Le Pavillon Ledoyen, La Bonne Auberge (Antibes), mais aussi le Chiberta : le chef Patrick Pignol
a connu de prestigieuses maisons avant de lancer le Relais d’Auteuil en 1984, lorsqu’il n’était âgé que de 23 ans. La première étoile lui a été décernée en 1990 et la seconde en 1999. Le chef a finalement rendu les clefs du Relais d’Auteuil en 2007. « Au bout d’un moment, il faut savoir se retirer. C’est comme pour les sportifs », sourit-il. Aujourd’hui, il travaille quand il le souhaite dans l’établissement dirigé par son fils : L’ Angélus. « Je me suis remis à la cuisine sur le tas », admet-il. Patrick Pignol se rend à Rungis depuis ses débuts. « Au marché, il y a des règles. Il faut avoir des valeurs, du respect et être bon payeur. Si l’on n’a pas ces qualités, cela ne marche pas », prévient-il. Pour lui, les relations commerciales s’inscrivent dans la fidélité et la régularité. Il tient à choisir sa marchandise en personne : la maison Pécunia figure parmi ses fournisseurs historiques. « Cela ressemble parfois à du théâtre. Il ne faut jamais parler le premier. Si, par exemple, vous parlez le premier en demandant le prix du bar, le vendeur va savoir que vous en voulez et le montant ne sera peut-être pas le même à l’arrivée », explique-t-il.
Le chef se déplace dans les allées du MIN sans liste et achète donc uniquement ce qu’il voit. « Cela correspond à ce que j’ai envie de manger, j’ai ma carte en tête, mais ça peut évoluer en fonction des prix et des produits. »
À la marée, on ne tarde pas à le reconnaître quand il fait son entrée dans le pavillon à 2h30. « M. Pignol, comment va-t-il ? », interroge un grossiste en distinguant le chapeau du restaurateur. Patrick Pignol s’arrête quelques instants pour tâter les poissons. L’homme ne marque que peu d’arrêts. Il préfère réserver ses achats « à ses copains ». Il jette finalement son dévolu sur deux caisses de quatre cabillauds chacune. Le commerçant conservait ses plus beaux spécimens pour les vendre notamment à ses plus anciens clients. Avec un seul poisson, le chef pourra aisément dégager 12 à 14 portions de cabillaud. Il a fait une bonne affaire en payant des poissons étêtés et vidés, au meilleur prix selon lui, malgré une pêche « désastreuse » cette nuit-là.
Fin négociateur
Auparavant, il cuisinait à grand renfort de bar de ligne, de sole et de homard. « Je pouvais payer de la marchandise jusqu’à 35 euros le kilo, cela ne me faisait pas peur. Maintenant, je me suis adapté à la clientèle de l’Angélus », glisse-t-il. Un peu plus loin, le kilo de bar se négocie à 16,50 € le kilo, quand celui de daurade atteint 20 €. « Dès que la mer bouge trop, les prix montent. Ces produits-là, je n’osais pas t’en parler, je ne voulais pas t’affoler ! », lui lance un mandataire en lui tapant sur l’épaule. La vue d’une botte de couteaux l’inspire, il imagine déjà les crustacés frémir sur la plancha de son restaurant. Le chef repartira finalement avec trois kilos de couteaux.
Plus loin, au pavillon des volailles, il demeure intraitable. À son échelle, il négocie les prix. Cette nuit-là, il obtient jusqu’à un euro de moins sur le coût initial d’un kilo de volailles fermières élevées 100 jours. Il aime cuisiner des poulets entiers et parfois des poulets de Bresse, quand leur prix lui permet de réaliser une marge convenable. « L’homme qui achète du Bresse à un euro » : c’est ainsi qu’un vendeur surnomme l’intraitable Patrick Pignol en le voyant arpenter les allées formées par les cartons de volailles. Si le chef est intransigeant sur les prix, il l’est aussi sur la qualité. Il repoussera ainsi d’un revers de main un lot de magrets de canard ne répondant pas à ses standards, au profit d’un autre, plus cher.
Au pavillon des viandes, Patrick Pignol file droit chez son grossiste habituel pour s’offrir des « lomos » de bœuf de six à sept kilos chacun. S’ensuit le pavillon de la triperie, d’où le chef repart bredouille. Sa tournée le conduit ensuite aux fruits et légumes, où la cueillette sera nettement plus fructueuse. Le restaurateur est attaché aux produits de saison. En ce moment, l’asperge se déguste sur toutes les tables. Patrick Pignol en profite pour acheter une dizaine d’herbes différentes, de la coriandre au persil, en passant par la sarriette, le romarin ou l’estragon.
« Certains vendeurs du pavillon des fruits et légumes montent parfois leurs prix quand ils savent que vous êtes un restaurateur et que vous faites donc plus de marge sur le produit qu’un primeur, par exemple », explique-t-il, après avoir raflé des ananas de première qualité pour la carte des desserts de L’ Angélus. Là encore, il a noué des liens de confiance pour assurer ses achats. C’est donc à la maison MG Primeurs qu’il assurera le gros de ses emplettes. À l’époque du Relais d’Auteuil, le chef étoilé travaillait avec Paris Select, une société réputée pour ses produits premiums.
Il est presque 6h quand il achève enfin sa tournée. Outre les multiples produits qu’il a sélectionnés, il repart avec des idées de plats plein la tête : les choux de Bruxelles seront proposés farcis, tandis que les asperges seront servies en entrée.
Mickaël Rolland
L’Angélus
4, place de la Porte-de-Champerret
75017 Paris
01 43 80 85 14