Le jeune chef Justin Schmitt, 34 ans, est désormais en pleine lumière. Après neuf années passées dans le groupe du Crillon – comme sous-chef de Christopher Hache, puis à la tête de la Brasserie d’Aumont –, Justin Schmitt dirige depuis avril dernier les cuisines d’une institution de la gastronomie parisienne, le Laurent. « Mon arrivée s’est jouée en moins d’un mois, entre mars et avril. J’ai beaucoup appris au Crillon, notamment auprès de Christopher, parti entre-temps monter sa propre affaire. Mais je recherchais une place de chef exécutif, avec plus de liberté pour m’exprimer, sans les aspects procéduriers propres aux grands palaces. »
Arrivé avec une partie de sa brigade, le chef doit vite trouver ses marques, sans passage de témoin avec le chef précédent, Laurent Pégouret, parti reprendre le restaurant Le Sergent Recruteur. « J’ai dû tout mener de front, assurer les services, renouveler la carte ou encore réorganiser les cuisines. » Le nouveau responsable tenait en effet à disposer d’un outil à sa main. « Tandis que mon prédécesseur travaillait au passe dans un rôle “d’aboyeur”, j’ai souhaité pour ma part pouvoir goûter et dresser moi-même les assiettes, ce que je considère comme mon rôle. Cela nous a demandé d’aménager un nouveau passe avec des lampes chauffantes. »
Sous l’œil des habitués
Le jeune Parisien d’origine alsacienne est bien conscient de la nécessité de ne pas trop bousculer les mœurs de cette maison aux trois siècles d’histoire. « Il y a au Laurent une importante clientèle d’habitués composée d’hommes d’affaires, de politiques ou de galeristes, qui viennent jusqu’à trois ou quatre fois par semaine. Il a fallu me faire accepter pour pouvoir modifier les choses par petites touches. » Certains plats, à la carte depuis plusieurs années, voire décennies, paraissent en effet indéboulonnables, comme « l’araignée de mer dans ses sucs
en gelée, crème de fenouil » ou le « homard entier en salade, préparé à table ».
Un mois après son arrivée, le nouveau chef a commencé à apporter sa touche. Adepte d’une cuisine classique avec une touche de modernité, « lisible, fraîche et colorée », le cuisinier n’entend jamais mélanger plus de trois ou quatre saveurs. « J’ai commencé par introduire des plats testés au Crillon en les dressant différemment ou en accentuant certains traits, comme les “poulpes rôtis au piment de la Vera, carottes en différentes textures, sauce spéculoos” ou la “fraîcheur de tomates perlées à l’huile de basilic, pastèque au yuzu, meringue citronnée”. J’en ai aussi créé d’autres, comme “le blanc-manger de langoustines, caviar impérial de Sologne condimenté et coulis de laitue” que j’avais en tête depuis un moment. » L’accueil des clients, comme les papiers des critiques, sont très favorables, ce qui, bien sûr, ravit le premier concerné.
En matière d’approvisionnement aussi, le chef a apporté quelques changements. « J’ai bien sûr conservé certains fournisseurs, mais j’en ai aussi introduit d’autres », précise-t-il. Le Laurent, qui se ravitaillait déjà auprès de grossistes rungissois bien connus comme les Vergers Saint-Eustache, Armara, ou encore André Gilles, est aujourd’hui desservi par l’intraitable sélectionneur de viande Huguenin et, de plus en plus régulièrement, par la maison Mandar.
Le chef a appris à mieux connaître ce spécialiste des fruits et légumes et des herbes aromatiques en compagnie de Christopher Hache lors d’un séjour à l’Académie de cuisine que le grossiste a créée à Rungis (lire RA de mai 2018). Fin 2016, alors que le palace s’apprêtait à rouvrir après quatre ans de travaux, les deux compères ont en effet été invités par le patron David Abramczyk à préparer leur retour et à concevoir leur carte. « Ça a été une période très instructive et en même temps très conviviale, se souvient Justin Schmitt. Quand on avait besoin d’un produit, il nous suffisait d’aller le chercher sur le carreau. Tout le travail se faisait en direct, un vrai plaisir ! »
Depuis, Justin Schmitt a gardé des liens étroits avec ce partenaire de la restauration haut de gamme. « Le groupe, en plein développement, s’est rapproché des grandes tables parisiennes », précise Justin Schmitt. « Avec quelques autres chefs emmenés par Thomas Boullault (L’ Arôme), nous avons été invités au début de l’été dans leur exploitation à Douchy, dans le Loiret. Nous avons pu nous y entretenir avec l’expert Joël Thiébault, qui collabore désormais avec Mandar, afin qu’il connaisse nos besoins. C’est une relation très professionnelle, que j’apprécie beaucoup », précise le chef qui prend chez Mandar ses légumes d’hiver, herbes aromatiques, mais aussi les produits phares de Joël Thiébault que sont les tomates, aubergines, petits navets, betteraves, petits pois ou encore fleurs de courgette.
Apporter plus de technique et de complexité
Fort de la confiance du patron Isidore Partouche, Justin Schmitt savoure le plaisir de pouvoir laisser libre cours à sa créativité. Sa formation à l’école des plus grandes tables lui est évidemment bien utile, notamment l’influence de deux grands chefs français. « Je citerais d’abord Alain Senderens, auprès duquel j’ai travaillé à l’époque de Lucas Carton, avant qu’il ne rende ses trois étoiles, et Éric Fréchon, avec qui j’ai appris la rigueur et le respect du produit. » Sans oublier le rôle de son « frère » Christopher Hache, « qui m’a toujours soutenu, mis en avant et préparé à mon poste de chef ».
Pointilleux mais toujours humble, Justin Schmitt prépare ses plats comme un artisan d’art. Dessinateur, le cuisinier adore aussi travailler le bronze et le cuivre, et fabriquer luminaires et bougeoirs. « Cela me vient d’un oncle artiste peintre et d’un grand-père qui était l’homme à tout faire de son village et m’a initié aux techniques du potager, mais aussi à la confection d’objets dans son atelier. » L’analogie entre la création artistique et la cuisine est évidente. « Si le peintre a une palette dans la main, le cuisinier en a une dans la tête, composée des goûts et des couleurs qu’il connaît. Je peux assembler des goûts dans mon esprit, jusqu’à en ressentir les associations sur la langue. »
Le nouveau chef a d’ores et déjà plein d’idées pour les prochaines cartes, qu’il compte renouveler « tous les deux mois et demi environ ». « Je vais la modifier à la rentrée en y apportant plus de technique et de complexité, et en proposant des associations plus osées », annonce Justin Schmitt. Il salive déjà à l’idée de travailler le gibier, « l’une de ses spécialités ». Tourtes chasseur et lièvre à la royale sont attendus de pied ferme par les gastronomes du Laurent. Bruno Carlhian
Prestige et discrétion
D’abord pavillon de chasse de Louis XIV, puis guinguette sous la Révolution, la bâtisse qui abrite le Laurent a été restaurée en 1842 par l’architecte allemand Jacques-Ignace Hittorff, alors chargé par le roi Louis-Philippe d’aménager les Champs-Élysées. Le restaurant, discrètement niché à quelques encablures de la plus célèbre avenue du monde, a régalé des générations de gastronomes et de célébrités, en tête desquelles le peintre Salvador Dali. Le Laurent, doté d’une étoile au Michelin, est particulièrement couru pour sa paisible terrasse à l’abri des regards et pour ses cinq salons de 12 à 60 couverts, qui accueillent repas d’affaires et événements privés. Justin Schmitt est arrivé aux commandes avec six personnes de sa brigade précédente (sur un effectif total de 17 personnes). Il est secondé par Piotr Glodkowski et a promu comme cheffe pâtissière Camille Mansouri, « une jeune en devenir ». La direction de la salle est assurée par Christian Sochon, trente ans de maison, qui connaît les habitudes de chaque client.
Restaurant Laurent
41, avenue Gabriel 75008 Paris
www.le-laurent.com
01 42 25 00 39
info@le-laurent.com
Fermé les dimanches et jours fériés