Clément ChicardClément Chicard

Clément Chicard

Au bouillon !

Le Bouillon Pigalle connaît depuis un peu plus d’un an un formidable succès en remettant au goût du jour les codes et méthodes des restaurants populaires parisiens. Le chef Clément Chicard lève le voile sur les dessous des cuisines.

Depuis l’ouverture du Bouillon Pigalle en novembre 2017, la scène se reproduit invariablement aux heures des repas. La file des clients attendant que quelques-unes des 300 places se libèrent s’allonge devant la devanture, serpente devant l’antique cinéma X de la place et s’étend souvent, par un chorégraphique pied de nez, devant les vitrines du McDo voisin.
« La plus petite journée, c’est le lundi, on ne fait qu’autour de 1 000 couverts », commente sans rire Clément Chicard, le chef des cuisines de la nouvelle attraction du quartier. « La moyenne tourne plutôt autour de 1 500 par jour et le record est détenu par un samedi à 1 950 couverts », détaille le discret ordonnateur de cette immense machinerie culinaire. Les services au Bouillon Pigalle, où les clients se côtoient dans un joyeux brouhaha, prennent ainsi souvent des allures de « grande tablée » rungissoise.
« J’ai toujours cru que le concept allait trouver son public », assure Clément Chicard, qui a été associé au projet dès l’origine. « Pierre et Guillaume Moussié, les créateurs du concept (ils sont aussi propriétaires de la Brasserie Barbès, de Chez Jeannette ou de l’Hôtel Providence, NDLR) ont un grand sens du commerce et du service, et savaient parfaitement où ils allaient », confie le cuisinier de 31 ans, aguerri par son parcours au sein du groupe (la Brasserie Barbès et Le Bellerive) et ailleurs, auparavant (Trianon Palace de Versailles, Beau-Rivage Palace de Lausanne ou encore Ciel de Paris à la tour Montparnasse). « Le Bouillon Pigalle, c’est la nourriture du peuple, bon, rapide et pas cher, ça parle à tout le monde. »
Créé dans un cadre vaste et lumineux, le restaurant a reproduit, en les modernisant, la formule et les méthodes qui ont fait le succès des bouillons du Paris d’autrefois et celui de Chartier depuis plus d’un siècle. Les classiques de la cuisine populaire sont ainsi proposés, comme il se doit, à des tarifs imbattables : les œufs mayonnaise à 1,90 €, le poireau vinaigrette à 3,40 €, la blanquette de veau ou le tartare de bœuf à 10,50 € ou encore l’éclair au chocolat à 2,90 €. Mais la fantaisie n’est jamais très loin, avec cette bisque de crabe relevée au Kari Gosse ou ces Jéroboam de côtes-du-rhône (à… 38,80 € !), de Perrier ou de limonade que se partagent généreusement des groupes de collègues, d’amis ou de touristes, souvent jeunes.

80 % en provenance de Rungis

Le succès de l’entreprise, passé l’effet de mode, s’explique par la qualité constante de la table. « Ce n’est pas parce que l’on propose des repas bon marché que l’on ne va pas être regardant sur les standards des produits que l’on achète », explique Clément Chicard. « Nous sommes au contraire très rigoureux là-dessus, comme sur le reste. »
Les cuisines du Bouillon Pigalle travaillent essentiellement avec des produits frais, achetés pour 80 % sur le marché de Rungis. « C’est un endroit dont j’ai toujours adoré l’ambiance si particulière et où j’essaie de me rendre au moins trois ou quatre fois par an pour y rencontrer des fournisseurs. » Les restaurants des frères Moussié, dont le Bouillon Pigalle est désormais un navire amiral, s’appuient pour s’approvisionner sur un interlocuteur principal à Rungis, Steve Mouysset. Celui-ci dirige une entreprise spécialisée dans le commerce de gros destiné à la restauration française traditionnelle. « C’est avec lui que nous négocions les tarifs, les calibres, les qualités. Charge à lui ensuite de trouver les meilleures opportunités dans les différents secteurs. »
Le Bouillon Pigalle dispose dans ses échanges avec ses fournisseurs d’un atout de poids : ses volumes d’achat hors normes. « Pour vous donner quelques exemples, nous écoulons en moyenne chaque semaine 2 tonnes de pommes de terre, 700 kg de bœuf bourguignon ou encore 200 kg de poireaux, détaille Clément Chicard. L’importance de nos commandes nous permet de bénéficier de bonnes conditions d’achat que l’on répercute auprès de nos clients. »

Gagner du temps et de l’espace

Si l’aspect économique est important, une attention particulière est apportée à l’origine ou aux spécificités des produits. « En matière de viande, par exemple, nous n’achetons que du bœuf français de race à viande, dont du charolais pour le tartare. Pour le saumon, je privilégie l’origine Écosse par rapport à la Norvège. Enfin, dès que la saison et les arrivages le permettent, nous achetons sur le carreau des producteurs. On essaie de privilégier les produits de proximité dans la mesure du possible », précise Clément Chicard.
L’acheteur doit prendre en compte les contraintes importantes de la production en cuisine. « Il serait matériellement très compliqué et sans grand intérêt économique de faire du désossage de viande ou du filetage dans nos cuisines, explique Clément Chicard. C’est la raison pour laquelle nous achetons uniquement des pièces de viande et des filets de poisson. Compte tenu du débit, il faut absolument gagner du temps et de l’espace pour assurer un flux tendu et éviter le stockage. Les cuissons, par exemple, ne s’arrêtent jamais. Notre agneau de 7 heures cuit toute la nuit à basse température. »
Toutes les étapes de préparation des repas ont ainsi été minutieusement réfléchies. La brigade de 23 personnes (hors plonge) respecte à la lettre une savante méthodologie maison. Au sous-sol, une première équipe s’affaire au sein d’une véritable petite usine alimentaire équipée de parmentières, de machines à couper les légumes, à fabriquer les choux, à hacher la viande ; tandis qu’à l’étage, une autre partie des troupes œuvre à l’envoi des plats. « Mais je ne peux pas vous révéler tout le fonctionnement, nous avons aussi quelques méthodes dont je préfère garder le secret ! », s’amuse Clément Chicard.
Le public, en tout cas, plébiscite le modèle du bouillon. Outre l’inamovible Chartier de la rue du Faubourg-Montmartre, qui connaît une nouvelle jeunesse depuis sa reprise par la famille Joulie, deux autres restaurants populaires du même type ont ouvert à Paris depuis un an : le Bouillon Julien (qui remplace la Brasserie) et un Bouillon Chartier Montparnasse. S’appuyant sur le succès du Bouillon Pigalle, les frères Moussié ont l’intention de convertir la mythique brasserie Chez Jenny de la place de la République en un Bouillon République. Clément Chicard a d’ores et déjà commencé à travailler sur le projet.

Bruno Carlhian

Les saveurs de la cuisine populaire

Qui a prétendu que les goûts des jeunes penchaient irrésistiblement du côté de la malbouffe ? Le succès du Bouillon Pigalle auprès de la génération Y montre le contraire. À la carte, pas de burgers ni de nuggets, que de la cuisine traditionnelle, variée et équilibrée, depuis la soupe au fromage au gratin de chou-fleur sauce mornay, en passant par la blanquette de veau. « Les plus grosses ventes, c’est l’œuf mayo et le poireau vinaigrette en entrées et le bifteck frites et le bourguignon en plats », précise Clément Chicard. Le chef apporte quelques modifications à la carte en fonction des saisons et introduit régulièrement des nouveautés, comme récemment l’andouillette artisanale de la charcuterie de Sept-Monts, fabriquée à partir de cochons du Tarn. « J’ai l’intention de développer les productions faites maison, précise Clément Chicard. J’ai recruté pour cela un second, Martial Guyonne, qui est charcutier de formation. Nous allons proposer nos propres terrines, en variant régulièrement dans les versions. »

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Infos clés

Le Bouillon Pigalle
22, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tous les jours de midi à minuit, sans réservation.