Éric Briffard et les produits du terroir, c’est une vieille histoire d’amour. « J’ai passé mon enfance à la campagne, du côté d’Auxerre, où mes parents étaient de petits agriculteurs qui vivaient un peu en autarcie, raconte le chef exécutif et directeur des arts culinaires de l’école Le Cordon bleu de Paris depuis janvier 2016. Très tôt, j’ai participé aux travaux de la ferme : la fabrication du boudin et des pâtés, l’abattage des volailles et des lapins, la cuisson du pain, le ramassage des cornichons, le broyage des noix… Toutes ces tâches ont fait partie de ma vie d’enfant. »
Décidé à devenir cuisinier, Éric Briffard commence à l’âge de 14 ans un apprentissage qui fait la part belle aux matières brutes. « À l’époque, on travaillait en cuisine de très grosses pièces de viande, ce qui ne se fait plus guère aujourd’hui. J’ai donc appris, très jeune, à désosser des aloyaux entiers ou à dépecer les chevreuils que le patron rapportait de la chasse, c’était naturel. » Le futur étoilé gardera de ces années parfois éprouvantes le goût des produits authentiques et de la fabrication artisanale. Travailleur acharné, l’apprenti se distingue dans les concours et poursuit sa formation grâce au compagnonnage. Une première étape l’emmène à Paris à l’hôtel Concorde Lafayette. « Au Concorde Lafayette, j’ai appris auprès des équipes de Joël Robuchon, qui partait à l’hôtel Nikko, toutes les bases de la cuisine Escoffier. Les fonds de sauce, les cocottes, les plats en argent et les voitures de découpe, c’était mon quotidien ! » Le terroir ne lâche pas pour autant cet assoiffé de connaissance. En 1984, Éric Briffard retourne en Bourgogne pour épauler Marc Meneau à l’Espérance à Saint-Père. « Ça a été une grande expérience, celle d’une cuisine proche de la nature. Je me souviens notamment que l’on cuisinait la pôchouse, une sorte de pot-au-feu de poissons de rivière pêchés dans l’Yonne avec des légumes du jardin. J’ai compris qu’on ne pouvait faire la cuisine qu’avec des produits authentiques. »
Après une nouvelle escale dans la capitale au Manoir de Paris, le cuisinier s’envole pour le Japon où il occupera, à 28 ans, sa première place de chef au Palazzo Royal Park Hotel. « Ça a été un choc culturel et culinaire, mais aussi une expérience qui m’a fait beaucoup grandir. Les Japonais ont un culte de la pureté des produits et de l’épure en cuisine. Au début, je n’y comprenais rien, trouvais que rien n’avait de goût et que le saké c’était de l’eau sucrée. Aujourd’hui, j’adore ça et j’ai même fondé l’association française des amateurs de saké avec Toshiro Kuroda, le sommelier Olivier Poussier et Gérard Depardieu. » À son retour à Paris à la fin des années 1980, Éric Briffard rejoint le restaurant Jamin, créé par Joël Robuchon, où le maître « lui réapprend toutes les bases de la grande cuisine, avec l’exigence de la perfection ». Mais, fort de ce savoir accumulé pendant toutes ces années, le chef veut désormais voler de ses propres ailes « et trouver son identité de chef ». Loin des lumières parisiennes, il rejoint l’Hostellerie du château de Fère en Tardenois, dans l’Aisne. « J’y ai remis les pieds sur terre, avec moins de moyens. C’est également l’époque où j’ai réellement découvert un univers qui allait beaucoup me marquer, celui de Rungis. »
Un coup de cœur pour Rungis
Une fois par semaine après le service, plus épisodiquement ensuite, le chef du Relais & Châteaux prend la direction du marché de gros francilien avec son camion. Un coup de cœur pour ce fou de beaux produits et le début de relations indéfectibles avec d’autres passionnés. « C’est impossible de tous les citer, mais j’ai noué des relations privilégiées avec Alain Cohen et son Comptoir des producteurs, Michel Decourty, Frédéric et Sabine Masse, mais aussi avec le boucher Jean-Christophe Prosper, Élodie Ricourt-Zeiher et Antoine Boucomont. Ce que j’aime chez toutes ces fortes personnalités, c’est qu’elles n’hésitent pas à salir leurs chaussures pour aller sur le terrain à la rencontre des producteurs. C’est une exigence que je partage avec eux. »
À la tête des cuisines des plus grands restaurants et palaces parisiens (Plaza Athénée, Les Élysées du Vernet puis Le Cinq à l’hôtel George-V jusqu’en 2014), le meilleur ouvrier de France conservera l’habitude de s’approvisionner à Rungis. « Beaucoup de marchandises des producteurs et artisans avec lesquels je travaille transitent par le MIN, explique Éric Briffard, [citant pêle-mêle] les agrumes de Michel et Bénédicte Bachès dans les Pyrénées-Orientales », Jean-Marie Caillot, « roi de l’échalote rose en Champagne », Robert Duperier, artisan conserveur de foie gras dans les Landes, Jean-Claude Miéral « volailler d’exception en Bresse » ou Sylvain Huchette, éleveur d’ormeaux en Bretagne. « Nous partageons une vocation commune avec les professionnels de Rungis : celle de préserver et consolider les filières de qualité qui font le patrimoine culinaire de notre pays », insiste Éric Briffard qui s’enorgueillit, par exemple, d’avoir « fait découvrir à la France le beurre de Jean-Yves Bordier ».
Bientôt une charte de la saisonnalité
C’est la nécessité de défendre les producteurs et artisans de qualité qui a convaincu le chef de rejoindre le collège culinaire de France, à la demande d’Alain Ducasse et de Joël Robuchon. « La création de la démarche Restaurant et producteur artisan de qualité m’a intéressé, car elle s’emploie à animer concrètement les relations entre des producteurs et artisans de qualité et des restaurants de toutes catégories. » Au sein de l’association, le directeur exécutif du Cordon bleu œuvre au lancement prochain d’une « charte de la saisonnalité » destinée aux écoles hôtelières qu’André Cointreau, patron de l’ensemble du réseau Cordon bleu, signera en juin prochain. « Cette charte a vocation à inciter les écoles hôtelières à sensibiliser les futurs cuisiniers et les managers de salle à la saisonnalité des produits et à leur faire prendre conscience que le producteur est le mieux placé pour savoir quand les produits de qualité optimale sont disponibles. »
Éric Briffard a mis un point d’honneur à commencer par appliquer cette charte dans son établissement. « J’ai dû adapter mes cours, explique-t-il. Par exemple, j’ai fait évoluer la recette de la blanquette de veau enseignée à Cordon bleu selon la saison. On la fera au printemps avec des petits pois, des fèves fraîches, des asperges, les premières girolles, puis, en automne, avec des chanterelles et des légumes racines. Ça permet de respecter le cycle des produits, mais aussi de remettre de la vie dans les grands classiques. Mon métier m’intéresse quand il bouge et qu’il a du sens. »
Bruno Carlhian
