, on va ainsi prochainement au Lobby le saint-pierre découpé devant le client. »
Prescripteurs de chef
Les entreprises du marché jouent de plus en plus un rôle de prescripteurs. « Les Vergers Saint-Eustache m’ont fait récemment découvrir du pollen frais en provenance des Ardennes, un produit à la texture et au goût extraordinaires. Je lui ai aussitôt trouvé une place dans une recette de fleur de courgette farcie aux deux légumes et pochée, à laquelle le pollen apporte une agréable note de fraîcheur. » Insatiable découvreur de saveurs, Christophe Raoux s’est également enthousiasmé pour des produits décou-verts à la Maison Bio Sain, sous le pavillon bio, comme des pâtes à l’épeautre et de l’eau de bouleau. « L’eau de bouleau, c’est en plein dans la tendance santé, et on peut en expliquer les bienfaits au client. Il faut vite que je lui trouve une recette ! »
Christophe Raoux reconnaît volontiers le rôle joué par ses fournisseurs dans l’inspiration de ses plats. « Les Vergers Saint-Eustache m’ont fait découvrir le phytoplancton, que l’on a intégré dans la recette des dim sum de Lili. Ça, je sais qu’on est les seuls à le faire ! » Le chef prépare actuellement, en toute sérénité, son menu truffes d’été. « Je suis rassuré, car c’est Alexandre Puech, des Halles Paris Sud, qui va nous fournir. C’est un menu qu’on est en train de tester et qui est d’ores et déjà très attendu. »
Chaque restaurant s’est naturellement plus ou moins attaché les services de certains fournisseurs. « Aujourd’hui, c’est Halles Paris Sud à qui il incombe la tâche délicate de trouver les fruits et légumes frais typiques de la cuisine chinoise pour le Lili ! énumère Christophe Raoux. Les Vergers Saint-Eustache servent le Lobby et l’Oiseau blanc, tandis que la maison Charraire approvisionne le restaurant d’entreprise du Peninsula. Enfin, Transgourmet et Armara sont les fournisseurs en produits de la mer de l’ensemble de nos unités. »
Conscient de l’importance du marché en termes d’approvisionnement et de réactivité, le chef exécutif du Peninsula a à cœur de partager sa connaissance du marché et ses relations sur place avec ses chefs de cuisine. « Je les emmène régulièrement là-bas. Une visite est encore prévue la semaine prochaine car deux chefs de partie me l’ont demandé. Mais savez- vous que c’est aussi devenu une demande récurrente de nos clients ? C’est au point que nous proposons un pack pour nos clients VIP qui comprend la visite du Marché. Cela illustre à quel point c’est un endroit unique au monde. »
Bruno Carlhian