C’est avec un plaisir teinté d’émotion que Jordan Goube a retrouvé les visages familiers de ses clients, même partiellement dissimulés sous des masques. « Ça fait plaisir de constater que les gens sont restés fidèles à leurs commerçants », sourit ce poissonnier installé sur les marchés de Neuilly-sur-Seine et de Puteaux. En ce samedi 18 mai, premier week-end de réouverture des commerces de plein air, la queue s’allonge peu à peu devant son emplacement de la Halle des Bergères à Puteaux, dont l’enseigne affiche encore le nom de son oncle à qui il a repris l’affaire. « On avait prévu de la changer, et puis, il y a cette épidémie qui est arrivée…»
Ces deux mois de turbulences, Jordan Goube les a traversés avec la même énergie qui lui a permis de décrocher le titre de MOF. « La première semaine a été la plus compliquée, car nous ne savions pas du tout où nous allions », se souvient le jeune artisan. « Nous n’avions plus de points de vente et l’offre a dégringolé, nombre de pêcheurs ayant cessé de sortir en mer depuis la fermeture des restaurants. » Mais très vite, la petite entreprise fait front, avec le soutien apprécié de la mairie de Puteaux. « Entre le 10 avril et la mi-mai, la municipalité nous a autorisés à proposer tous les vendredis un service de “drive piéton” sur le marché de Chantecoq et donné de la visibilité sur son site internet aux commerçants poursuivant leur activité », se félicite Jordan Goube. Avec son épouse et une partie de son équipe (l’autre étant placée en chômage partiel), il développe également la livraison de poissons, préparés au laboratoire de l’entreprise, à Herblay (Val d’Oise).
La livraison, un service qui pourrait durer
« J’avais mis au point un formulaire sur notre site et nos réseaux sociaux de manière à simplifier les commandes », raconte le poissonnier. Le service rencontre un franc succès, le nombre de livraisons passant de quelques-unes chaque semaine à plus d’une soixantaine par jour ! « Cela nous a permis de mesurer que la logistique était un métier en soi et que nous n’étions pas équipés pour, avec mon camion de 7 m de long ! Nous avons pu néanmoins maintenir une activité, avec une gamme un peu réduite et moins de préparation. » L’expérience a aussi donné des idées au chef d’entreprise. « On constate sur beaucoup de marchés un déséquilibre croissant entre l’activité du week-end, qui fonctionne bien, et celle de la semaine, parfois difficile. Il nous faudra peut-être considérer à terme la possibilité d’assurer des livraisons aux clients fidèles un soir de semaine, par exemple le mercredi, pour les gens qui ne se déplacent plus sur les marchés. »
Si les commerces de plein air ont rouvert, le marché des produits de la mer restait encore perturbé en cette fin du mois de mai. « Certains poissons sont encore rares et il faut faire avec ce qui est disponible. » Jordan Goube a pu cependant toujours s’approvisionner sur le marché de Rungis. « Contrairement à ce que j’ai entendu, il y a toujours eu de la marchandise et elle n’a pas été jetée », insiste ce professionnel exigeant qui s’approvisionne « à 95 % » au pavillon de la marée.
Bruno Carlhian
INFOS CLÉS
Poissonnerie Goube
5, rue Windsor
92 200 Neuilly-sur-Seine
Marché de Neuilly
Mercredi, vendredi et dimanche matin
Marché Puteaux Bergères
Mercredi, samedi
Marché Puteaux Chantecoq
Jeudi, dimanche
• sarlgoube@gmail.com
• http://www.poissonnerie-goube.fr
BIO
Jordan Goube est un professionnel précoce. Sensibilisé au métier par les extras réalisés chez son oncle poissonnier, Jordan Goube prépare un bac pro au CFA poissonnerie de Rungis. Meilleur apprenti de France en 2012, il obtient le bac l’année suivante et s’installe ensuite à son compte avec deux points de vente sur des marchés à Puteaux et à Neuilly- sur-Seine. À 27 ans, il est le seul candidat à avoir obtenu le prestigieux titre de Meilleur ouvrier de France lors du concours 2018-2019. À moins de 30 ans (il les aura l’année prochaine), le jeune artisan est déjà une référence dans son métier.
DIXIT
« Quand la pêche s’est faite rare, les poissonniers comme moi ont été bien contents de pouvoir compter sur des produits d’élevage de qualité pour suppléer le manque de produits sauvages. »