Installé à quelques encablures de la tour Montparnasse, l’Opportun est l’un des plus anciens bouchons lyonnais de la capitale. Créé en 1994, le restaurant est le lien de rencontre et d’échange que son créateur Serge Alzérat, originaire de Roanne, aurait aimé trouver à Paris. Sa fille Morgane, qui raconte être née et avoir grandi dans l’établissement, a pris la suite de son père en 2016, conservant l’esprit originel du lieu et la carte traditionnelle: tabliers de sapeur, andouillettes, quenelles de brochet sauce Nantua… Une véritable prouesse pour cette jeune cheffe, âgée de 23 ans à l’époque. « Après mes études en communication, j’ai senti que c’était en restauration que j’allais m’épanouir, c’est pourquoi je suis passée par l’école Ferrandi afin d’acquérir une légitimité avant d’arriver à l’Opportun. La cuisine ne s’improvise pas, et la gastronomie lyonnaise n’est pas, à première vue, un sommet de féminité. Je suis arrivée dans un monde d’hommes, et ça s’est très bien passé. » La transmission assurée par la jeune cheffe lui a valu un trophée Pudlo 2020 parrainé par le Marché international de Rungis.
Une transmission justement récompensée
L’Opportun, qui comptait à ses débuts une vingtaine de places, où s’entassaient joyeusement amis, habitués et habitants du quartier a doublé sa surface en 2004 pour atteindre 100 m2, soit une quarantaine de couverts. L’été, une petite terrasse de 10 couverts vient encore augmenter la capacité d’accueil. « Le midi, c’est plus corporate, avec la tour Montparnasse et ses bureaux, nous recevons plutôt les salariés alentour », reprend Morgane Alzérat. Le soir et le week-end, l’endroit est pris d’assaut par les amoureux de la cuisine lyonnaise qui viennent profiter de cette enclave authentique et généreuse. « Nous avons également pas mal de touristes japonais, amoureux de la culture française et curieux de découvrir une cuisine traditionnelle typique. » La jeune cheffe, consciente de la difficulté de s’imposer après plus de deux décennies de règne de son père, un personnage devenu emblématique dans le quartier, a respecté une période d’observation, puis a pratiqué quelques minces évolutions, « histoire d’apporter ma touche », comme une modernisation du menu et du graphisme des cartes de visite, « tout en conservant les plats qui font la renommée de l’endroit ». Serge Alzérat, lui, est toujours là, et continue de participer à la bonne marche du restaurant.
Les courses, c’est Rungis
Pour ses approvisionnements, la famille Alzérat se fournit à 80 % au marché de Rungis. « Nous allons une à deux fois par semaine chez nos fournisseurs, Masse, Godard, le Delas, Les Boucheries nivernaises, explique Morgane Alzérat. Nous avons une belle réputation pour la viande, côtes et onglets de bœuf, ainsi que pour la charcuterie et la triperie. » Et pas question de commander à distance, un produit, ça se choisit. « C’est mieux de voir, de choisir les produits. Rien ne remplace le contact avec le vendeur, qui conseille, suggère et propose des nouveautés. » Sinon, l’Opportun se fournit en direct chez Bobosse, notamment pour ses andouillettes et au marché du boulevard Edgar-Quinet pour les fruits et légumes. « Notre primeur s’installe juste en face du restaurant. Aller faire le marché du coin, pour nous, c’est aussi entretenir les relations de voisinage, le quartier est comme un petit village, tout le monde se connaît. »
Tout aurait pu durer et continuer de prospérer pour les Alzérat si en ce samedi 14 mars, une nouvelle aussi inattendue que terrible n’était pas tombée quelques heures seulement avant son entrée en vigueur : la fermeture pour une durée indéterminée de tous les restaurants et bars de l’Hexagone. « Ça a été le coup de grâce, se souvient Morgane. Il y a eu une accumulation de mauvaises périodes, les Gilets jaunes qui paralysaient le quartier tous les samedis, les grèves qui empêchaient les salariés de venir au bureau et chez nous pour le déjeuner, et enfin cette fermeture inattendue ! Heureusement que nous ne faisons pas d’achat le samedi, mais nous avons quand même dû jeter plusieurs milliers d’euros de marchandises après en avoir distribué un maximum auprès de nos amis, voisins, clients et associations. Une véritable catastrophe. » Ensuite il a fallu réaliser, s’organiser… « Je tiens à remercier nos partenaires et fournisseurs qui ont été très compréhensifs en matière de report de mensualités, ça nous a rassurés et permis de souffler un peu. »
Nouveau monde, nouvelle activité
Depuis mardi 12 mai, date du début du déconfinement en France après huit semaines de claustration, le restaurant l’Opportun a repris un semblant de vie et propose désormais des plats à emporter. « Il s’agit d’une carte réduite, explique la cheffe Morgane Alzérat, nos plats signature, pavé au poivre, andouillette, tête de veau, blanquette… Des recettes que les gens ne font pas forcément chez eux et qu’ils retrouvent avec plaisir. » Depuis mercredi, les ventes commencent à décoller, le lien avec les habitués se renoue, bien que le quartier, habituellement vivant et bondé, reste désespérément vide. Dans ce quartier de théâtres et de cinéma, les Parisiens se déconfinent progressivement, et ne ressortent pas encore tant que cela. L’Opportun compte sur le bouche-à-oreille.
Côté effectif, Morgane travaille seule en cuisine avec un commis et les commandes sont prises par un serveur, qui, à l’occasion, sert également des petits café aux clients. « Nous n’avions jamais fait de vente à emporter, mais finalement, ce n’est pas si compliqué, constate Morgane Alzérat. Je pense que nous allons continuer d’en proposer après cette crise, c’est évident qu’il y a une demande à satisfaire. » Quant à la réouverture, « nous sommes en pleine incertitude pour le moment. Tant que nous n’aurons pas d’informations fiables pour nous rassurer, tout est envisageable. Si les mesures barrières évoquées sont effectivement imposées, nous ne pourrons pas continuer avec 10 à 20 % de notre capacité clients. Sans compter que l’endroit y perdra énormément en ambiance, authenticité, plaisir… » La restauratrice attend donc des précisions pour envisager l’avenir, et doit aussi prendre en compte d’autres paramètres. « Cet été, Paris sera vide, les gens vont se précipiter pour changer d’air. Si nous pouvons, nous ouvrirons en juin pour ”prendre la température”, mais nous fermerons certainement en août pour une réouverture en septembre, si les capacités d’accueil reviennent à un semblant de normale. Ça c’est le scénario optimiste. »
Caroline Maréchal
Le royaume du beaujolais
De par ses origines lyonnaises, l’Opportun est naturellement versé dans les crus du Beaujolais. Les bonnes années, le bistrot en a écoulé jusqu’à 6 000 bouteilles. La carte propose régulièrement de nouvelles trouvailles au grand bonheur des habitués qui ont une confiance aveugle dans les choix de la famille Alzérat, laquelle est réputée pour son offre pléthorique et sans fausse note. Serge Alzérat s’est vu attribuer en 1996 la coupe du Meilleur Pot, décernée chaque année par l’académie Rabelais. C’est aussi un fidèle du Devoir parisien des Compagnons du Beaujolais.