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Patrick Fracheboud

La Bonne Franquette avant le grand silence

Comme tous les restaurants de France et de la République de Montmartre, la Bonne Franquette a dû fermer provisoirement ses portes le 15 mars dernier. Les journées et soirées qui succéderont à sa réouverture n’en seront que plus éclatantes.

Patrick Fracheboud 3« Ce que j’aime le plus dans ce métier, c’est servir quelques amis à une table, comme aujourd’hui. Dans ces cas-là, je pourrais même me passer de clients ! » C’était un certain vendredi 13 mars. Les salles de La Bonne Franquette s’étaient déjà vidées de leur affluence de touristes et d’habitués. Au moment où il lance cette boutade, le propriétaire Patrick Fracheboud est encore loin de s’imaginer que le lendemain soir, le Premier ministre Édouard Philippe exaucerait cruellement son vœu en annonçant la fermeture des bars, restaurants et autres commerces « non indispensables ».
Ce midi de sombre augure, l’ambiance était encore à la bonne humeur, fidèle à la devise de l’établissement : « Aimer, manger, boire et chanter. » Autour de l’unique table occupée parmi 200 places vides, des connaissances du jour ou de longue date se retrouvent autour de Patrick et de son fils Luc, auquel le premier a transmis les commandes en 2014. Une équipe de production de documentaires, comme il en vient régulièrement filmer ce haut lieu de la Butte, s’est assise entre deux prises de vues. À ses côtés, Lucien Longueville, « fils et petit-fils de ferronniers », s’enquiert de sa participation à la véranda que les Fracheboud ont pour projet d’élever sur la jolie terrasse longeant l’établissement du côté de la rue des Saules.
Anticipant notre présence ce jour-là, le propriétaire de La Bonne Franquette a aussi convié son fidèle fournisseur de viande, René Pinel. Un fidèle du Marché de Rungis que celui-là. Ancien de Fleury Michon où il a débuté aux côtés d’une figure de la viande du Marché, Pierre Archenault, René Pinel a monté à Stains, à deux pas du Stade de France, une belle affaire de découpe et de distribution de viande spécialisée dans la restauration. « Nous nous approvisionnons beaucoup auprès de l’unité de Bigard à Rungis, qui nous fournit notamment des pièces de bœuf maturées », explique le boucher, dont l’entreprise d’une trentaine de salariés a depuis été très sévèrement impactée par la fermeture des restaurants. « Dans notre atelier de 1 200 m2, nous travaillons essentiellement pour des bistrots de Paris et de banlieue, mais aussi des brasseries ou des traiteurs. »
La viande française de René Pinel trouve naturellement sa place sur la carte de La Bonne Franquette, qui fait la part belle aux spécialités traditionnelles. Le chef Richard Damika la propose à la carte sous forme de « filet de bœuf écrasé de pommes de terre », « rumsteck à la plancha » ou encore « estouffade de bœuf au beaujolais, carottes au miel ». « Nous avons vocation à être les ambassadeurs de nos terroirs auprès de la clientèle du monde entier qui vient ici », assure Patrick Fracheboud. Une mission que remplit fidèlement l’ancien attaché de recherches à l’université Paris-Dauphine et au Parlement européen depuis qu’il a repris les commandes de l’endroit, un beau jour de 1979.
Passionné de beaux produits et de vins fins, le Savoyard a en effet toujours mis un point d’honneur à maintenir une grande rigueur en cuisine, à mille lieues des adresses attrape-touristes. Une exigence qu’il a transmise à son fils Luc et qui fait le succès de l’établissement auprès des groupes de gourmets français ou étrangers qui se succèdent ici depuis des lustres dans des salles aux différentes ambiances : bistrot, cabaret, guinguette, jardin et terrasse.

Un annuaire du bien manger et du bien boire

Patrick FracheboudLa liste des fournisseurs de l’établissement est un annuaire du bien manger à la française. Côté fruits et légumes, La Bonne Franquette s’en remet de longue date à Pomona Terre Azur, « parce que le service y est toujours suivi, sans mauvaise surprise », note Patrick Fracheboud. Côté charcuterie, des pointures se disputent les honneurs de la carte : le saucisson pistaché de l’indémodable Lyonnaise Colette Sibilia, les terrines et andouillettes 5A de Chedeville, le boudin noir au piment d’Espelette de Christian Parra. Le traiteur de la mer est également servi par de très belles maisons : Bartouilh pour ses saumons fumés et tarama, JC David avec ses harengs doux, Malartre qui vend ses quenelles aux Halles Paul Bocuse de Lyon, etc.
Mais La Bonne Franquette n’est pas seulement un restaurant aux plats soignés. C’est surtout le théâtre permanent de banquets, d’agapes et de manifestations gastronomiques, viniques et même culturelles de toutes sortes, qu’il faudrait un livre pour recenser chaque année. Siège de la truculente « République de Montmartre », elle en accueille régulièrement les cérémonies d’intronisation d’artistes et autres personnalités. L’établissement organise chaque année, en février, un mémorable déjeuner de « fin de chasse » couru de tous les vrais amateurs. Berceau du premier salon « du livre de bistrot », en 2019, La Bonne Franquette s’est même transformée en scène de théâtre le temps d’un soir pour une représentation d’une pièce de Jacques Weber.
Érigée sur le chemin des vignes de Montmartre, La Bonne Franquette est enfin un haut lieu du « bien boire » à Paris. « Faire partager mon goût du vin et des vignerons a toujours fait partie de mes ambitions », assure Patrick Fracheboud, lui-même maître sommelier et maître compagnon du Beaujolais. Le restaurant, dont la carte aligne plus de 200 références, accueille une multitude de réunions tournant autour du vin, à commencer par la spectaculaire « Paulée des sommeliers de Paris ». L’engagement de Patrick et Luc à servir la promotion des vins de qualité lui a même valu d’obtenir le très convoité titre de Coupe du meilleur pot pour 2020. La remise du trophée sera à n’en pas douter un moment mémorable. Elle aidera à faire oublier ces trop longues semaines de fermeture.

Bruno Carlhian

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Un lieu chargé d’histoire

Érigé sur le chemin des vignes de Montmartre, l’édifice qui abrite aujourd’hui La Bonne Franquette date de la fin du XVIe siècle. Au XIXe siècle, les tonnelles du restaurant Au franc buveur deviennent un lieu d’accueil des écrivains, poètes et peintres impressionnistes (Pissarro, Degas, Sisley, Cézanne, Renoir Gauguin, Van Gogh, puis Toulouse-Lautrec), chassés par les grands travaux d’Haussmann et qui ont trouvé refuge à Montmartre. C’est dans le jardin du restaurant, devenu Aux billards en bois, que Van Gogh peignit sa célèbre toile La Guinguette, aujourd’hui exposée au musée d’Orsay. L’histoire de La Bonne Franquette, qui porte cette enseigne depuis 1925, est aussi marquée par les personnages d’Édith Piaf, mais aussi de Charles Aznavour, qui habitera quelques années après-guerre dans l’immeuble du restaurant. Jusqu’au milieu des années 1950, l’établissement est tenu par la truculente Adrienne, figure de la Butte de l’entre-deux-guerres et organisatrice du Pot-au-feu des vieux, des Restos du cœur avant l’heure. En 1955, Maurice His, futur septième président de la République de Montmartre, en fait un haut lieu de rencontre de la Butte, attirant des artistes comme Bernard Dimey, Jacques Brel et François Deguelt, qui viennent y chanter et des acteurs américains de passage à Paris qui courent les soirées montmartroises. La famille Fracheboud, originaire de Samoëns, en Haute-Savoie, en a pris la direction dans les années 1970.
La Bonne Franquette
18, rue Saint-Rustique
75018 Paris
• Tél. : 01 42 52 02 42
• www.labonnefranquette.com