Pour se faire une idée du degré d’exigence de Pascal Barbot, rien ne vaut de l’accompagner lors de sa visite hebdomadaire à Rungis. « J’y viens depuis que j’ai ouvert l’Astrance avec mon associé Christophe Rohat en 2000, raconte le chef triplement étoilé depuis 2007. C’est un autre chef, Jean Chauvel, aujourd’hui installé à Boulogne-Billancourt, qui m’y a emmené la première fois. »
Au début, le cuisinier passé par l’Arpège d’Alain Passard venait deux fois par semaine dans tous les secteurs, « en commençant par la marée. À l’époque, c’était un choix de chef, mais aussi de chef d’entreprise qui avait besoin d’optimiser ses coûts, explique Pascal Barbot. Aujourd’hui, j’y vais pour trouver des produits spécifiques de saison, des fruits exotiques ou de l’épicerie, mais aussi pour mieux comprendre les particularités de la saison en échangeant avec les producteurs et les grossistes. » En cette mi-septembre, les travaux pratiques commencent à 5 h 30 devant l’étalage de l’EARL Chevet au carreau des producteurs. Pascal Barbot y déniche des feuilles de figuier avant de poursuivre sa route aux fruits et légumes. « Avec la sécheresse, on a encore beaucoup de mal à trouver des cèpes », déplore-t-il. Didier Ioli, de Paris Select, va lui en trouver ce jour-là un beau colis, en provenance des Vosges où il a bien voulu pleuvoir il y a quelques jours. L’œil du chef s’arrête alors devant les premières noix fraîches, « un produit qui peut être merveilleux ». Pascal Barbot prend le temps de goûter chaque origine, épluchant consciencieusement les cerneaux avant de les croquer. « Déjà trop sèches, celles-là. Oh, celles-ci sont bien ! » Le choix est fait, même si c’était la plus chère. « Je m’interdis d’acheter quelque chose qui n’est pas très bon, s’excuse-t-il presque. Mes fournisseurs le savent et n’essaient pas de me faire passer des vessies pour des lanternes ! »
L’exigeant visiteur poursuit sa tournée en quête de champignons de Paris. « C’est un des rares produits que j’achète toute l’année car c’est un de mes plats signature (le mille-feuille foie gras champignon de Paris, Ndlr). Or, il y a quelques soucis qualitatifs en ce moment pour des problèmes de compost, m’a-t-on expliqué. » Après quelques recherches infructueuses, le chef trouvera son bonheur chez Butet. « Pieds non coupés, blancs ou crème, de calibre moyen, et fermes comme des cailloux, commente-t-il en expert. Si je n’avais pas trouvé la qualité qui me convenait, nous aurions basculé sur un autre plat. » Une bonne partie de ses connaissances, Pascal Barbot reconnaît les devoir à la fréquentation de Rungis. « Pendant une période, je proposais des lamelles d’avocat et de chair de crabe épicé, raconte-t-il. J’avais besoin d’acheter chaque jour un colis d’avocat à parfaite maturité. Autant vous dire que je suis vite devenu incollable sur les origines, le calendrier de production, les variétés, et même des avocats fécondés et non fécondés ! »
Haute couture et sur mesure
On l’aura compris, l’approvisionnement de l’Astrance correspond aux besoins d’une cuisine faite sur mesure. Le restaurant présente la double particularité de ne servir que 28 couverts à chaque service et de proposer exclusivement des menus du jour. « Il m’arrive même de répondre à des demandes particulières, sourit-il. Des clients m’avaient demandé de leur signaler quand j’aurai les premières grouses. Comme je les reçois jeudi et qu’il me faut les faire maturer une petite semaine, je leur ai répondu qu’ils pourraient venir vendredi de la semaine prochaine. Ça fait plaisir à ces clients de les déguster, et à moi de les cuisiner ! » L’exiguïté des cuisines du restaurant contraint de toute façon le chef à disposer de très peu de stocks. « Je sais à tout moment ce qu’il y a dans les réfrigérateurs, assure-t-il. Je peux vous dire qu’on a du thon blanc, du rouget, du maquereau et de la légine côté poisson, et comme viandes de la poulette, du cochon et trois sortes de canards, du caneton croisé, de Challans et les premiers colverts. C’est suffisant pour élaborer la quinzaine de plats que nous faisons chaque jour, mais cela réclame de pouvoir s’appuyer sur des fournisseurs réactifs ! »
En presque vingt-cinq ans d’activité, le chef a construit un réseau de professionnels auprès duquel il vient puiser le meilleur des terroirs français et d’ailleurs. Il dit travailler avec plus d’une centaine de producteurs en France (dont certains le livrent à Rungis), notamment la ferme de Culoiseau, dans l’Orne, pour ses poulardes, et Virginie Gouchard, dans l’Eure-et-Loir, pour ses fleurs comestibles en passant par Yannick Colombier, à Moissac, pour ses fruits. « Je travaille également avec de grands artisans, comme la poissonnerie du Dôme pour les poissons, Hugo Desnoyers pour la boucherie, Franck Dour pour les primeurs, sans oublier évidemment les professionnels de Rungis », ajoute Pascal Barbot.
Ce fidèle du marché a noué d’étroites relations avec Fenès, Paris Select, Montmoreau, Butet, Luky Fruits pour les fruits et légumes, Desailly pour les produits laitiers, Maison Médelys, ou Huguenin pour les produits carnés. Tiens, justement, c’est Jean-Claude Huguenin qui appelle Pascal Barbot alors que nous sommes de retour à son restaurant. « Pour demain, vous avez un onglet exceptionnel ? De l’Angus ? Pour quatre personnes ? Très bien je prends ! » Pascal Barbot raccroche. « J’avais dit hier à Jean-Claude que j’avais des Japonais qui ne mangeaient pas de volail-le. Il a pris le temps de me rappeler pour 500 grammes de viande. C’est cela le professionnalisme ! »
Bruno Carlhian
