Jean Chauvel n’a pas tardé à retrouver ses marques sur les lieux de son enfance, à Boulogne-Billancourt. Un an à peine après l’ouverture de la table gastronomique attenante à sa « brasserie » BBB de Boulogne-Billancourt, l’ancien chef étoilé des Magnolias, au Perreux-sur Marne (94), s’est vu accorder à nouveau un macaron par le Guide Michelin, début 2018. « C’est bien pour le personnel, pour la ville, pour la patronne et aussi pour le banquier, que ça a rassuré », s’amuse Jean Chauvel, 50 ans tout rond. « Ça nous a aidés, mais je ne souhaite qu’une étoile. Je veux garder un champ de liberté. »
La distinction consacre le travail d’un chef à l’inspiration foisonnante. Aux Magnolias, le cuisinier d’origine bretonne s’était fait remarquer par des créations époustouflantes, comme l’arrosoir apportant la pluie sur des escargots baveux, le sandwich jambon-beurre à boire, le Paris-Brest liquide ou le macaron à la moutarde de Charroux. « Quand j’ai créé les Magnolias, je me suis dit que je ne ferais plus jamais la cuisine des autres, mais que je créerais un peu tous les jours, à ma façon », explique le chef breton, qui a notamment appris les techniques de la cuisine moléculaire auprès d’Hervé This.
Une inventivité qu’il déploie toujours à sa table de Boulogne-Billancourt, même s’il reconnaît s’être un peu assagi. « Je fais attention à ce que les gens aient des repères dans leur assiette. Mais autour, j’ajoute toujours des plus. » À sa table gastronomique, il n’y a donc pas de carte, tout étant fonction des arrivages et de l’inspiration du chef. « J’ai horreur des habitudes. J’ai conscience que ce n’est pas facile pour mes équipes d’avoir à se remettre en cause en permanence, mais c’est comme cela que je conçois la cuisine. » Son inspiration, le chef breton reconnaît la puiser en partie lors des visites hebdomadaires qu’il fait à Rungis. « Même après vingt ans de fréquentation, je continue à découvrir de nouveaux fournisseurs », s’étonne le chef. « Le fait de voir, de toucher et de sentir des produits fait vraiment la différence. Cela permet d’introduire des produits auquel on ne pensait pas ».
Mais c’est aussi l’échange avec d’autres professionnels que Jean Chauvel apprécie. « On trouve à Rungis des gens qui savent expliquer les produits, comment ils se préparent, se cuisent, et avec lesquels peuvent s’instaurer des relations de confiance. » Le breton aime « le côté poignée de main et parole d’hommes ». « Les gens avec lesquels je travaille, je sais que s’ils me font plus cher, c’est qu’ils n’ont pas choix, et que quand c’est moins cher, ils m’en feront bénéficier. Je suis sûr aussi que s’il y a une caisse de produits un peu spéciaux, ils penseront à moi ou qu’ils n’hésiteront pas à me dépanner en cas de souci. C’est une grande tranquillité d’esprit pour un chef ».
Poignée de main et parole d’homme
À la viande, par exemple, Jean Chauvel travaille de longue date avec BBV, qui lui fournit en particulier l’agneau Label rouge Lou Paillol, produit en Occitanie. « Un vendeur, David, est un peu devenu mon coach. Il m’a appris à sélectionner les agneaux,
qu’il sait trier comme personne. Sur les 20 ou 25 selles que je travaille par semaine en saison, c’est bien le diable s’il y en a une tous les six mois qui est moyenne ». Ce fournisseur, « un vrai commerçant », sait aussi lui trouver un beau carré de veau ou du cochon de lait s’il en a besoin.
Lors de ses nuits rungissoises, Jean Chauvel prend le temps de faire un tour très large du marché : aux fruits et légumes, bien sûr, où il fréquente les maisons Montmoreau, Paris Select ou Butet, mais aussi au Carreau des producteurs, où il a ses habitudes. « Je travaille beaucoup avec Jérôme Armand, aux Trois Arpents, auquelj’ai encore pris des magnifiques petits pois hier ». Jean Chauvel ne manque pas non plus de rendre visite à Florence Hardy, son ancienne voisine dans le Val-de-Marne. « Je prends beaucoup d’épicerie chez Maison Medelys, les vinaigres, sucres, vinaigres, condiments, notamment asiatiques, et des vins, car ils ont un très bon sommelier, Jean-François Marteil ».
Une fois revenu en cuisine, « sa cour de récréation », Jean Chauvel et sa brigade entament la transformation des produits. Les petits pois de Jérôme Armand constitueront la base d’une soupe fraîche parfumée à la menthe et à l’orgeat, sur laquelle va bientôt reposer un foie gras confit au shiso vert, avec un petit écrasé de haricot noir. Les selles d’agneau Lou Paillol partiront au four, entières, pour un séjour de trois heures à basse température. « C’est le secret pour en préserver tout le jus et les arômes », commente Jean Chauvel. Elles seront servies avec des laitues asperges que lui réserve Arnaud Lasserre, un maraîcher installé aux confins de la Nièvre et du Cher.
Jean Chauvel n’a pas son pareil pour trouver des produits différents. « Je n’ai plus du tout la même approche en matière d’achat que du temps des palaces, explique-t-il. À l’époque, je commandais, quelle que soit la période, des quantités de bars calibrés. Aujourd’hui, je suis conscient que Dame Nature est fatiguée et que l’on ne peut pas exiger d’elle l’impossible. Alors, j’ai dit à mon fournisseur de produits de la mer que j’avais régulièrement besoin de quatre ou cinq caisses de poisson, qu’il m’y mettrait ce qu’il voulait tant ce que ce serait beau. Mieux vaut un maquereau qui sort de l’eau qu’un bar qui a été péché il y a trois jours en Espagne. »
Ce matin-là, il a découvert dans son colis un maigre de ligne. « Un poisson extraordinaire, meilleur même que du bar, que je n’aurais pas pensé à acheter. Il faut pour cela avoir une belle confiance avec son fournisseur ». Ce qu’il va en faire ? Mystère. S’il s’est assagi, Jean Chauvel reste le maître de l’inattendu.
Bruno Carlhian

À Boulogne, un retour aux sources
« En 2014, j’ai eu l’opportunité de racheter le fonds de commerce que possédaient mes parents à Boulogne-Billancourt, puis de l’étendre pour ouvrir le restaurant, explique le Breton d’origine. C’est émouvant de se retrouver à cuisiner là où je l’ai fait enfant, avec ma mère », explique-t-il. L’implantation à Boulogne-Billancourt constitue la dernière étape d’un parcours démarré dans les plus grandes maisons pendant une dizaine d’années (Taillevent, Bernard Loiseau, la Tour d’argent, la Table d’Anvers ou encore le Crillon) et qui s’est poursuivi dans son premier restaurant, Les Magnolias, au Perreux-sur-Marne, ouvert en 1998. Le « El Bulli » de banlieue, comme on l’a surnommé, connaît des débuts difficiles avant d’imposer son style pour conquérir une clientèle d’aficionados et, déjà, la faveur du Michelin. Les uns et les autres apprécient sa cuisine d’une grande inventivité, mais sans froideur.
Jean Chauvel assure cependant que son affaire ne serait rien sans l’aide quotidienne de Nelly, son épouse auvergnate, qui gère la gestion, la comptabilité et le relationnel. « C’est la pièce maîtresse de la maison. Nous, on ne fait que la cuisine, elle, elle fait tout le reste. »

Restaurant Jean Chauvel (1*)
33, avenue du Général-Leclerc
92100 Boulogne-Billancourt
Commande : jeanchauvel.fr
Tél. : 01 55 60 79 95
Le 3B Brasserie : ouvert du mardi au vendredi, midi et soir, et samedi soir. Le Restaurant 1* au Guide Michelin : ouvert du mardi au vendredi midi et soir et samedi soir.